La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Monsieur Aznavour, un film for me, formidable

En cette année du centenaire de Charles Aznavour (1924-2018), un film sur sa vie prend l’affiche cette semaine à travers le Québec. Réjouissons-nous, la célébration de cette légende sur grand écran est à la hauteur du souvenir que cet artiste nous a laissé.



L’autobiographie filmée comporte toujours des risques: vouloir tout dire, n’être pas crédible, faire dans l’hagiographie, être une pâle imitation.

Commençons justement par Tahar Rahim, celui qui incarne Aznavour. Personne qui l’a vu dans Un prophète il y a 15 ans (César du meilleur espoir masculin) n’aurait pu imaginer qu’il prenne un jour avec autant de justesse les traits de ce monument de la chanson française. Et pourtant! Aujourd’hui âgé de 43 ans, Tahar Rahim nous confond avec son interprétation, particulièrement lorsqu’on traverse les années 1960. La ressemblance physique est stupéfiante. Vocalement, il nous bluffe aussi, autant lorsqu’il parle que lorsqu’il chante. Ce résultat est, à n’en point douter, le fruit de beaucoup de travail et d’un total abandon de l’acteur au profit de son personnage.

Tahar Rahim nous confond avec son interprétation, particulièrement lorsqu’on traverse les années 1960. Photo: Antoine Agoudjian

Comme Aznavour, Tahar Rahim est un fils d’immigrant. Il a manifestement creusé ce sillon pour arriver à une composition si juste. En comptant sur un tel atout dans sa distribution, le film Monsieur Aznavour part gagnant.

En entrevue, Rahim rappelle qu’Aznavour «a dû se construire contre vents et marées et surmonter tous les obstacles que la société française de l’époque pouvait imposer à un fils d’immigrés».

Cela nous amène à l’autre écueil que ce biopic a su éviter: vouloir tout dire.

Dans leur scénario, les réalisateurs Medhi Idir et Grand Corps Malade ont privilégié la période avant la gloire, y compris ce moment passé au Québec de 1948 à 1950. Associé au projet avant de mourir, Charles Aznavour a lui-même encouragé ce choix de parler des années de vaches maigres. Il tenait à ce que le public sache que son succès n’est pas venu tout seul.

Dans leur scénario, les réalisateurs Medhi Idir et Grand Corps Malade ont privilégié la période avant la gloire, y compris ce moment passé au Québec de 1948 à 1950. Photo: Tukimiri

Ainsi, on s’attache au personnage dès son enfance modeste (marquée par les origines de ses parents qui ont échappé au génocide arménien) et à travers toutes les étapes qui l’ont mené à la gloire et à la fortune, sans jamais rien oublier de son passé.

S’il a pu bénéficier de la bienveillance de quelques anges gardiens, dont Édith Piaf et Charles Trenet, le film nous démontre de façon éloquente que rien ne lui a vraiment été donné. Le travail, l’abnégation, la résilience, la volonté, l’indépendance, Charles Aznavour a tout misé là-dessus pour combattre les commentaires affligeants que sa voix, sa petite taille, ses origines lui ont valus, et se frayer un chemin jusqu’au sommet.

S’il a pu bénéficier de la bienveillance de quelques anges gardiens, dont Édith Piaf et Charles Trenet, le film nous démontre de façon éloquente que rien ne lui a vraiment été donné. Photo: Antoine Agoudjian

On le voit donc encaisser les mauvaises critiques et les propos railleurs, ramer avec Pierre Roche pour attirer l’attention, se soumettre aux diktats d’Édith Piaf pour bénéficier d’un peu de sa lumière, offrir ses chansons aux autres pour qu’on remarque ses talents d’auteur-compositeur, s’acharner à chercher la manière de se démarquer des autres, notamment par des mouvements chorégraphiés (une manière de croiser les bras pour Comme ils disent) ou un accessoire stylisé (le fameux mouchoir de poche blanc de La Bohème).

On voit bien Aznavour s’acharner à chercher la manière de se démarquer des autres. Photo: Rémi-Deprez

Ce qui fait la force du film, c’est que tous les épisodes de la vie d’Aznavour nous sont racontés avec musique à l’appui. Dans la première moitié du film, on redécouvre cette période magique du duo qu’il formait avec Pierre Roche, incarné par l’excellent Bastien Bouillon. Renouer avec l’impétueuse Édith Piaf, sous les traits de Marie-Julie Baup, procure aussi un vrai bon moment de cinéma. Même si l’on sait que ce ne sont pas Piaf, Roche et Aznavour que l’on a devant les yeux, l’illusion est bonne.

Et lorsque la reconnaissance arrive, vers la mi-temps de la projection, le film prend un autre rythme. Même le grain de l’image change. Les images sont plus chaudes. On nous emmène au pays des merveilles de la gloire. Comme spectateur, on est littéralement transporté d’un succès à l’autre jusqu’à la fin du film.

La scène où l’on voit le chanteur interpréter pour la première fois Je me voyais déjà devant le public de l’Alhambra de Paris en décembre 1960 est capitale quand on sait à quel point cette chanson a agi comme catalyseur de la carrière internationale d’Aznavour.

Comme spectateur, on est littéralement transporté d’un succès à l’autre jusqu’à la fin du film. Photo: Antoine Agoudjian

Suivent d’autres moments, comme celui où l’on révèle comment ce parolier à l’affût de toute bonne histoire à chanter a eu l’inspiration pour la chanson Comme ils disent, dans laquelle il aborde l’homosexualité, un des grands tabous des années 1970 en France. En utilisant le «je»!

Ma plus grande surprise a été de réaliser que l’immense succès La Bohème n’est arrivé qu’en 1965, après Les comédiens, La mamma, Et pourtant, Hier encore et même Que c’est triste Venise. À 41 ans!

Les réalisateurs du film ont réservé à La Bohème une place et un traitement de choix qui démontrent, à la grandeur de l’écran, combien Charles Aznavour a été un artiste hors norme, un fleuron de la culture française à travers le monde. Mais on n’est pas dans l’hagiographie pour autant. Le chanteur nous apparaît également dans sa nature tourmentée de créateur, de mari volage, de père absent, d’homme opiniâtre capable d’abandonner des complices en cours de route pour réussir. Aussi star soit-il, Aznavour est aussi un humain.

Le chanteur nous apparaît également dans sa nature tourmentée de créateur, de mari volage, de père absent, d’homme opiniâtre capable d’abandonner des complices en cours de route pour réussir. Photo: Antoine Agoudjian

Il faut aussi saluer Grand Corps Malade et Medhi Idir d’avoir osé l’accent local dans la portion du film qui se passe à Montréal, avec entre autres un Serge Postigo méconnaissable dans le rôle du propriétaire du Faisan Doré. Toutes les productions françaises n’ont pas ce souci lorsqu’il y a présence québécoise dans le scénario. Voilà un plus pour la crédibilité de ce biopic à 26 millions d’euros, un budget qui a permis de bien recréer les époques et les multiples lieux où l’action se déroule. Chapeau à Isabelle Mathieu pour les costumes, et Stéphane Rozembaum pour les décors.

Comme la musique est extrêmement importante au bon déroulement de cette bio du géant de la chanson, soulignons aussi la formidable bande sonore du film. L’ingénieur du son Thomas Lascar, la monteuse sonore Élisabeth Paquotte, et Varda Kakon à la supervision musicale vont certainement se retrouver en nomination, ou même lauréats, à la prochaine remise des César du cinéma français.

Vous aurez compris, j’ai trouvé ce film for me, formidable.