Montréal–Sept-Îles aller-retour en 40 minutes avec Louis-Jean Cormier
Le deuil n’aura jamais été un sujet aussi d’actualité que depuis la dernière année. Et pour cause, depuis janvier 2020, la pandémie de COVID-19 a fait à elle seule plus de trois millions de morts à travers le monde. Au Québec, nous approchons les 11 000. Ça fait beaucoup de survivants à pleurer la disparition de leur être cher.
La littérature est un espace où l’on réfléchit beaucoup à cette question. Il y a quelques jours, ma collègue Claudia Larochelle nous conseillait cinq ouvrages récents pour traverser des deuils. Moi, cette semaine, c’est d’un disque-concept sur le deuil que je veux vous parler: Le ciel est au plancher de Louis-Jean Cormier, son quatrième album solo en moins de dix ans.
Louis-Jean Cormier a perdu son père le 27 janvier 2020. Il avait 85 ans. Son décès a été une surprise. Marcel Cormier est mort quelques heures après son hospitalisation. Rien à voir avec la COVID, qui n’était pas encore déclarée au Québec, si bien que Louis-Jean Cormier a pu se rendre sur la Côte-Nord et faire ses adieux à son père.
C’est d’ailleurs cet aller-retour Montréal–Sept-Îles qui est la toile de fond du disque Le ciel est au plancher, un voyage musical de 40 minutes. Quiconque a dû avaler précipitamment des kilomètres et des kilomètres pour se recueillir sur la tombe d’un proche décédé revivra son périple en écoutant notamment la chanson 138 (référence à la route qui mène à Sept-Îles).
Sur la 138 en vitesse lumière
La forêt s’effrite et attend l’hiver
J’ai l’âme en orbite, un grand vide dans la chair
Je pense à la suite, je pense à hier
Mes chansons gravitent et résonnent en prières
Je dépasse la limite, les joues comme des rivières
En tout cas, moi, ces mots-là me rappellent quand j’ai foncé sur la 417 pour me rendre auprès de la dépouille de mon père en 1992, à la différence que c’était en juin et que le soleil couchant ajoutait des larmes à mes yeux.
Comme les peines d’amour, le deuil est inspirant. Dans son cœur meurtri et son âme chagrine, Louis-Jean Cormier a trouvé des formules d’une grande poésie pour éclairer des sentiments ténébreux. Il nous sert ça avec une voix haute qui donne des frissons. «Ma voix de sabbatique», dit-il.
Chaque chanson a son climat. Chacune est associée à un état d’âme.
Il y a les souvenirs que la disparition fait ressurgir.
J’ai retrouvé dans tes vieux longs-jeux l’album où Major Tom perd le contrôle
Ça m’a ramené les larmes aux yeux
On réalisait pas qu’on avait le plus beau rôle
Sans le poids du monde sur les épaules
(Bipolaire)
La peine.
Je marche depuis des heures dans la lune
À trembler comme une feuille
La nuit annonce une pluie d’enclumes
C’est-tu ça qu’on appelle faire son deuil?
(Le ciel est au plancher)
Les remises en question.
Je me sens trop souvent comme une lumière
Propriétaire d’une usine de noirceur
Je me sens trop souvent comme une prière qui a déjà vu clair, mais qui s’écœure.
(Tout croche)
Les regrets.
Je sais j’ai toujours trouvé qu’on ne se ressemblait pas
J’ai toujours voulu faire tout le contraire de ce que tu faisais autrefois
Maintenant j’ai compris que je marchais dans tes pas
Tu n’es plus là. Plus jamais là.
(L’ironie du sort)
Pour encore mieux saisir l’esprit de Louis-Jean Cormier sur ce disque, cela vaut la peine de dire un mot du défunt. À voir la photo de sa notice nécrologique, on voit tout de suite que Marcel Cormier était un homme bon. Avant de se marier et d’avoir trois enfants (Louis-Jean est le cadet), il a été prêtre. Autant dans sa vie religieuse que dans celle de séculier, l’homme a consacré beaucoup de son temps au chant choral. C’était un ami de Gilles Vigneault, avec qui il a étudié à Rimouski. Comme on dit, ceci explique cela. Je ne crois pas qu’on aurait un poète de la trempe de Louis-Jean Cormier sans le vivier dans lequel ce dernier a grandi. On remercie Marcel pour ça.
