La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Bruno Pelletier, l’homme derrière la voix

Le temps des cathédrales, Miserere, Aime, la voix de Bruno Pelletier nous est familière depuis des lustres. Mais que sait-on de cet artiste qui a toujours été très discret sur sa vie personnelle? À 60 ans, le chanteur se révèle dans une biographie qui donne le sentiment qu’il passe à table.



Il est venu le temps…, chez Libre Expression, est le produit d’une série d’entretiens complices avec le journaliste Samuel Larochelle. Un format questions-réponses qui fonctionne à merveille pour faire sortir l’artiste de sa réserve légendaire.

Bruno Pelletier fait carrière depuis 40 ans. Je l’ai connu à ses débuts. Toujours sympathique et disponible pour parler de sa musique, mais beaucoup moins disert sur sa vie privée. Ça adonnait bien, car au Téléjournal on ne courait pas après les potins.

Par contre, avec le temps, cette discrétion nous a souvent empêchés de comprendre certains choix de carrière, ou ce qui se cachait derrière son apparente distance.

Dans Il est venu le temps…, l’auteur-compositeur-interprète ouvre les vannes et se confie en toute confiance à son biographe. Je ne sais pas trop qu’est-ce qui a cliqué entre Bruno Pelletier et Samuel Larochelle, mais leurs échanges, de novembre 2019 à jusqu’à tout récemment, sont d’une grande fluidité, d’une remarquable transparence et d’une étonnante générosité.

Le journaliste, qui avoue être un grand fan du chanteur depuis sa jeunesse, pose, selon un plan manifestement préétabli, toutes les questions qui lui viennent en tête, et obtient toutes les réponses. Des fois, même plus que ce qu’il pensait obtenir.

Bruno Pelletier parle donc de sa jeunesse à Québec, de sa famille avec un père malade et en désaccord avec son choix de carrière, de ses réussites sportives (il a été champion de karaté), ses abus à ses débuts dans les bars, ses amours (deux femmes, une blonde), sa paternité assumée malgré une carrière faite de tournées qui le tenait loin de la maison, même de ses déboires financiers (victime de la fraude Mount Real).

Mais là où l’artiste est le plus surprenant, c’est dans le détail qu’il nous fait de sa personnalité torturée. Bruno Pelletier est un anxieux, une nature qu’il a constamment dû combattre pour arriver à être à la hauteur de son talent naturel, concrétiser ses ambitions, et répondre aux immenses attentes qu’on plaçait en lui.

Je crois que personne n’était mieux placé que lui pour nous dire combien il a travaillé fort pour combattre le syndrome de l’imposteur qui l’habite. Comment il peut être difficile d’être traité comme une vedette quand on veut rester simple et humble. À quel point il faut de l’humilité pour admettre qu’on ne sait pas lire la musique. Toute l’abnégation qu’il faut pour dompter, sous la supervision rigoureuse d’un prof de chant, le don qui nous a été fait d’une voix.

Parfois, les questions de Samuel Larochelle vont dans tous les sens, mais on pardonne parce qu’elles amènent chaque fois l’artiste à aller plus loin dans son introspection. D’ailleurs, chapeau à l’auteur qui a fait un admirable travail de transcription des réponses de son sujet. C’est limpide. On a vraiment l’impression d’assister à une conversation entre deux personnes.

Voilà une façon originale de faire sortir le jus biographique. J’ai rarement appris autant de choses sur les coulisses de ce métier que je couvre pourtant depuis longtemps. Comment fonctionnent les auditions, jusqu’où peut mener le trac les soirs de première, comment s’orchestre une carrière, à quoi ressemble la solitude quand on est au sommet, à quel point la voix peut vampiriser l’existence de ceux qui comptent sur elle pour vivre.

Et ce qui n’est pas banal, c’est que toutes ces anecdotes réfèrent à quelques-uns des plus grands événements de la musique francophone: Starmania, La légende de Jimmy, Notre-Dame de Paris, Dracula, dans le décor du mythique Olympia, de l’immense Palais des Congrès, de notre Place des Arts, du vénérable Théâtre St-Denis. À Montréal, Paris, Moscou, Séoul, Londres, etc.

Au terme de ce livre, Bruno Pelletier parvient à passer son message. On comprend que malgré sa discrétion, il a accompli de grandes choses, que par choix, il a choisi le Québec au détriment d’une carrière internationale, qu’il a dû travailler très fort et combattre sans relâche le démon de l’anxiété pour arriver à briller parmi les étoiles.

On comprend aussi pourquoi, à 60 ans, il ne fait plus les tournées éreintantes d’autrefois. Il continue cependant à se donner en spectacle. À compter du 29 septembre, on pourra l’entendre dans 12 villes québécoises, dont Gatineau, Chambly, Sherbrooke, Québec et Varennes.

Dans Il est venu le temps…, l’auteur-compositeur-interprète ouvre les vannes et se confie en toute confiance à son biographe.

… car le temps est venu: une trame sonore pour le livre

Plusieurs des confidences de Bruno Pelletier nous renvoient à de nouvelles chansons qu’il fait paraître cette semaine, en même temps que le livre. Le disque s’intitule… car le temps est venu.

