Nelligan au TNM, un destin tragique raconté par de grandes voix
Trente ans après sa création, en mars 1990, l’opéra Nelligan de Michel Tremblay et André Gagnon est repris sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde. Le public québécois semble toujours aussi attaché au trio Nelligan-Tremblay-Gagnon, car avant même la première officielle, le spectacle musical affichait déjà des supplémentaires. Six représentations ont été ajoutées à Montréal avant que la production ne parte en tournée à travers le Québec du 25 février au 20 mars.
En 1990, c’est le metteur en scène André Brassard qui avait veillé à la création de ce spectacle racontant le tragique destin d’un jeune homme qui paie de sa vie sa trop grande exaltation pour la poésie. La distribution que le fidèle complice de Michel Tremblay avait alors dirigée regroupait surtout des chanteurs: Michel Comeau, Louise Forestier, Jim Corcoran, Renée Claude, sous la direction musicale de Scott Price, l’actuel chef d’orchestre de Céline Dion.
La version que le TNM nous propose fait davantage appel à des comédiens. Le casting est vraiment réussi, à commencer par les deux Émile. Dans l’habit du vieux Nelligan interné, Marc Hervieux est émouvant. Autant par la posture que par l’amplitude du registre, on ressent à quel point cet homme est brisé.
Le jeune Nelligan est défendu par Dominique Côté. Avec son timbre chaleureux et puissant, ce comédien, qu’on peut voir autant dans la quotidienne District 31 qu’à l’Opéra de Montréal, traduit avec brio la tempête intérieure du jeune poète tout à tour ambitieux, incompris et révolté.
Dans le rôle d’Émilie Hudon, la mère du poète, Kathleen Fortin est impériale. Son jeu est d’une précision stupéfiante, et son chant n’est rien de moins que renversant.
Dans un plus petit rôle, celui de Charles Gil, ami de bohème de Nelligan, Jean-François Poulin fait aussi une grande impression. Quelle voix! Il faut dire qu’il a la chance d’interpréter La chasse-galerie, la plus belle chanson d’un spectacle qui, avouons-le, ne compte pas beaucoup de hits.
Tant qu’à y être, disons aussi qu’on aurait aimé entendre davantage de poèmes de Nelligan. On en récite seulement deux, La romance du vin et Le vaisseau d’or.
Monter Nelligan au théâtre est un défi. Il faut une douzaine de comédiens-chanteurs sur scène et leur offrir un accompagnement musical qui mette en valeur la partition d’André Gagnon, généreuse en arpèges. Ici, le TNM reprend la version présentée par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal en 2010 avec des arrangements pour deux pianos et un violoncelle signés Anthony Rosankovic. La formule est parfaite pour nous permettre de bien suivre le livret plutôt dense de Michel Tremblay.
Normand Chouinard, qui a dirigé la production de l’Atelier lyrique dans laquelle on retrouvait déjà Marc Hervieux et Dominique Côté en 2010 à Montréal et en 2012 à Québec, est de nouveau aux commandes. L’œuvre, entre bonnes mains, demeure toujours pertinente.
Émile Nelligan a tenu tête à sa famille pour s’affranchir, il a peiné à arbitrer sa double identité française et anglaise, combattu les démons de la maladie mentale. Ne sont-ce pas là des tourments bien d’aujourd’hui?