La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Les 7 doigts, Vues d’Afrique, Vallières… Quand la pandémie n’a pas raison de tout

Ça fait plus d’un an que la pandémie a mis nos vies entre parenthèses. Et pour peu qu’on aime la culture, c’est un désastre d’avoir été coupé du spectacle vivant aussi longtemps. Comme chroniqueur culturel, je ne peux pas m’en plaindre chaque semaine, ça deviendrait lassant. Mais cette semaine, j’ai vu à la maison En panne, un film produit par la compagnie de cirque Les 7 doigts de la main, et j’ai réalisé combien le spectacle vivant me manque. Vous avez jusqu’au 18 avril pour le voir en ligne, au coût de 16,82$. Disponible seulement au Québec et en France.



En panne est probablement la plus belle proposition culturelle qui m’a été faite depuis mars 2020. On n’est pas devant une captation de spectacle, mais plutôt face à une création cinématographique débordante d’imagination. Un exemple de réinvention!

Sous la direction inspirée de Gypsy Snider et Isabelle Chassé, deux fondatrices des 7 doigts de la main, dix artistes de cirque, masqués, ont accepté le jeu de faire leurs numéros dans un chapiteau vide, sans les applaudissements qui récompensent généralement leur adresse. Le film, qui dure 56 minutes, a été tourné à la Tohu l’automne dernier alors que Montréal était en zone rouge.

«En panne» est probablement la plus belle proposition culturelle qui m’a été faite depuis mars 2020. Photo: Sébastien Lozé

On y retrouve la signature des 7 doigts: de la poésie, de la performance, de l’humour dérisoire, un choix musical irrésistible et beaucoup d’humanité.

Photo: Sébastien Lozé

Contorsion, main à main, fil mou, mât chinois, jonglerie, planche coréenne, toutes ces disciplines qu’on connaît bien sont ici amenées de manières toutes plus originales les unes que les autres. La manière hallucinante dont les numéros sont tournés compense pour l’absence de l’énergie du live. On n’est pas surpris de voir au générique que le monteur du film, Francisco Cruz, agit aussi comme consultant acrobatique.

La manière hallucinante dont les numéros sont tournés compense pour l’absence de l’énergie du live. Photo: Sébastien Lozé

Je suis d’ailleurs tenté de nommer tous les créateurs associés à ce projet: Olivier Landreville aux décors, Elen Ewing aux costumes, Véronique St-Germain aux maquillages, Alexandre Picotte aux éclairages, Colin Gagné à la conception sonore. C’est une réussite à tous les niveaux.

Ce spectacle est une réussite à tous les niveaux. Photo: Sébastien Lozé

J’ai été ébahi par les acrobaties, ému par les images fortes, frappé par les bonnes voix de ceux qui chantent, j’ai ri au moment où je ne m’y attendais pas. Et lorsqu’à la fin du spectacle les artistes viennent saluer, enlevant leurs masques et laissant apparaître leurs visages tristes devant l’absence du public, je me suis effondré en larmes. Ça non plus, je ne l’avais pas vu venir.

J’ai été ébahi par les acrobaties, ému par les images fortes, frappé par les bonnes voix de ceux qui chantent, j’ai ri au moment où je ne m’y attendais pas. Photo: Sébastien Lozé

Parce qu’il touche à toute la gamme des émotions, En panne est vraiment à voir. Aussi ce film demeurera-t-il pour toujours un document précieux pour se rappeler combien la pandémie a été dure pour le milieu culturel, et combien les artistes ont su souvent lui tenir tête avec imagination et résilience.

Festival international de films Vues d’Afrique

Le festival international de films Vues d’Afrique, qui avait réussi à se réinventer aux premières heures de la pandémie l’année dernière, est de retour pour sa 37e édition jusqu’au 18 avril.

La formule numérique imaginée l’an dernier est reprise à l’identique. Ainsi, 159 films de 51 pays sont offerts gratuitement sur le site web du festival et via les applications pour mobiles et télévisions connectées de TV5 Québec-Canada et Unis, où que l’on soit au Canada. Il suffit de consulter l’horaire. Les titres proposés (longs métrages, documentaires, films d’animation, courts-métrages) changent toutes les 48 heures.

