Sur la route avec Vincent Vallières
Mine de rien, ça fait 28 ans que Vincent Vallières est dans le paysage musical québécois, qu’il nous accompagne avec ses chansons. Plus d’une centaine de titres enregistrés sur neuf albums. Cet automne, l’auteur-compositeur-interprète s’en remet au seul pouvoir des mots en publiant son premier livre à vie. Du bitume et du vent, qui paraît chez Mémoire d’encrier, nous révèle un écrivain.
Il y a exactement un an, je tombe par hasard sur un statut Facebook de Vincent Vallières publié depuis Hearst, dans le nord de l’Ontario. L’artiste profite des moments libres que lui offre sa tournée du pays en solo (de Dieppe, Nouveau-Brunswick à Victoria, Colombie-Britannique) pour partager ses états d’âme sur sa page Facebook, accompagnés de photos de son cru. Je réalise alors que ce texte fait suite à de nombreux autres publiés au fil de ses déplacements.
À la fois tranche de vie personnelle, capsule historique, analyse sociographique, description de paysages, ces publications joliment illustrées m’impressionnent tellement que je décide de lui écrire:
«Permets-moi de te féliciter pour cet exercice de communication que tu fais en parallèle de ta carrière. Ta manière de parler et de montrer les endroits que tu visites, fait de toi un mémorialiste précieux. Tu nommes et montres le pays, ici et maintenant, au bénéfice de tous. C’est une extension à ton grand talent d’auteur-compositeur. Tu fais doublement profiter les milliers de kilomètres que tu parcours.»
Je n’ai pas été le seul à le lui dire, si bien que l’idée de consigner en un livre tout ce que les villes visitées en tournée lui ont inspiré s’est concrétisée.
Ça nous donne une cinquantaine de portraits différents sur 250 pages. Avec lui, on découvre des paysages, des gens, des lieux. Son passage à Mani-Utenam, chez son ami Florent Vollant, nous apprend ce que ça signifie vivre sur une réserve. À Shawinigan, il mesure le vide que crée la disparition de l’industrie des pâtes et papiers. À Rouyn, il témoigne du poids de vivre à côté d’une usine qui rejette de l’arsenic. Asbestos, ville de ses grands-parents, nous vaut une leçon d’histoire sur la fameuse grève qui a divisé la population en 1949.
Vincent Vallières est un être social qui a toujours manifesté dans ses chansons un parti-pris pour le monde ordinaire. Il est pareil dans son rôle d’observateur des communautés qu’il visite.
Il ne se prive pas non plus d’anecdotes plus triviales, comme il en arrive à quiconque joue les saltimbanques soir après soir dans des salles remplies de gens venus faire le party.
Il y a aussi des pages très touchantes où c’est le père de famille qui parle, constamment surpris de la rapidité avec laquelle ses trois enfants poussent, ou encore l’amoureux qui dit merci pour tout à sa douce moitié.
Le style oscille entre poésie, parler-vrai, et écriture journalistique. On est à la fois charmé, ému et informé. Pas mal pour un garçon qui a eu maille à partir avec les mots dans sa prime jeunesse.
En effet, ce livre commence par un aveu terrible. Dans le prologue, il raconte combien, enfant, les mots lui ont donné du fil à retordre.
«J’avais beau essayer, faire de mon mieux, je n’y arrivais pas. J’étais incapable d’apprendre à lire et à écrire. Le matin, je me levais avec une boule au ventre, angoissé à l’idée de devoir retourner à l’école.»
Ceci lu, on se dit que ce premier livre est d’autant plus une victoire pour son auteur. Et une raison supplémentaire pour nous de s’y plonger.
On peut aussi accompagner la lecture de cet ouvrage en écoutant le disque L’entends-tu encore, Vallières? Cet enregistrement live du spectacle solo Toute beauté n’est pas perdue, sorti l’an dernier, est en nomination dans la catégorie Album de l’année-réinterprétation au gala de l’ADISQ la semaine prochaine.
