Pleins feux sur Louise Harel, une femme sans compromis
La biographie Louise Harel. Sans compromis de Philippe Schnobb révèle la pugnacité d’une femme dont les réalisations sont trop peu connues, malgré qu’elle ait contribué puissamment à transformer le Québec en matière d’aide sociale, d’équité salariale et d’accueil des immigrants. Cet ouvrage, qui va au-delà de sa voix douce et de ses 5 pieds, aide à comprendre pourquoi on l’a surnommée l’impératrice de l’Est.
Louise Harel est très identifiée à l’est de Montréal. Et pour cause, elle a représenté consécutivement les circonscriptions de Maisonneuve et Hochelaga-Maisonneuve de 1981 à 2008, pour un total de 27 ans et demi à l’Assemblée nationale.
Mais Louise Harel n’est pas une fille de l’Est. Comme son frère Pierre, le poète du groupe Offenbach, et sa sœur Suzanne, la conceptrice des costumes de la Petite vie, elle naît à Sainte-Thérèse, village on ne peut plus canadien-français, en 1946.
La jeune Louise plonge très jeune dans l’action. Dès le secondaire, elle s’implique dans le journal étudiant. Suivront des postes de direction dans des organisations étudiantes. Elle croise sur son chemin, à l’Union générale des étudiants du Québec (UGEQ) notamment, beaucoup de fortes têtes comme elle, pensons à Bernard Landry, Claude Charron, Jean Doré, Gilles Duceppe.
Ceux qui ont un certain âge aimeront certainement revivre la naissance du Parti québécois (PQ), cette coalition de Québécois souverainistes qui a bousculé le bipartisme rampant de l’époque, avec les tiraillements que suppose un regroupement de militants venus de différents courants politiques.
À la tête de l’association de Montréal-Centre, Louise Harel campe déjà à gauche et se fait une réputation d’être la bête noire du chef, René Lévesque. En fait, tout le parti goûte à sa médecine. Cette femme calme à la voix douce cache une travailleuse acharnée, une Machiavel qui s’arrange pour avoir un coup d’avance sur ses adversaires grâce à son art de créer des alliances. Une manière de faire qui l’a accompagnée toute sa vie et lui a valu plusieurs réussites dans des domaines loin d’être gagnés d’avance.
Au chapitre de ses réalisations, mentionnons son succès à faire passer la loi sur l’équité salariale, la réforme du Code civil, celle de l’aide sociale qui fait passer le nombre de prestataires de 800 000 en 1996 à près de 300 000 aujourd’hui et les fusions municipales, charcutées par les libéraux à leur retour aux affaires.
Philippe Schnobb n’a pas lésiné pour dresser le portrait le plus juste possible. Il a comptabilisé plus de 50 heures d’entrevues avec son sujet et près de 70 entretiens avec des personnes qui ont eu affaire à elle… pour le meilleur comme pour le pire, chez ses adversaires politiques comme chez ses frères d’armes.
En fouillant dans les procès-verbaux de certaines réunions de cabinet, le biographe nous fait réaliser à quel point donner un salaire égal aux femmes, plus d’argent aux assistés sociaux en pleine crise économique ou fusionner des villes rivales n’a pas été une tâche de tout repos pour la ministre. Fascinant aussi de constater combien la sororité a souvent fait la différence, tout comme l’appui de ses différents premiers ministres qui n’avaient d’autres choix que de s’incliner devant tant de ténacité à l’ouvrage.
En tout cas, on peut dire que l’exercice du pouvoir au féminin a fait une différence avec Louise Harel. Au nombre de ses faits d’armes, il faut rappeler qu’elle a été la première femme à être présidente de l’Assemblée nationale.
En lisant Louise Harel. Sans compromis, on réalise aussi combien sa présence au cabinet pendant tant d’années a rejailli sur l’est de Montréal qu’elle représentait. L’élue a usé de son poids politique pour restructurer ce secteur de la métropole québécoise qui, faut-il le rappeler, a perdu plus 7 500 emplois entre 1981 et 1986 avec la fermeture des Shops Angus, de la Vickers, de la Canadian Steel, de Steinberg.
Le livre se termine sur un épisode moins glorieux, son passage en politique municipale, qui s’est soldé par une présence dans l’opposition de 2009 à 2013, et une défaite, en 2013, aux mains d’une jeune inconnue, Valérie Plante.
Catherine Dorion aurait avantage à lire cette biographie d’une élue qui est parvenue à faire avancer ses idées progressistes tout en travaillant dans un système qui ne l’avantageait pas, et cela, sans jamais se compromettre.
D’ailleurs, j’ai été très impressionné par l’habileté avec laquelle Philippe Schnobb parvient à résumer les nombreuses crises qui ont secoué le PQ au fil des ans et au centre desquelles se trouvait souvent Louise Harel. La politique est tellement soporifique de nos jours qu’on oublie combien le Parti québécois avait l’art de cultiver les psychodrames, qu’on pense aux débats internes sur la question référendaire, sur le beau risque, la charte de la laïcité, et toutes ces courses fratricides à la direction du parti.
Un mot, d’ailleurs, pour terminer, sur l’auteur de ce livre. Philippe Schnobb n’est pas un ami, mais certainement un ancien collègue que j’ai beaucoup apprécié du temps où, à Radio-Canada, il traitait de changements technologiques, de politique municipale, en plus d’être souvent chef d’antenne. Nous venons tous les deux de Hull et partageons un intérêt pour la culture. Avant d’étudier en histoire, il a fait un diplôme d’études collégiales (DEC) en théâtre au Collège Lionel-Groulx. J’ai été bien surpris lorsqu’il a quitté le confort douillet d’un poste permanent à la salle des nouvelles pour se présenter en politique municipale aux côtés de Denis Coderre. Il n’a pas été élu, mais s’est quand même retrouvé à la présidence de la Société de transport de Montréal (STM), poste qu’il a occupé de 2013 à 2021. Je me demandais bien où il allait atterrir après de telles fonctions. Le métier de biographe lui va très bien. Son livre se lit avec aisance et avec un intérêt soutenu de la première à la 350e page.