C’est le téléfilm franco-algérien Les sandales blanches qui ouvre le bal. Ce film de Christian Faure raconte le difficile parcours d’une petite fille d’immigrants algériens pour percer dans le domaine de l’art lyrique en France. Il s’agit de l’adaptation du livre du même titre de Malika Bellaribi, mezzo-soprano connue sous le nom de «diva des banlieues».

Le film a beaucoup fait parler de lui lors de sa diffusion sur France 2 en janvier dernier. Il faut dire que le rôle principal est tenu par la chanteuse Amel Bent, très médiatisée ces temps-ci pour sa participation comme coach à l’émission The Voice, et son duo avec le rappeur Hatik.

La voir chanter des airs de Carmen dans Les sandales blanches surprend un peu, d’autant qu’elle a été doublée.

Le message du film qui dit que pour réussir il faut persévérer et ne pas se laisser abattre par l’adversité est inattaquable, mais malheureusement, l’ensemble manque de conviction en raison d’une direction d’acteurs plutôt déficiente. On s’étonne que ce téléfilm ait été retenu pour ouvrir le festival.

Écouté: Toute beauté n’est pas perdue de Vincent Vallières

Et de huit pour Vincent Vallières. À 42 ans, l’auteur-compositeur-interprète de Sherbrooke nous revient avec un nouveau disque finement concocté en pleine pandémie avec un de ses grands chums, André Papanicolaou, à la réalisation, et une connaissance devenue complice, Martin Léon, à la direction artistique.

À 42 ans, l’auteur-compositeur-interprète Vincent Vallières nous revient avec un nouveau disque finement concocté en pleine pandémie. Photo: Le petit russe

Sur Toute beauté n’est pas perdue (quel beau titre!), j’ai eu l’impression de retrouver un Vallières plus grave, comme si la quarantaine lui faisait voir le monde avec encore plus d’acuité. La sensibilité qu’il a toujours eue pour les autres dans ses chansons demeure très présente, mais il se permet aussi quelques introspections qui viennent avec l’âge.

Sur Heille Vallières, chanson qui ouvre le disque, il s’interpelle.

La drive du début

La promesse de l’élu

Vallières

Le kid en colère

La sueur de ton grand-père

La voix de ton mentor

L’entends-tu encore?

Sur Toute beauté n’est pas perdue (quel beau titre!), j’ai eu l’impression de retrouver un Vallières plus grave, comme si la quarantaine lui faisait voir le monde avec encore plus d’acuité.

Musicalement, on n’est pas surpris d’entendre autant de guitares sur cet album. Vallières ne serait pas Vallières sans cet instrument de prédilection des troubadours qu’il a été et est toujours.

Gibson, Rickenbacker, Silvertone, Danalectro, Fender Telecaster, Gretsch, Guild F-412, elles sont toutes nommées dans le livret, et toutes bien audibles sur les pistes. Il y a aussi une grande utilisation de claviers d’autrefois comme le Mellotron, le Wurlitzer et le Fender Rhodes, et cela donne un son qu’on aime réentendre.

Ce projet serait une affaire de gars si ce n’était de quelques présences féminines aux voix. Celle d’Amélie Mandeville est créditée aux chœurs, alors qu’Ingrid St-Pierre et Marjo ont été sollicitées pour deux duos qui amènent une touche différente à l’ensemble du son de l’album, particulièrement la chanson avec Marjo. L’accompagnement au piano de Tout n’est pas pour toujours a quelque chose de solennel. Avec son texte plein de mélancolie et de finalité, c’est comme si c’était la chanson qui vient après On va s’aimer encore.

Tout n’est pas pour toujours

Je sais bien mon amour

Le temps file comme le feu

Déjà l’heure des adieux

On risque bien de l’entendre souvent dans les funérailles celle-là.

Je vous laisse avec ma préférée, Le jardin se meurt, six minutes planantes, garanti! Y a du Martin Léon là-dessous! Et pour ce qui est du texte, une entrevue de Vallières dans le Journal de Montréal m’a rassuré; non, il ne s’est pas séparé de sa blonde. L’histoire qu’il raconte, il l’a trouvée dans la vie des autres. Quand je vous dis que ce gars-là a une sensibilité pour autrui…