Leurs drôles de vies de Catherine Pépin, comme un kaléidoscope
Notre chroniqueur Claude Deschênes a lu le livre Leurs drôles de vies de Catherine Pépin. Voici ce qu'il en a pensé.
Vous savez combien j’aime les biographies, ce genre littéraire qui permet de mieux connaître les célébrités qui font partie de nos vies. Cette semaine, c’est d’un dérivé de la biographie dont je veux vous parler que j’appellerais le livre kaléidoscope. Dans Leurs drôles de vies, qui vient de paraître aux Éditions La Presse, l’animatrice d’Ici Musique, Catherine Pépin, passe au tamis toutes les histoires qu’elle a lues sur Aznavour, Piaf, Félix, Barbara, et tant d’autres, et en retient les pépites les plus brillantes dans un florilège réparti en différents thèmes. Ainsi, des faits et des anecdotes déjà entendues (surtout si on écoute son émission Le temps d’une chanson) prennent une forme différente grâce aux jeux de miroirs auxquels elle s’adonne pour notre plus grand plaisir.
Le saviez-vous?
Moustaki, qui n’est pas Grec, a délaissé son prénom italien Giuseppe pour celui de Georges en hommage à Georges Brassens.
Brassens, lui, a osé faire de la chanson en s’accompagnant à la guitare à cause de Félix Leclerc, qui l’a fait avec succès en premier.
Les premiers pas aux États-Unis des deux grands Charles de la chanson française, Aznavour et Trenet, ne se sont pas faits sur scène, mais à la prison d’Ellis Island, à New York.
Guy Béart, Boris Vian et Antoine ont en commun d’être passés par l’École centrale et d’être des ingénieurs diplômés. Oh, yeah! pour reprendre les mots de la chanson Les élucubrations d’Antoine.
Il faut que je me retienne de reprendre ici les histoires savoureuses que Catherine Pépin étale sur plus de 200 pages. Le plaisir de son livre réside dans sa manière à elle de raconter et de relier toutes ces anecdotes les unes aux autres. On est constamment surpris par les liens qu’elle fait entre les aventures, mésaventures, coups du hasard et autres épiphanies vécus par tout ce beau monde du milieu de la chanson.
Pour éviter de jouer au divulgâcheur, je me contenterai, presque, d’énumérer les thèmes qu’elle aborde.
Le livre commence avec des histoires d’exils. Aznavourian, Ginsburg, Mustacchi, Livi (le nom de naissance d’Yves Montand): comme il est émouvant de constater à quel point les enfants de l’immigration ont enrichi la chanson française.
L’ouvrage se termine sur une note grave avec des histoires de ventes aux enchères crève-cœur où le patrimoine de plusieurs de nos grandes vedettes de la chanson est dilapidé aux quatre vents.
Entre les deux, il est question d’objets fétiches (la robe noire de Piaf, notamment), de solfège (tous les artistes de la chanson ne savent pas écrire la musique), de carrière abandonnée pour l’enseignement (Mireille et Lucile Dumont).
Dans le chapitre intitulé De profil, on aborde ces chirurgies esthétiques qui ont changé le pif et la vie de Juliette Gréco, Barbara, Pauline Julien et Aznavour. Celui sur leurs cabanes au Canada dit tout du thème abordé, comme cet autre sur leurs amis les animaux où il est bien sûr question de la guenon Pépé de Ferré, mais aussi du lama de Bécaud prénommé… Serge!
J’ai particulièrement aimé les pages regroupées sous le titre Des refus, des regrets. Catherine Pépin nous parle avec force détails de grandes chansons qui ont traversé les époques, mais dont on ne soupçonne pas la fragilité originelle. Yves Montand a d’abord dit non à C’est si bon! Personne ne voulait prendre le risque de chanter Le déserteur de Boris Vian. N’eût été Mistinguett qui la trouve au milieu de leur salon, la chanson Y a d’la joie d’un jeune débutant du nom de Trenet n’aurait jamais été interprétée par son amant Maurice Chevalier.
J’ai été emporté par le style vif et enjoué de Catherine Pépin, qui ne lésine pas sur les détails pour bien trousser ses anecdotes. C’est un plus pour moi de savoir que c’est Moustaki qui conduisait lors du tragique accident d’Édith Piaf sur la Nationale 10 en septembre 1958 (un mois après ma naissance), à bord d’une rutilante Citroën DS 19 (ma voiture préférée de tous les temps).
J’avoue, je suis un fan de Catherine Pépin. Je la suis depuis ses débuts radiophoniques en 1998 à Macadam Tribu, animée par le regretté Jacques Bertrand (décédé le 10 novembre 2014, il y a donc 10 ans cette année). Tant de talents ont émergé de cette émission! Outre cette jeune Française fraîchement débarquée à Montréal, mentionnons Stéphane Leclair, Émilie Dubreuil, Philippe Laguë, Bruno Guglielminetti, Jean-François Nadeau.
En lisant Catherine Pépin, j’entendais la voix, les inflexions, la passion si caractéristique de son animation à Ici Musique. Si vous ne connaissez pas son émission Le temps d’une chanson, il n’est pas trop tard pour vous y abonner. Depuis 2012, elle nous donne rendez-vous tous les samedis de 10 heures à midi pour deux heures enchantées d’histoire de la chanson française avec une sélection musicale (des années 1920 aux années 1970) qui nous plonge immanquablement dans la musique de nos souvenirs. Tellement que l’émission pourrait s’appeler C’est si bon, en français!
Cette fille baigne dans la chanson depuis qu’elle est toute petite. Son père, confie-t-elle, était un grand admirateur de Georges Brassens. D’ailleurs le livre Leurs drôles de vies est orné de petits dessins du chanteur à la pipe faits par papa Pépin.
Sa passion pour la musique déborde les frontières de son livre et de ses émissions à Ici Musique (Le temps d’une chanson le samedi et Le temps d’une escale le dimanche). Nouvellement cinquantenaire, cette mère de quatre enfants, dont Otto, jeune chanteur à surveiller, trouve le temps d’être DJ (aux FrancoFolies de Montréal, par exemple) et conceptrice de spectacles.
On reparlera d’elle en mars 2025 lors de la reprise en tournée à travers le Québec de Toutes ces elles, un show de son cru qui «met en lumière les mots et les musiques d’autrices francophones d’ici et d’ailleurs» (Anne Sylvestre, Ariane Moffatt, Ingrid St-Pierre, Angélique Kidjo, etc.).
J’oserais exprimer une faveur en terminant. Si elle a du temps, pourquoi pas un tome deux à cette histoire décalée de la chanson française? Que voulez-vous, j’aime la chanson française en kaléidoscope.