La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

L’heure mauve au Musée des beaux-arts de Montréal: Party time!

Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) nous fait découvrir un nouvel artiste. Il s’appelle Nicolas Party. Party comme party. Et ce n’est pas de la fausse représentation: son exposition est vraiment une fête pour les sens. Il y en a pour l’œil et l’ouïe. L’heure mauve, à l’affiche du 12 février au 16 octobre, c’est à la fois ravissant, emballant, grand!



La dernière fois qu’une visite au Musée des beaux-arts m’a fait autant d’effets remonte à 2017. En plein mois de janvier, les couleurs et la musique de l’exposition Chagall m’avaient donné des ailes. Même chose avec ce Nicolas Party, un artiste suisse qui arrive à point nommé avec ses œuvres immenses aux couleurs vitaminées qui nous font complètement oublier les privations qu’on connaît depuis deux ans.

Les immenses œuvres colorées de Nicolas Party nous font complètement oublier les privations qu’on connaît depuis deux ans. Photo: Claude Deschênes

En cherchant, on peut trouver du bon à cette pandémie. N’eût été elle, cette exposition n’aurait peut-être pas eu lieu. Stéphane Aquin, nouveau directeur du MBAM, m’a expliqué que la crise sanitaire obligeait les institutions à essayer des choses, à prendre des risques. Offrir toutes les salles du 2e étage du pavillon Michal et Renata Hornstein à un jeune artiste peu connu du grand public montréalais, voilà exactement le genre de risque calculé qu’il a pris.

Il faut savoir que la cote de Nicolas Party, 42 ans, est déjà excellente dans le milieu de l’art.

Le galeriste de Nicolas Party a reçu 200 demandes d’achat le jour même de l'apparition de son tableau «Coucher de soleil». Coucher de soleil, 2021
Shanghai Long Museum Photo: Adam Reich

Stéphane Aquin: «Lorsque son tableau Coucher de soleil est apparu pour la première fois l’automne dernier, le galeriste de Nicolas a reçu 200 demandes d’achat le jour même. À peu près au même moment, une autre œuvre, offerte par l’artiste pour un événement de charité, a été adjugée à 3 270 000 $ chez Christie’s. Aucun doute, son travail plaît. Mais il y a plus. J’ai travaillé avec lui lorsque j’étais au Musée Hirshhorn à Washington, en plus de son immense talent, j’ai découvert sa grande intelligence. Je savais que je pouvais lui confier les rênes d’une exposition réunissant son travail et des œuvres de notre imposante collection permanente. Ce gars-là est capable de faire des liens, il n’a pas de complexes à s’exposer à côté des Lawren S. Harris, Ozias Leduc, Otto Dix ou Ferdinand Hodler. Aucune vantardise de sa part, c’est fait dans la plus grande humilité.»

L'artiste Nicolas Party. Photo: Richmond Lam.

Dès qu’on approche Nicolas Party, on est frappé par sa bonhommie, une simplicité qui facilite immédiatement le contact. En écho aux propos de Stéphane Aquin, celui qui a commencé en faisant des graffitis nous explique qu’il a toujours aimé inclure le travail des autres artistes dans ses propositions.

L’offre qu’on lui faisait d’accrocher des œuvres du musée montréalais parmi sa propre production était en quelque sorte dans la continuité de son travail. La preuve? Il y a quelques années, lors d’une visite au Musée des beaux-arts de Montréal, la découverte de Cabane en rondins de Lawren S. Harris a complètement changé sa façon de représenter les arbres, qu’il s’est mis à peindre avec des branches courbées. Il suffit de voir côte à côte Cabane en rondins (1925), du peintre canadien membre du Groupe des Sept, et Arbres (2014), de l’artiste suisse, pour s’en convaincre.

À gauche: «Cabane en rondins» de Lawren S. Harris. À droite : «Paysage» de Nicolas Patry. Photos: Claude Deschênes

Autre exemple, plus récent celui-là, dans Portrait avec avocat (2021), Party emprunte à Otto Dix les couleurs et l’inoubliable pause de son sujet dans le tableau Portrait de l’avocat Hugo Simons (1925), une pièce majeure de la collection du MBAM.

À gauche : Portrait de l’avocat Hugo Simons de Otto Dix. À droite : Portrait avec avocat de Nicolas Party. Photos; Claude Deschênes

À cause de la pandémie, l’artiste, qui joue également le rôle de commissaire de son exposition, n’a pas pu explorer autant qu’il aurait voulu les voûtes du musée. N’empêche, il a fait de belles découvertes, notamment celle du peintre québécois Ozias Leduc, dont le tableau L’heure mauve a donné le nom à l’exposition.

