La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

L’Odyssée, Ma vie de Courgette et l’expo d’Alex Janvier, un triplé de feu pour la semaine de relâche

Cette semaine, j’ai trois propositions irrésistibles à vous faire. Deux films qui m’ont séduit (L’Odyssée et Ma vie de Courgette) et une exposition (Alex Janvier) vraiment étonnante. Dans chacun des cas, je ne m’attendais pas à être aussi emballé.


L’Odyssée

Commençons par le cinéma. L’Odyssée, de Jérôme Salle, raconte la vie du commandant Jacques-Yves Cousteau, personnalité préférée des Français, souvenir impérissable pour ceux qui ont eu la chance de le suivre dans ses expéditions sous-marines à la télévision.

On se méfie toujours un peu de ces films biographiques qui ambitionnent de raconter en deux heures la vie de personnages plus grands que nature. Il y avait lieu d’être suspicieux dans le cas de Jacques-Yves Cousteau (1910-1997), car le défi était colossal. L’homme a vécu 87 années hyperactives pendant lesquelles il a accumulé les faits d’armes et les frasques. Héros de guerre, inventeur d’équipements de plongée, découvreur de fonds marins, pédagogue, vulgarisateur, vedette du cinéma et de la télévision, défenseur acharné de l’environnement, Cousteau, qu’on a surnommé JYC, le «Pacha» ou Captain Planet, a aussi été, et ça on le sait moins, un mari volage, un père manquant et souvent odieux, un entrepreneur débridé qui faisait passer ses projets avant tout.

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Tout cela est évoqué dans L’Odyssée sans qu’on ait le mal de mer. Habilement, Jérôme Salle nous éblouit avec le spectacle de mers magnifiques, lointaines et profondes (le film a été tourné en Croatie, en Afrique du Sud, en Antarctique). On suit les traces de cet homme qui avait, le moins qu’on puisse dire, la bougeotte. Pour ce qui est de la trame narrative, le réalisateur se concentre principalement sur le caractère fonceur, proche de la mégalomanie, de Cousteau et des conséquences de ce comportement sur les relations avec son fils Philippe et sa femme, Simone. De Jean-Michel, l’autre enfant du couple, il est bien peu question. Ça aurait été un autre film, pas mal plus amer.

Photo: Jean-Marie Leroy
Photo: Jean-Marie Leroy

Dans le cas de Simone, c’est assez simple. On y voit une épouse toute dévouée, au point de jeter son ancre dans la Calypso, le fameux bateau qu’elle a contribué à payer en vendant ses bijoux de famille. Elle croyait aux projets de son mari et sera constamment à bord du navire à jouer la «bergère» pour l’équipage. Elle buvait pour tromper l’ennui. Audrey Tautou est extrêmement efficace dans le rôle.

Photo: Jean-Marie Leroy
Photo: Jean-Marie Leroy

Avec Philippe, c’est plus complexe. Entre le père et le fils, c’est la confrontation. La partition demande à Pierre Niney de jouer à la fois l’admiration et la défiance envers un père qui occupe toute la place. Celui qu’on a vu récemment sous les traits d’Yves Saint Laurent parvient avec nuances à faire émerger à l’écran la nature de cette relation houleuse.

Photo: Coco Van Oppens
Photo: Coco Van Oppens

Quant à Lambert Wilson, qui incarne le légendaire Cousteau, on adhère totalement. Il en a l’image et l’énergie. Aussi, il s’acquitte parfaitement de la lourde tâche de nous communiquer la dualité du personnage. On a connu Cousteau comme un battant charismatique. Par son jeu, l’extraordinaire acteur donne à voir aussi son côté égocentrique et opportuniste. Pas comme si c’était une tare, mais une nécessité pour faire advenir des ambitions qu’il avait pour lui et notre planète. L’image de héros de Cousteau est sauve, mais on mesure très bien le tribut qu’il a fait payer à son entourage pour la gagner.

Photo: Coco Van Oppens
Photo: Coco Van Oppens

L’Odyssée porte vraiment bien son titre, ce film est un voyage mouvementé semé d’incidents et d’aventures épiques.

Ma vie de Courgette

Ma vie de Courgette est l’autre belle surprise cinématographique de ma semaine. Il s’agit de l’adaptation du roman Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris paru en 2002. Le réalisateur Claude Barras et la scénariste Céline Sciamma en ont fait un bijou de film d’animation qui, franchement, s’adresse aux 9 à 99 ans.

