La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Louise Portal: propos et confidences

Louise Portal est un livre ouvert. De Jeanne Janvier (1981) à Mon cahier à moi (2022), ça fait plus de 40 ans que la petite fille de Chicoutimi puise dans ses souvenirs pour nous parler de la vie à travers la sienne. À la lecture de Louise Portal. Aimer, incarner, écrire, livre de propos et confidences paru chez Druide le 20 septembre dernier, force est d’admettre que la source n’est pas tarie.



Cet ouvrage est écrit en collaboration avec le journaliste Samuel Larochelle, qui nous a donné à pareille date l’an dernier Bruno Pelletier. Il est venu le temps. On y retrouve la même formule qui réinvente la biographie, c’est-à-dire une suite de questions et réponses qui permet au sujet de s’exprimer au je en faisant fi de la chronologie. C’est comme une conversation intime dont nous sommes les témoins. Ça va dans toutes les directions, mais ce n’est jamais ennuyant.

Louise Portal le dit sans ambages, elle avait beaucoup envie de se confier à ce journaliste de 35 ans son cadet. Pour sa qualité d’écoute, sa sensibilité d’auteur (une vingtaine de livres en 10 ans: romans, nouvelles, biographies, poésie) et sa posture de millénarial.

Ainsi, plusieurs sujets dont Louise Portal nous a déjà parlé dans ses livres précédents prennent un éclairage nouveau, que ce soit sa relation avec sa sœur jumelle Pauline, moins gémellaire qu’on aurait pu penser, sur la vie de Marcel, son père adoré, dont elle dévoile l’homosexualité, ou sur sa relation amoureuse mystique avec Jean Beaudin, réalisateur de Cordélia, rôle qui l’a révélée au cinéma.

On sent au fil des pages que Louise Portal a envie de vérité. Voici ce qu’elle dit par exemple à propos de son roman L’Actrice:

«Prendre le chemin du roman m’offrait plus de liberté pour parler du métier et de ma vie à travers le métier, en plus de me permettre de changer les noms de ceux et celles qui m’inspiraient. J’ai écrit ce livre en 2003. Vingt ans plus tard […] je trouve que c’est le temps de nommer les choses, de ne plus jouer avec les flous et les contours, de quitter les rives du roman biographique pour accoster sur celle de la biographie écrite avec transparence.»

N’attendez pas qu’elle nomme les personnes qui l’ont déçue ou trompée durant sa carrière. Elle demeure extrêmement discrète dans ses anecdotes. Par exemple, il faut faire soi-même une recherche pour se rappeler qui étaient les «pas fins» qui jouaient avec elle dans le film français pourtant intitulé Mes meilleurs copains.

Louise Portal sait ce qu’elle vaut et n’hésite pas à parler de ses bons coups, mais il y a beaucoup d’humilité et de reconnaissance dans ses propos. Cette manière d’être simple et accessible occulte parfois, dans le milieu et chez le public, l’immense contribution qu’elle a apportée au cinéma, au théâtre, à la musique et à la littérature québécoise.

Trouvez-moi une autre femme qui a à son actif 48 longs métrages, 41 séries télévisées (et pas les moindres), 19 courts métrages, 5 disques, et une vingtaine de livres publiés. Sans parler des Correspondances d’Eastman qu’elle a fondées, de son association avec les Rendez-vous du cinéma québécois, et des multiples conférences qu’elle donne à travers le Québec notamment sur la question du vieillissement.

Les réponses qu’elle offre à son jeune interlocuteur sur cette dernière question sont d’ailleurs très inspirantes. À 73 ans, Louise Portal porte avec autant de ferveur la cause des aînées qu’elle s’est battue pour imposer sa voix au début de sa carrière.

«[…] je veux célébrer mon âge et inviter les gens de ma génération à accueillir ce passage dans leurs vies. Rien ne me fait plus plaisir que de rencontrer des personnes que j’ai inspirées à apprivoiser le vieillissement.»

Dans ce récit, on comprend que cette sérénité et cette sagesse se sont beaucoup développées au contact de Jacques Hébert, son conjoint depuis 1995. Le socle de leur amour est bien mis en évidence au fil des 265 pages de ce livre. Un beau modèle de couple.

Mais la vie de Louise Portal n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Dans la transcription des heures d’entretien qu’il a eu avec elle, Samuel Larochelle se permet de souligner le ton sur lequel certaines histoires sont racontées. Ça ressemble à des montagnes russes. On a droit à des yeux embués, à la voix qui vacille, aux larmes qui coulent une à la fois ou en torrent, mais aussi à son rire sonore ou en cascades.

