La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

L’Infini: la version futuriste de Fly Me To The Moon

Me croirez-vous si je vous dis que je suis allé dans l’espace cet été? Oui, oui, je me suis amusé parmi les étoiles, j’ai parcouru quelques modules pressurisés de la Station spatiale internationale (SSI), croisé l’astronaute David Saint-Jacques, qui s’entraînait, contemplé notre planète bleue par le hublot. En tout cas, j’ai fait le maximum qu’on puisse faire en ce sens en restant les deux pieds sur terre grâce à l’expérience immersive L’Infini, offerte en primeur mondiale par le Centre Phi à Arsenal Art Contemporain. Mesdames et messieurs, on est rendu là avec la réalité virtuelle, ça se passe chez nous, et c’est tout simplement fascinant.



Comment réussit-on à nous faire vivre l’illusion d’être dans l’espace? En poussant les limites actuelles de la réalité augmentée et des réalités mixtes engageantes. Je ne veux pas vous perdre avec ces concepts qui sont la spécialité du studio montréalais Félix et Paul (Félix Lajeunesse et Paul Raphaël), je suis moi-même dépassé par ces nouvelles technologies, mais je peux vous dire que l’illusion est parfaite.

Ça commence par l’embarquement. Quand on achète son billet, on a une heure de départ. À l’heure dite, on se présente à un comptoir aux allures futuristes pour se faire expliquer les consignes. On nous attribue ensuite l’outil qui nous permettra de passer dans une autre dimension: le casque VR-Oculus Quest 2, qui ressemble à un masque de plongée, dans lequel on verra un montage d’images captées dans l’espace en version 360 degrés.

Photo: Claude Deschênes

On aurait pu se contenter de nous assoir sur une chaise pour nous faire visionner ce matériel à lui seul spectaculaire, mais on a construit pour le visiteur un parcours virtuel. Les images qu’on voit dans notre casque VR sont intégrées à un décor qui s’active au gré de nos mouvements.

Photo: Claude Deschênes

On se promène donc comme si on avait les yeux bandés, mais au lieu de ne rien voir, c’est l’intérieur de la station spatiale qui apparaît devant nos yeux. Nous sommes alors parmi les astronautes qui mangent, travaillent, s’activent, en apesanteur, la tête à l’envers, les pattes dans les airs. On a aussi l’occasion de faire une sortie dans le vide sidéral, la Terre littéralement sous les pieds.

Pour déclencher les contenus, il faut saisir les bulles qui apparaissent devant nous. Dans l’architecture de leur programme, les concepteurs ont prévu faire apparaître nos mains si on tend les bras, et pour éviter de foncer dans les autres visiteurs, qui ne savent pas plus que vous où ils vont, leurs silhouettes apparaissent dans votre champ de vision. Et c’est à la couleur du cœur qu’on distingue nos proches des inconnus qui nous entourent.

Le parcours se termine, assis, avec l’observation de notre bonne vieille Terre par le hublot. La vue est époustouflante, mais je me suis quand même surpris à examiner le nombre de boulons et rivets qu’il a fallu pour assembler cette station spatiale qui pèse plus de 400 tonnes, fait 110 mètres de long et flotte au-dessus de nos têtes depuis 1998.

L’expérience avec le casque dure près de 40 minutes. On perd littéralement la notion du temps. Personnellement, j’ai aussi perdu beaucoup d’informations. Les astronautes qui nous parlent, les sous-titres, la quantité de détails à observer dans la station, la manière pas très fluide avec laquelle on se déplace avec le casque VR sur la tête, mes sens étaient trop sollicités pour tout enregistrer. Faudrait que j’y retourne. Ma blonde me prie de vous dire que les lunettes et le casque n’ont pas trop fait bon ménage pour elle. Les gens sujets au vertige peuvent également trouver l’expérience éprouvante. À tout moment, il suffit de lever la main pour obtenir assistance, on ne laisse personne perdu dans l’espace…!

Ma plus grande surprise a été de voir à quoi ressemble la salle où j’avais passé les dernières minutes. Le grand espace de plus de 10 000 pi2 qui a accueilli l’exposition virtuelle Imagine Van Gogh est vide, que des points verts au sol pour déclencher les contenus. Magie!

Photo: Claude Deschênes

Avant d’accéder à la sortie, on traverse trois installations artistiques sur le thème de l’infini. Celle de l’artiste japonais vivant à Paris Ryoji Ikeda, The Universe Within the Universe, est aussi frénétique que captivante. À déconseiller aux épileptiques.

Photo: Claude Deschênes

L’Infini est présenté à Arsenal Art Contemporain jusqu’au 7 novembre. L’événement se déplacera ensuite à Houston au Texas. C’est une chance d’avoir ce genre de contenu innovateur, raffiné et exclusif, à Montréal. Je suis persuadé que toutes les grandes villes du monde nous envient cette proposition qui n’est rien de moins que le divertissement de l’avenir, car il met les technologies les plus avancées au service de contenus qui, en plus de divertir, portent à réfléchir sur la vie, l’environnement, la politique.

Anecdote à propos de Félix

En 2003, le service de l’information de Radio-Canada décide de renouveler son bulletin de nouvelles du début de soirée. Exit le Montréal, ce soir, place à Aujourd’hui. Simon Durivage prend la chaise de Pascale Nadeau, et on le fait officier à compter de 17h plutôt que 18h. Pour rajeunir l’équipe et amener de nouvelles façons de faire, deux jeunes réalisateurs sont embauchés: Marie Belzile et Félix Lajeunesse, le bien nommé. L’idée était louable, mais le public n’adhère pas à la nouvelle formule et à la nouvelle heure. La plogue est alors tirée, comme on dit, et l’avenir radio-canadien de nos deux jeunes recrues s’arrête à peu près là. Ils rebondiront de façon spectaculaire ailleurs. Marie Belzile à Moment Factory et Félix Lajeunesse, dans une boîte qu’il fonde en 2013 avec entre autres Paul Raphaël. Depuis, Félix et Paul ont travaillé à des contenus en réalité virtuelle avec le Cirque du Soleil, Barack et Michelle Obama, Bill Clinton, Jurassic World, le joueur de basketball LeBron James, et la NASA. La petite boîte du Vieux-Montréal est aujourd’hui la seule entreprise au monde à collaborer officiellement avec le laboratoire national américain de la Station spatiale internationale (SSI).