Le successeur: quand l’acteur Marc-André Grondin a de l’ascendant sur un film
J’aime à répéter qu’il n’y a rien comme voir un bon film au cinéma pour avoir aussitôt envie d’y retourner. À cet effet, mon année 2024 commence fort. J’ai enchaîné Maestro, La zone d’intérêt, et Anatomie d’une chute, tous en nomination aux Oscars, avec un intérêt sans cesse croissant. La barre était haute pour Le successeur de Xavier Legrand, qui sort ce vendredi à travers le Québec. Pari gagné. L’acteur principal, Marc-André Grondin, en fait un film qu’il faut absolument voir au cinéma tant il a de l’ascendant sur cette coproduction France-Québec-Belgique.
Il y a des films qui mettent du temps à nous embarquer; ce n’est pas le cas des quatre derniers films que j’ai vus. La première scène de Maestro se passe le matin dans la pénombre d’une chambre aux rideaux fermés, suivie d’un époustouflant plan-séquence qui agit comme une locomotive sur le reste de cette biographie de Leonard Bernstein. La zone d’intérêt, campée à Auschwitz, débute par de très longues secondes où on devient mal à force de ne rien voir. Pas mal pour nous mettre dans l’ambiance d’un film sur l’aveuglement volontaire dans l’Allemagne nazie! Dans Anatomie d’une chute, on est immédiatement aspirés dans l’univers toxique qui règne dans la maison alpine d’une écrivaine qui deviendra, quelques minutes plus tard, une scène de crime.
Il en va de même pour Le successeur, qui nous happe dès les premières secondes avec un défilé de mode spectaculaire. Le public qui y assiste est installé le long d’un parcours en forme de spirale. Les mannequins défilent à leurs pieds sur un plancher tout blanc et une musique entêtante (de SebastiAn).
En coulisse, on sent le designer Ellias Barnès (Marc-André Grondin), concepteur de cette superbe collection, rongé par le trac. C’est son baptême de feu chez Orsino, maison de haute couture parisienne qui vient de perdre son fondateur. Son triomphe sur la passerelle ne laisse aucun doute sur l’avenir brillant qui l’attend.
Le film n’a pas encore 15 minutes au compteur qu’on déchante un peu pour l’enfant prodige. Côté santé, notre jeune homme est ennuyé par des problèmes de cœur, à moins que ce ne soit des problèmes d’anxiété, conséquence du lourd passé qu’il traîne et tente de camoufler à son entourage.
En fait, Ellias, ce n’est pas son véritable prénom, et l’accent parisien qu’il a est emprunté. Il n’est pas Français, il vient plutôt du Québec, une terre qu’il a fuie pour s’éloigner d’un père avec lequel les relations n’étaient pas bonnes.
Le film, qui nous a jusque-là propulsés dans le monde clinquant de la mode parisienne, prend subitement une nouvelle tournure lorsqu’un appel provenant de Montréal annonce à Ellias que l’homme à qui il a tourné le dos il y a des années est mort… d’une crise cardiaque!
Hélas pour lui, il doit descendre momentanément de son nuage et rentrer au bercail pour s’occuper des affaires de son défunt père qui lui a tout légué. Je dis hélas, pour Ellias, parce que les choses ne se passeront pas aussi bien à la maison paternelle de Repentigny qu’à la maison Orsino de Paris.
Le reste du film devient alors un suspense assez frénétique, parfois invraisemblable, qui se passe entièrement au Québec, avec une majorité d’acteurs québécois qui conservent leur accent de chez nous dans des rôles d’importance variable, le film reposant principalement sur les épaules de Marc-André Grondin. Ce dernier est appelé à jouer une gamme très variée d’émotions, toujours dans le tapis. Ça m’a rappelé sa performance dans Mafia Inc. il y a quatre ans.
Saluons l’audace du réalisateur dans le choix qu’il a fait. Au-delà des considérations de coproduction, Xavier Legrand (Jusqu’à la garde) a jugé gagnant de faire d’Ellias un Québécois pour bien marquer l’isolement dans lequel le personnage se trouve, autant en France qu’au Québec. Citation du réalisateur tirée du dossier de presse:
«J’aurais pu choisir de situer l’histoire en France, entre Paris et une ville de province, même lointaine – mais il n’aurait pas été assez isolé dans la tourmente. Il fallait qu’il voyage, et en même temps je souhaitais qu’il reste dans un pays francophone. La Belgique ou la Suisse étaient encore trop proches. Il était important qu’on sente chez lui un arrachement de ses origines, un déracinement complet.»
Grondin fait preuve d’une redoutable efficacité sur tous les tableaux.
On pourrait trouver l’intrigue un peu mince, mais ce serait faire fi des intentions du réalisateur et de sa scénariste québécoise Dominick Parenteau-Lebeuf (NOUS). Au-delà de l’action, ils ont voulu instiller un climat psychologique qui happe autant le personnage que le spectateur.