Pas de longs préambules, dès les premières minutes, on fait la connaissance de Courgette, un enfant cerné qui joue tristement à faire voler un cerf-volant à partir de la fenêtre de sa chambre pendant que sa mère cale bière après bière en écoutant la télé trop fort. Et hop, Courgette tue accidentellement sa mère, ce qui le conduit dans un foyer d’accueil avec d’autres enfants aussi poqués que lui. Sinistre, vous dites? Les contes pour enfants sont souvent très violents. Ma vie de Courgette n’épargne pas le spectateur dans l’explication des raisons pour lesquelles ces enfants se retrouvent dans ce centre d’hébergement, mais le film insiste surtout sur leur résilience et célèbre leur façon d’accéder au bonheur.

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Le réalisateur Claude Barras l’explique ainsi: «La maltraitance est subie dans le monde extérieur et le foyer est le lieu de l’apaisement et de la réparation. C’est ce qui rend ce récit classique et moderne à la fois.»

Le film compte plusieurs belles scènes de solidarité entre les enfants. La classe de neige est absolument charmante. Pour ce qui est des adultes qui veillent sur eux, ils prennent les traits de la bonté pour faire contraste avec les méchants que la vie ne manque jamais de mettre sur nos chemins.

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Au-delà de l’histoire très touchante, Ma vie de Courgette est une réussite technique remarquable. On parle d’une méthode très artisanale, l’animation en volume (stop motion), qui demande du temps, de la patience et des ressources spécialisées. Des animateurs de partout ont contribué au projet.

60 décors, 54 marionnettes dans 3 déclinaisons de costumes, 15 plateaux, il a fallu une année de tournage, à raison de 3 secondes par jour, pour produire ce film de 66 minutes qui est, j’oserais dire, plein comme un œuf.

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J’enjoins à tous de rester jusqu’à la fin du générique. En plus de voir les noms de tous ceux qui ont collaboré à ce petit chef-d’œuvre, vous entendrez la magnifique chanson Le vent nous portera du groupe Noir Désir interprétée par Sophie Hunger, qui signe par ailleurs la bande sonore. Et ce n’est pas tout, il y a une belle trouvaille pour désamorcer le chagrin qu’un spectateur, petit ou grand, pourrait ressentir devant les malheurs de Courgette et de ses amis.

Derniers arguments pour vous convaincre, Ma vie de Courgette a remporté deux prix à la soirée des César en France: meilleure animation et meilleure adaptation. Il était aussi en nomination aux Oscars, mais le nom de Courgette n’était pas dans l’enveloppe…

Coup de cœur pour le peintre Alex Janvier

On parle souvent des deux solitudes, on pourrait plutôt dire les trois solitudes, car en ce pays, on connaît vraiment mal la culture autochtone. J’en ai eu la preuve en visitant l’exposition rétrospective que le Musée des beaux-arts du Canada consacre au peintre Alex Janvier. J’y ai découvert un artiste extraordinaire qui, je dois l’avouer humblement, m’avait complètement échappé.

Alex Janvier est né en 1935 dans la réserve Le Goff de la Cold Lake First Nation dans le nord de l’Alberta. Il fait partie de cette génération qu’on a arrachée à sa famille pour l’assimiler à la culture des blancs. L’art lui a permis de résister.

Oui, on peut percevoir ici et là, parmi les 150 peintures et dessins de l’exposition, des influences de Kandinsky, Picasso, Klee, Miro, mais l’ensemble de l’œuvre démontre sans équivoque la véritable appartenance d’Alex Janvier à la culture autochtone.

Photo: Claude Deschênes
Photo: Claude Deschênes

Sa façon de peindre le territoire, la nature, les traditions, les symboles est unique. On ne peut être que captivé devant un tableau à dominante de bleu qui décrit le froid de Cold Lake.

Sa série Les cercles donne l’impression d’une galaxie qui nous parle.

Photo: Claude Deschênes
Photo: Claude Deschênes

Beaucoup de douceur émane des formes et des couleurs qu’on retrouve dans les tableaux d’Alex Janvier, et pourtant, quand on lit les cartels, on réalise la violence qui a inspiré tant de beauté.

Ici, un tableau qui célèbre le retour du tambour, instrument essentiel de la culture autochtone, interdit par la Loi sur les Indiens de 1885 à 1951.

Là, une toile, peinte après la crise d’Oka en 1990, qui rappelle comment on a traqué les enfants autochtones pour les assimiler.

Et cette autre, crève-cœur, intitulée Larmes de sang, que Janvier a réalisée à l’âge de 65 ans pour raconter son enfance volée.

Photo: Claude Deschênes
Photo: Claude Deschênes

Plus que n’importe quel discours, les œuvres d’Alex Janvier font œuvre pédagogique. On comprend qu’il soit la fierté de sa communauté et tous les honneurs que l’artiste a reçus et continue de recevoir.

Janvier, c’est jusqu’au 17 avril au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa. Ça vaut le déplacement.