Ce que j’ai trouvé un peu agaçant, par contre, c’est la liberté prise par l’auteur d’ajouter des commentaires ou des parallèles par rapport à sa propre expérience de créateur. Mais bon, Samuel Larochelle est certainement plus connu auprès des jeunes que Louise Portal, c’est peut-être la manière d’amener la jeune génération vers elle.

En fin de compte, quiconque lira ce livre conclura que cette femme est un monument. Toujours vivante et active, jamais révisionniste, la Reine Portal assume tout du passé et semble déterminée à continuer de régner sur nos vies… en l’inspirant.

Vu: Vers un avenir radieux de Nanni Moretti : E che cazzo?

Au rayon des couleurs de l’automne, voilà que le cinéma nous amène celles du réalisateur italien Nanni Moretti. Son plus récent film, Vers un avenir radieux, dévoilé à Cannes en mai dernier, prend l’affiche dans huit cinémas du Québec, à Montréal, Saint-Bruno, Gatineau, Sherbrooke, Trois-Rivières et Québec.

Moretti a un public fidèle au Québec. Ceux qui ont vu Habemus Papam, La Chambre du fils, Aprile au fil des ans seront très heureux de le retrouver toujours aussi Romain et toujours aussi torturé par la vie contemporaine.

Dans Vers un avenir radieux, il est une fois de plus proche de son personnage principal. Il incarne Giovanni, un réalisateur qui peine à faire un film historique sur la réaction des communistes italiens devant la répression de l’insurrection hongroise par les Soviétiques en 1956.

Premier défi, faire comprendre à son équipe ce qu’était le communisme à cette époque. Si on a souvent l’impression que la jeunesse québécoise ne connaît rien de son histoire, ce n’est pas différent en Italie, au grand désarroi de ce metteur en scène plutôt autoritaire qui n’a de cesse de relever le manque de rigueur historique des différents départements de production de son film et de ramener à l’ordre son actrice qui fait passer l’amour avant l’Histoire dans son jeu.

Nanni Moretti, en bon septuagénaire qui a connu la grande époque du cinéma italien, en profite aussi pour valoriser le bon vieux temps avec l’utilisation de films d’archives. Parallèlement, il conspue les méthodes d’aujourd’hui en articulant chaque mot qu’il prononce à l’écran, comme s’il voulait être bien compris de tous.

Le personnage devra encaisser la décision de sa femme, sa productrice depuis 40 ans, de le laisser.

Pour illustrer ce qu’il considère comme la dérive du cinéma d’aujourd’hui, son personnage devra encaisser la faillite de son coproducteur français, la décision de sa femme, sa productrice depuis 40 ans, de le laisser, et accepter que son projet finisse entre les mains d’intérêts coréens.

Il y aura même une tentative de sauver les meubles en demandant l’aumône à Netflix, qui lui sera refusée parce que son projet manque d’un moment what the fuck!

Cette scène d’anthologie hilarante nous montre dans toute sa splendeur le risible cirque qu’est devenu le financement des films et la manière téléguidée de les faire.

Car, oui, Vers un avenir radieux est une comédie. Il faut voir Giovanni débarquer sur le plateau d’un autre film produit par sa femme pour empêcher le tournage d’une scène d’exécution à l’arme de poing. Pour l’appuyer dans son plaidoyer, Giovanni fait même intervenir deux sommités italiennes, la mathématicienne Chiara Valerio et Renzo Piano, le célèbre architecte du Centre Georges-Pompidou à Paris et du Shard de Londres.

Ça, c’est sans parler des moments où le réalisateur (celui à l’écran et celui qui signe le film) donne à son film des airs de comédies musicales où tout le monde se met à danser et à chanter, pour notre plus grand plaisir.

Le réalisateur donne à son film des airs de comédies musicales où tout le monde se met à danser et à chanter, pour notre plus grand plaisir.

Du cinéma comme ça, libre, disjoncté, avec un propos social et politique, ça n’existe pratiquement plus. Nanni Moretti caricature, mais il va au bâton. C’est lui qui porte à l’écran l’essentiel de ce discours critique à l’égard de notre époque, au risque parfois d’avoir l’air hébété.

Ce serait son dernier film, qu’il pourrait s’intituler Testamento, mais en plus what the fuck. Quelque chose comme E che cazzo, comme on dit en Italie!