En entrevue, Louis-Jean Cormier me confiait avoir hérité des vinyles de son père. Dans sa collection, beaucoup de musique chorale, des polyphonies vocales de Josquin des Prés au Requiem de Fauré, de la chanson française et québécoise aussi, bien entendu. Mais pas de David Bowie. Le 33 tours Space Oddity auquel fait référence la chanson Bipolaire, c’est plutôt dans la collection du père de son ami et collaborateur à la réalisation François Lafontaine qu’il se trouve.
Puisant dans leur éclectique background musical, les deux fondateurs du groupe Karkwa ont créé comme une trame sonore de film qui est à la fois un hommage à la musique du père de Louis-Jean Cormier et une célébration de leurs propres influences. Ainsi, le piano peut par moment rappeler Chopin, et le soin apporté aux chœurs (entre autres avec les voix de Marie-Pierre Arthur et Erika Angell) comblerait certainement le directeur de chorale disparu.
Mais il y a aussi du rythme, avec un Robbie Kuster étincelant à la batterie, et une étonnante échappée jazz avec deux noms à retenir, Andy King, à la trompette et Erik Hove, au saxophone alto. Ce que ces deux musiciens nés au Canada anglais et formés à l’Université McGill de Montréal apportent comme couleur à ce disque est phénoménal.
Pour garder perceptible le sentiment d’urgence dans lequel cette création s’est faite, on a évité de trop peaufiner. Cet album sur le deuil est un enregistrement vivant, on entend même les craquements du piano sur la pièce Le large.
Selon Louis-Jean Cormier, faire ce disque a été un exercice salutaire.
«Le deuil permet de faire du ménage, de s’affranchir. Comme on dit, la vie continue. Il faut apprendre à vivre avec l’absence. Au bout du deuil, il y a de la lumière. Moi, personnellement, je me sens plus libre, j’ai moins peur de dire ce que je pense. Je suis aussi content de savoir que mon projet a également aidé ma mère, ma sœur et mon frère à faire leur deuil.»
À cause du thème abordé dans ce projet et de la facture, en dehors des modes, on peut prédire que cet album majeur vivra longtemps.
Louis-Jean Cormier est actuellement en tournée dans les villes québécoises où la présentation de spectacles est possible, avec un tour de chant qui inclut plusieurs de ses nouvelles chansons, dans des versions où la guitare remplace l’omniprésence des claviers du disque.
Stradivarius à Vienne
Le violoniste et chef de l’Orchestre symphonique de Longueuil, Alexandre Da Costa, propose de vous transporter à Vienne grâce à la magie d’un concert en webdiffusion. Le programme de Stradivarius à Vienne comprend des classiques de Strauss tels que Le beau Danube bleu, La valse de l’Empereur, et Tritsch-Tratsch Polka. L’OSL jouera aussi le Rondo de Mozart, et trois danses viennoises de Kreisler.
Alexandre Da Costa connait bien l’Autriche pour y avoir vécu, pour y avoir été soliste au Musikverein de Vienne, et même pour y avoir enregistré un disque avec l’Orchestre symphonique de Vienne. Comme le célébrissime André Rieu, Da Costa est un stehgeiger, soit un violoniste qui joue debout et qui dirige son orchestre en même temps. Comme le faisait Johann Strauss.
C’est donc à voir d’ici au 8 mai sur le site de l’Orchestre symphonique de Longueuil. Prix: 18$
Tout Mozart avec l’Orchestre classique de Montréal et le pianiste Jean-Philippe Sylvestre
Restons en Autriche avec Mozart, interprété par le pianiste Jean-Philippe Sylvestre, invité pour la première fois à partager la scène avec l’Orchestre classique de Montréal. Le concert, déjà enregistré à la salle Pierre Mercure, sera offert sur le web du 27 avril au 11 mai. Jean-Philippe Sylvestre interprètera le Concerto pour piano no 23 en la majeur K.488. Également au programme, le Divertimento en ré majeur K. 136 de Mozart, et la Symphonie concertante en sol majeur Op 13 de J. B. Chevalier de St-George, un compositeur guadeloupéen, contemporain de Mozart. Boris Brott et Xavier Brossard-Ménard se partagent la direction.
Prix: de 15$ à 30$
Nous sommes, vidéoclip de Beyries
Je vous laisse cette semaine avec un petit moment de grâce et de beauté: le dernier vidéoclip de l’auteure-compositeure-interprète québécoise Beyries. Nous sommes est la seule chanson en français de son disque Encounter. Les paroles sont de Maxime Le Flaguais et la musique, de Beyries. Le vidéoclip a été tourné à Saint-Adrien, en Estrie, par Raphaëlle Chovin, dans la neige, comme celle qui nous est tombée dessus cette semaine.