L’album compte 11 titres, majoritairement écrits et composés par Bruno Pelletier. Autobiographiques? Jugez-en par les titres: Dans ma tête, Avec mes géants, À la dérive, On aime jamais trop

Pour être honnête, je dirai que je préfère le Bruno Pelletier interprète. J’ai de tels souvenirs de l’entendre chanter La Manic, SOS d’un terrien en détresse, Miserere, Le temps des cathédrales, Lune.

À cette liste incomplète, j’ajoute sa participation à un projet musical du musicien Laurent Guardo qui paraît également cette semaine. Sur le disque Daniel Lavoie chante Rimbaud – La rivière de Cassis, il interprète de manière fabuleuse la chanson titre du disque.

Cet album compte 11 titres, majoritairement écrits et composés par Bruno Pelletier.

D’une voix à l’autre… celle de Daniel Lavoie

Les 11 autres pièces de l’album sont chantées par son camarade de scène Daniel Lavoie, une autre grande voix s’il en est une.

Cet album mérite d’être qualifié de projet musical. Les compositions de Guardo, écrites spécifiquement pour la voix de Daniel Lavoie, ont quelque chose de dramatique, complexe, médiéval par moment. Une aventure parfaite pour deux artistes accomplis qui ont quand même créé l’immense succès qu’a été et demeure Notre-Dame de Paris.

Dans la liste des poèmes retenus pour ce projet, il y a les vers bien connus de Sensation («Et j’irai loin, bien loin comme un bohémien. Par la nature, -heureux comme avec une femme») et de Ma Bohème («Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées. Mon paletot aussi devenait idéal»). Mais c’est aussi une occasion de découvrir des strophes moins familières comme celles des poèmes Aube, Le dormeur du Val ou L’éternité, brillamment mis en musique par Laurent Guardo, qui parvient à créer des univers très différents les uns des autres.

Nanette Workman prête aussi sa voix à ce projet.

Les compositions de Guardo, écrites spécifiquement pour la voix de Daniel Lavoie, ont quelque chose de dramatique, complexe, médiéval par moment.

Les 7 Doigts de la main aiment Montréal

La rue Saint-Denis, dans le Quartier latin, connait un moment de grâce ce mois-ci. Plus de cent ans après sa construction, le Théâtre St-Denis entame une nouvelle ère sous le nom d’Espace St-Denis.

La semaine dernière, le propriétaire des lieux, la Compagnie France Film, inaugurait le concept qui remplace désormais l’ancien St-Denis 2. Le Studio-Cabaret, salle polyvalente et dotée d’équipements techniques du 21e siècle, possède tous les atouts pour combler la disparition de deux établissements mythiques qui n’ont jamais été oubliés des Montréalais, le Cabaret du Musée Juste pour rire et le Spectrum.

Les 7 Doigts de la main ont eu la mission de créer le spectacle inaugural. Ça tombe bien, les fondateurs de la compagnie de cirque avaient envie pour le 20e anniversaire de leur troupe de monter un show qui serait un hommage à la ville qui les a vus naître.

Mon île, mon cœur est écrit comme une lettre d’amour qui se décline sur quatre saisons. Photo: Alexandre Galliez

Mon île, mon cœur est écrit comme une lettre d’amour qui se décline sur quatre saisons. Le spectacle commence en hiver. Dans Loft, la première création des 7 Doigts en 2002, les artistes arrivaient par le frigo, cette fois ils passent tous par un escalier en colimaçon comme on en voit tant à Montréal. La structure servira à différents numéros. Et nous voilà lancés dans une série d’évocations de cette ville: son architecture, sa diversité, son bilinguisme, ses spécialités culinaires, ses odeurs, son métro.

Chaque aspect est développé par un maître de cérémonie, Didier Lucien. On imagine qu’il était important pour l’idéatrice et metteure en scène Shana Carroll, native de San Francisco, de nommer tout ce qui fait que Montréal est si exceptionnelle, mais à la fin, on se dit que le contenu aurait besoin d’être resserré. Ce qui viendra certainement avec le temps. Les 7 Doigts sont toujours trop bavards les soirs de première, même si c’est difficile de leur reprocher d’avoir autant de sollicitude pour notre ville.

Pour ce qui est du contenu acrobatique, Mon île, mon cœur compte plusieurs bons numéros. Photo: Alexandre Galliez

Pour ce qui est du contenu acrobatique, Mon île, mon cœur compte plusieurs bons numéros, notamment de trapèze, de fil de fer, de roue allemande et de bicyclette, qui souvent se passent directement au-dessus de la tête des spectateurs. Personnellement, j’ai apprécié être assis au balcon pour la vue d’ensemble que cela m’offrait.

Comme toujours avec les 7 Doigts, la trame musicale est excellente. On doit la musique originale à Colin Gagné et Raphaël D’Amours.

Le nouveau Studio-Cabaret montre tout son potentiel dans l’utilisation que l’éclairagiste Yves Aucoin fait des murs de la salle, qui deviennent littéralement des écrans sur lesquels sont projetées de magnifiques images de Montréal. Même les scènes de fonds de ruelle lors de la fonte des neiges au printemps sont empreintes de poésie.

Le spectacle que j’ai vu le soir de la première n’était pas rendu à terme, mais j’ai confiance qu’il se consolidera avec les représentations.

Comme Montréalais, je suis sorti de l’Espace St-Denis encore plus amoureux de ma ville. Comme une dose de rappel.