«Ellias manque de temps dans sa réflexion, explique Xavier Legrand. Les événements s’enchaînent, ils paraissent parfois absurdes, mais en même temps, ils sont concrets. Dans son fauteuil, le spectateur est alors déstabilisé, car il peut soit être entraîné dans l’affaire qu’il vit avec le personnage, soit rester en retrait par son jugement moral des faits. Mais je pense qu’il aura de toute façon du mal à rester impartial.»
Comme mentionné, ce sont des comédiens d’ici qu’on connaît et qu’on aime qui donnent majoritairement la réplique à Grondin.
Yves Jacques est excellent dans le rôle d’un grand ami du père d’Ellias. On en vient même à avoir pitié de l’aveuglement de son personnage. Il y a aussi Anne-Elisabeth Bossé, décalée en préposée aux opérations funéraires, Vincent Leclerc, obséquieux à souhait en directeur de pompes funèbres, et Louis Champagne, qui s’impose en quelques courtes scènes au volant de la limousine mise à la disposition du fils endeuillé.
Lors de sa présentation au festival Cinemania en novembre dernier, Le successeur a remporté le Prix du rayonnement Banque Nationale pour le meilleur film québécois en coproduction. Cela vaut la peine d’être mentionné, car il est rare que les coproductions France-Québec soient aussi réussies.
Pour ceux qui ont l’impression d’avoir déjà entendu parler d’une histoire semblable en littérature, soulignons que Le successeur est inspiré du roman L’ascendant d’Alexandre Postel paru en 2015. Pour un maximum de surprise, évitez de lire le roman ou à son sujet avant d’aller voir cette adaptation libre. Et finalement, je ne sais pas pour le livre, mais pour le film, il y aurait matière à faire une suite.
60 ans d’affiches à la Place des Arts
Dans le cadre de son 60e anniversaire, la Place des Arts de Montréal (PDA) propose une exposition d’affiches de spectacle marquantes de son histoire. Marc H. Choko, grand spécialiste de cet art publicitaire, en a réuni près de 80 dans la salle d’exposition de l’Espace culturel Georges-Émile-Lapalme.
L’idée est plus facile à imaginer qu’à réaliser. Marc H. Choko tenait cette semaine le même discours qu’il y a cinq ans et demi lorsqu’il était commissaire de deux expositions de sérigraphies publicitaires.
«Il ne reste pas grand-chose de ce patrimoine. L’affiche n’est pas conservée. Les musées font très peu à ce chapitre. Malgré le dépôt légal obtenu en 1992, il est très rare qu’on respecte cette obligation de remettre aux Archives nationales un exemplaire d’une affiche produite, même chez les organismes publics.»
Notre gardien du patrimoine a donc dû cogner aux portes de toutes les institutions partenaires de la PDA pour assembler un corpus diversifié des époques et des disciplines présentées à la Place des Arts. Les affiches annonçant des spectacles d’opéra, de danse et de théâtre ont la part belle dans la sélection du commissaire Choko.
Le monde de l’affiche a ses vedettes. On reconnaît toujours la patte de Vittorio, dont le travail ne vieillit pas.
Qui se souvient par contre de David Feist, créateur de l’affiche de la pièce Les oranges sont vertes de Claude Gauvreau?
Parmi les surprises, il y a une affiche d’un artiste qui nous accompagne quotidiennement avec ses caricatures dans la Presse +. On doit en effet l’affiche de l’opéra-ballet rock Tommy à Serge Chapleau.
Plusieurs des affiches présentées n’existaient plus que sur fichiers. Il a fallu les extraire de leurs sarcophages technologiques et en faire un tirage. À vue d’œil, difficile de faire la différence entre une affiche originale et une impression récente.
Étrangement, les deux trouvailles dont Marc H. Choko est le plus fier ne sont pas des affiches de spectacle, mais assez précieuses pour les mettre sous une cloche de verre.
D’abord, il y a représentation du projet de salle de spectacle que le maire Camillien Houde avait pour l’est de Montréal en 1952. Avant Jean Drapeau, Camillien Houde rêvait de faire construire un complexe culturel sur la rue Fullum, à l’emplacement actuel du parc Baldwin. Avouez qu’on a rarement entendu parler de ce projet!
L’autre document précieux est un exemplaire d’un billet pour le concert d’inauguration de la grande salle de la Place des Arts, le 21 septembre 1963. Une place dans la rangée C du parterre se vendait 100$, l’équivalent de 1000$ canadiens d’aujourd’hui. Et Madonna ne faisait même pas partie du spectacle (elle avait cinq ans)!
Et dire qu’en 2024, on peut voir cette exposition gratuitement jusqu’au 30 mai!