Il est même possible de rattraper le chanteur en spectacle. Il sera sur scène à Alma les 3 et 4 novembre, et à Saint-Constant le 10 novembre.
VU: Swan Song, un documentaire sur le défi de monter Le lac des cygnes à notre époque
Le ballet classique survivra-t-il à notre époque? Le formidable documentaire Swan Song, à l’affiche en exclusivité au Cinéma du Musée à compter du 27 octobre, soulève l’épineuse question.
Dans ce film de 100 minutes, nous sommes témoins des périls que Karen Kain, ancienne directrice artistique du Ballet national du Canada, rencontre en montant Le lac des cygnes, œuvre créée originellement à Moscou en 1877. Non seulement c’est la première fois qu’elle dirige une production, elle doit le faire en contexte de situation financière précaire héritée de deux années de COVID.
Comme legs artistique, l’ancienne danseuse étoile, portée à ses débuts par nul autre que Rudolf Noureev, souhaite accoucher d’une production respectueuse des nouvelles valeurs d’équité, de diversité et d’inclusion adoptées par le Ballet national sous sa gouverne.
Vaste programme dans un milieu bâti sur les traditions, les castes, l’uniformité, la discipline.
Ayant accordé l’accès illimité à l’équipe de la productrice Neve Campbell (une ancienne danseuse qui s’est recyclée dans le cinéma d’horreur!), Karen Kain doit travailler à visière levée.
Au cours du film, tous les irritants paraissent, et le sourire si radieux de l’ex-ballerine, aujourd’hui âgée de 72 ans, disparaît pour faire place à la mine sombre des gens qui doutent.
Il y a la première danseuse, Jurgita Dronina, qui en fait à sa tête, même si elle ne peut éviter d’avouer, devant la caméra intrusive, qu’elle combat secrètement une inquiétante vieille blessure. On voit poindre la jalousie dans le corps de ballet quand l’une du groupe est élevée au statut de substitut au premier rôle. Il y a aussi le désarroi évident chez les danseuses à l’idée que pour la première fois de l’histoire du Lac des cygnes les porteuses de tutus en plumes blanches apparaîtront sur scène les jambes nues pour ne pas masquer leur vraie couleur de peau. On est également témoin de l’exaspération des danseuses devant la cadence militaire que leur impose le jeune associé chorégraphique de Karen Kain. Robert Binet pousse sur ses troupes, car c’est lui qui a le mandat de faire advenir sur scène la mythique cohésion du corps de ballet imaginée par Marius Petipa en 1895.
Et que dire du monde qu’il y a entre la vie rock’n’roll de Shaelynn Estrada et la rigueur qu’on exige d’elle en salle de répétition? Son maître de ballet ira jusqu’à lui suggérer de faire son lit, que cela l’aiderait à se discipliner!
Les scènes tournées dans les jours précédant la grande première nous font croire que le spectacle de trois millions de dollars s’en va directement dans un mur. En passant, on est soufflé par le gigantisme de la compagnie torontoise où s’agitent, dans l’ombre, un nombre incalculable de travailleurs, des costumières aux techniciens de scène en passant évidemment par un orchestre symphonique complet dans la fosse pour interpréter la partition de Tchaïkovski.
Et arrive le soir de première. Tout tombe en place, la magie opère! Les caméras sont partout à la fois pour nous montrer les visages qui se détendent, le bonheur de danser reprendre ses droits. On oublie le côté désuet des tutus et des déplacements sur pointes, si peu naturels dans la vie, pour ne voir que la beauté, la grâce et la pureté de la danse classique.
Ce film, qui nous emporte dans une suite d’émotions diverses, se termine donc dans une cascade de sourires. Des mines réconciliées avec la vie, qui semblent dire, oui, c’est beaucoup de sacrifices et de bobos, mais c’est le prix à payer pour faire triompher l’amour de la danse.
Swan Song est présenté en anglais avec sous-titres français au Cinéma du Musée. Le réseau de télévision CBC diffusera le documentaire en quatre épisodes à compter du 22 novembre à 20 h.