La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Paul Gauguin le portraitiste au Musée des beaux-arts du Canada

Cet été, le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) à Ottawa nous invite à découvrir le peintre Paul Gauguin (1848-1903) sous un jour nouveau. Depuis 116 ans qu’il est mort, c’est la première fois qu’une exposition aborde l’œuvre de cet artiste majeur du XIXe siècle par le biais du portrait, un art qu’il a beaucoup pratiqué et considérablement transformé. Survol d’une proposition inusitée.



Même s’il est mort très jeune, à 54 ans, Paul Gauguin a énormément produit, laissant une œuvre variée, influencée par sa vie de voyageur au long cours. On a tous plus ou moins une idée des différentes périodes de sa vie: à Pont-Aven, en Bretagne, où il sera inspirateur des nabis; à Arles, en Provence, où il partage son atelier avec Van Gogh; en Polynésie, dans le Pacifique Sud, où il réalise quelques-uns de ses chefs-d’œuvre caractérisés par l’exotisme de ses sujets et l’intensité des couleurs qu’il utilise. Par-dessus le marché, j’ai appris avec cette exposition qu’il avait vécu sa petite enfance au Pérou et qu’il a passé un peu de temps à Copenhague lorsque sa femme d’origine danoise et leurs cinq enfants s’y sont installés parce que Gauguin ne pouvait subvenir à leurs besoins à Paris.

Entrée de l'exposition «Gauguin. Portraits ». Photo: Claude Deschênes
Entrée de l'exposition «Gauguin. Portraits ». Photo: Claude Deschênes

Devant la richesse de ce parcours, les conservateurs de l’exposition se sont dit: Et si de toute cette production fortement teintée de ses nombreuses pérégrinations on gardait seulement les portraits, qu’est-ce que ça nous dirait de nouveau sur Gauguin? Les spécialistes du MBAC et de la National Gallery de Londres se sont donc astreints, pendant cinq ans, à faire parler les portraits. Le produit de leur recherche, présenté sous le titre Gauguin. Portraits, est un peu savant, mais un visiteur curieux prendra plaisir à découvrir Gauguin à travers ce prisme du portrait. Et celui qui veut en savoir encore plus aurait avantage à jeter un œil au catalogue de l’exposition, qui est extrêmement riche en analyses et anecdotes.

La visite commence par une série d’autoportraits qui ont été autant de tentatives de Gauguin de façonner son image. En mots d’aujourd’hui, on dirait qu’il y a du marketing dans ces selfies à l’huile. Un jour, il se représente dans un tableau à la Courbet pour signifier qu’il a, lui aussi, l’étoffe d’un maître. Une autre fois, il met sa superbe de côté et se peint à côté d’un christ jaune en croix pour montrer qu’il est en proie au doute. Il se personnifiera également près du Golgotha pour donner de lui l’image d’un martyr. Durant sa période polynésienne, alors qu’il clame haut et fort son rejet du colonialisme, il se montre tel un «oviri», un sauvage tahitien, accentuant les traits incas hérités de sa mère de descendance péruvienne.

Portrait de l’artiste au Christ jaune, 1890–1891. Photo: Claude Deschênes

L’exposition nous apprend ensuite combien Gauguin a bousculé la tradition du portrait. À l’époque, le portrait visait la plupart du temps à flatter l’égo du sujet. En rupture avec la tradition, Gauguin évite de mettre en évidence le statut social de son sujet, même que souvent il l’utilise pour se mettre lui-même en valeur. La toile Nature morte au profil de Laval est assez éloquente à ce sujet. Laval est un ami. Dans le portrait qu’il fait de lui, on le voit à peine. Juste assez pour percevoir qu’il est admiratif de ce qu’il contemple. Et que regarde-t-il, Laval? Une poterie de Gauguin et quelques fruits, dans une composition qui évoque un tableau de Degas. Ce ne sera pas la seule fois où le peintre fera ainsi son autopublicité sur le dos d’un ami.

Nature morte au profil de Laval, 1886. Photo: Claude Deschênes

Il y a une histoire dans chaque portrait signé Gauguin. Ici, une marque d’admiration pour Stéphane Mallarmé, auteur du poème L’après-midi d’un faune; là, un jugement critique du travail de Van Gogh (Gauguin trouvait qu’il utilisait trop de peinture); ou encore, cette utilisation des traits particuliers de l’artiste flamand Meijer de Haan pour faire passer des idées sur sa propre conception de l’art.

L’exposition évoque également la vie de famille de Gauguin à travers quelques portraits de ses enfants qui lui ont servi de modèles. Bien sûr, le parcours ne serait pas complet sans quelques tableaux de femmes tahitiennes vêtues de robes missionnaires aux couleurs vibrantes.

On s’étonne, en 2019, de voir à quel point le côté contestable de Paul Gauguin a été occulté par les conservateurs de l’exposition. Les femmes qui ont partagé la couche du peintre et posé pour lui à Tahiti étaient des mineures. Il n’en est pratiquement pas question dans l’interprétation des portraits de cette époque qu’on a choisi d’exposer.

Tehamana a de nombreux parents ou Les ancêtres de Tehamana (Merahi metua no Tehamana), 1893. Photo: Claude Deschênes

Dans le journal Ottawa Citizen, la commissaire de l’exposition, Cornelia Homberg, s’est défendue en disant que pour bien expliquer la contribution d’un artiste, les historiens de l’art doivent aller au-delà de sa seule personnalité. Je voudrais bien lui donner totalement raison, mais je trouve qu’ici on a été un peu complaisant.

L’exposition Gauguin. Portraits, qui compte une cinquantaine de tableaux de Gauguin et quelques sculptures, sera présentée jusqu’au 8 septembre à Ottawa, après quoi elle sera présentée à Londres du 7 octobre 2019 au 26 janvier 2020.