«L'heure mauve» de Ozias Leduc. Photo: Claude Deschênes

Il a également débusqué une toile de son compatriote helvète Ferdinand Hodler, Le bûcheron, une représentation qui a longtemps figuré sur les billets de cinquante francs suisses. Ce tableau est un prêt de la succession de M. et Mme Hornstein.

«Le bûcheron» de Ferdinand Hodler. Photo: Claude Deschênes

Nicolas Party fait également une belle utilisation de l’importante collection d’arts décoratifs du MBAM. Il fait interagir des chaises de différents styles et différentes époques avec ce qu’il a choisi d’accrocher sur les cimaises.

L'artiste fait interagir des chaises de différents styles et différentes époques avec ce qu’il a choisi d’accrocher sur les cimaises. Photo: Claude Deschênes

«Je trouve intéressant de voir comment la chaise a toujours été un objet de réinvention. Ça m’amuse de mettre la petite chaise bistrot viennoise en bois dans la même salle que le Bûcheron d’Hodler. Un moment donné, j’avais pensé exposer un sarcophage de la collection du musée et des sculptures, mais tout cela créait de la confusion. Je me suis donc limité aux chaises, un naturel dans une salle de musée, sauf qu’ici on ne peut pas s’assoir parce que ce sont des objets rares et parce que les mesures sanitaires l’interdisent aussi.»

Pas besoin d’être un expert en art pour apprécier les mariages d’œuvres que nous propose Nicolas Party. Tout cela nous saute aux yeux dans le plaisir et l’ébahissement, particulièrement dans la salle consacrée aux natures mortes, avec son mur géant tapissé de pêches multicolores.

La salle consacrée aux natures mortes, avec son mur géant tapissé de pêches multicolores. Photo: Claude Deschênes

Cette fresque, réalisée au pastel à même le mur du musée, fait partie de quelques œuvres éphémères de cette exposition. L’artiste rit quand on s’affole à l’idée qu’on mettra un jour de la peinture par-dessus ces murales géantes réalisées in situ.

«Je n’ai pas de problème avec ça, dit Party. Mes fresques sont photographiées, il en restera une trace. C’est moins éphémère que bien des graffitis que j’ai faits. Aussi, j’ai déjà plein d’œuvres encadrées qui ont une longue vie devant elles.»

Cette fresque, réalisée au pastel à même le mur du musée, fait partie de quelques œuvres éphémères de cette exposition. Photo: Claude Deschênes

Ces pastels encadrés de Party n’en sont pas moins fragiles.

«Une fois qu’elles sont terminées, je secoue le trop-plein de poudre, explique-t-il, et on encadre avec une vitre pour protéger le tout. Je n’utilise pas de fixatif, et idéalement on transporte les œuvres à la verticale pour éviter que ça bouge.»

Nicolas Party fait aussi des sculptures. Photo: Claude Deschênes

L’artiste fait aussi des sculptures. En plus de celle, magnifique, qui nous accueille en haut de l’escalier monumental du pavillon Hornstein, on retrouve dans la dernière salle, comme une apothéose, une série de têtes et de corps agenouillés tatoués de salamandre, de papillon, de coléoptère où le sacré le dispute au ludique. Voilà qui me fait dire que c’est une exposition où il faut impérativement amener les enfants.

J’ai mentionné plus haut que L’heure mauve sollicite à la fois la vue et l’ouïe. C’est qu’en parcourant les sept salles du musée, on nous offre un environnement sonore spécialement conçu par le musicien Pierre Lapointe, un ami des arts visuels. Inspiré par le travail de Nicolas Party, Lapointe a composé sept titres originaux et repris sept chansons connues (Vigneault, Ferré, Aznavour, Satie, Leclerc) qui dialoguent avec ce qu’on voit au fil de notre parcours. On télécharge la musique sur son téléphone personnel à partir d’un code QR offert à l’entrée de l’exposition. N’oubliez pas vos écouteurs et d’avoir un appareil bien chargé. Le disque L’heure mauve est disponible sur toutes les plateformes numériques et sera offert sur vinyle à l’été.

Voilà, j’espère vous avoir convaincu. Avec l’annonce de l’assouplissement des mesures sanitaires cette semaine, l’arrivée de cette exposition qui compte plus d’une centaine d’œuvres est ce qui pouvait arriver de mieux pour redonner du oumf à Montréal.