La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Lumière sur une femme de l’ombre

Lhasa de Sela, Pauline Marois, Christine St-Pierre, Mouffe, Huguette Vachon, Anne Hébert, Renée Claude, Monique Leyrac, Béatrice Picard, on dira que j’ai un penchant pour les livres qui racontent des parcours de femmes. Cette semaine, j’ajoute à ma liste Avant de perdre la mémoire, le récit de vie de Micheline Savoie, une femme inconnue du grand public, mais dont l’histoire est tout aussi fascinante à lire.



Micheline Savoie est Acadienne. Contemporaine d’Édith Butler et d’Angèle Arseneault, elle est née en 1943 dans le petit village de Kedgwick au Nouveau-Brunswick. À la lecture de son livre, on n’a jamais l’impression que notre narratrice est une femme de 77 ans. Son style est énergique, son propos, fougueux. L’auteure, disons-le, est une femme de tempérament, les 300 pages du livre nous en feront la démonstration.

Mais il y a plus. Il y a dans Avant de perdre la mémoire une urgence de dire. Et pour cause! Cet ouvrage concrétise une vieille promesse que Micheline Savoie a faite à sa fille unique, et qu’elle ne pouvait plus remettre à plus tard lorsque sa Capucine a obtenu un diagnostic de cancer du poumon en 2015.

Le livre prend donc la forme d’un dialogue entre une mère et sa fille. On peut trouver par moment qu’il y a beaucoup d’impudeur dans ce qui est raconté (l’auteure puise allègrement dans son journal intime), mais en même temps, c’est ce qui donne de la force au récit. On est dans la vraie vie, les sentiments purs, à mille lieues de la langue de bois.

À Capucine (qui vit toujours), Micheline Savoie commence par raconter son enfance en Acadie, partagée entre une mère aimante et soumise, un père dévoué à la cause des francophones, un grand-père adoré, irlandais unilingue anglophone, et trois frères (dont l’écrivain Jacques Savoie) au contact desquels elle réalisera très jeune que les filles et les garçons n’ont pas les mêmes droits et obligations.

L’auteure se souvient ensuite de ses années de pensionnat, fondatrices et rebelles. Même si cela se passe à Moncton, la description ressemble à ce qu’on a pu lire dans les livres de Pauline Marois et Christine St-Pierre. À défaut d’inculquer l’amour de Dieu à leurs élèves, les religieuses ont contribué à forger le caractère de nombreuses petites filles qui sont devenues plus tard des leaders dans leur domaine.

Celui de Micheline Savoie sera celui des communications et des relations publiques, une carrière menée dans l’ombre qui la conduira de Radio-Canada à l’Université Laval, en passant par l’Office national du film (ONF), le Conseil consultatif sur le statut de la femme, la Ville de Montréal, Loto-Québec et le Centre canadien d’architecture.

Le retour que la gestionnaire fait sur sa vie intime et professionnelle dépasse l’anecdote personnelle. Il est hallucinant de retrouver dans les expériences vécues par cette femme des sujets présentement au cœur de l’actualité et qui nous interpellent.

Des exemples?

Elle raconte son viol par un collègue de travail à Radio-Canada à la fin des années 1970, lequel s’en tirera impunément.

Alors qu’on discute âprement de diversité à la télévision, elle nous rappelle qu’elle a été l’artisane, début des années 1990, des premières politiques de Radio-Canada visant à mettre un terme à la domination de l’homme blanc à l’antenne, ce qui lui vaudra d’être intimidée et menacée.

Début 2000, au Centre canadien d’architecture, elle doit composer avec une patronne toxique qui interpelle ses employés par leurs initiales plutôt que par leur nom.

La vie de Micheline Savoie n’a pas été un fleuve tranquille. Elle change régulièrement d’emploi, de ville, d’amoureux. Sa fille lui donne des soucis, notamment quand, adolescente, on la déclare anorexique.

Cette femme collectionne les histoires abracadabrantes, et les faits d’armes aussi. On lui doit la tenue du seul débat électoral portant sur les femmes de l’histoire de la télévision (en 1984). À Loto-Québec, c’est elle qui gère la saga médiatique des Lavigueur lorsque la famille remporte un gros lot de 7 millions. Plus tard, c’est au cœur de la transformation de l’image de marque de l’Université Laval qu’on la retrouve.

À travers le récit de cette vie tumultueuse, Micheline Savoie réussit de surcroît à nous amener à réfléchir à des préoccupations que nous avons tous, comme notre rapport aux médias sociaux, à la langue française, à la médecine, à la vieillesse. Elle explore aussi les défis de la monoparentalité, la particularité d’élever un enfant unique, les déchirements de voir ses parents mourir. Elle partage également son attachement indéfectible à son Acadie natale. Et en bonne féministe, elle martèle, avec beaucoup d’à-propos, son parti-pris pour la cause des femmes.

Voilà un livre foisonnant que les hommes gagneraient à lire aussi.

Avant de perdre la mémoire, Micheline Savoie. Éditions Somme Toute. 2020. 312 pages.

Un livre à écouter: Canot Western de Laurette Laurin

Canot Western, le vibrant Je me souviens de l’écrivaine Laurette Laurin, est devenu un livre audio. L’auteure en a fait une version à écouter. C’est elle qui fait toutes les voix, celle de Renée Martel, qui a écrit la préface, celle de la narratrice (convaincante, c’est son histoire), et celles de tous les personnages, hommes et femmes, dans cette version qui dure au total 10 heures 25 minutes. En prime, on peut entendre les chansons country qui pimentaient ce roman autobiographique, y compris Quand le soleil dit bonjour aux montagnes. À écouter, en attendant la série télé?

Bach à la maison avec Les Boréades

Je ne sais pas vous, mais moi j’ai bien aimé les concerts d’Arion, Orchestre baroque que j’avais à mon menu la semaine dernière.

Je récidive cette fois avec une autre formation que j’apprécie beaucoup, Les Boréades, un ensemble de musique ancienne sur instruments d’époque.

«Cette semaine, troquez Netflix pour les Boréades!» disait le communiqué annonçant le premier concert de sa 25e saison. Tellement d’accord!

Du vendredi 20 novembre (18h) au jeudi 26 novembre (23h), vous pouvez visionner, au tarif unique de 15$, un concert enregistré jeudi dernier à la salle de concert du conservatoire de musique de Montréal. Au programme: Le testament musical de Carl Philipp Emanuel Bach interprété par Francis Colpron à la flûte traversière, Olivier Brault au violon, Mélisande Corriveau à la viole de gambe et Jean-Willy Kunz au clavecin.

Pour vous donner un avant-goût, voici Les Boréades interprétant une sonate de Bach père.