La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé Michel Marc Bouchard nous sonne les cloches
Événement cette semaine au Théâtre du Nouveau Monde. On y présentait, en première mondiale, la nouvelle création de Michel Marc Bouchard, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. J’y étais, et j’avais l’impression de participer à l’Histoire, parce que, chaque fois qu’une nouvelle pièce de ce dramaturge est créée, c’est le début d’une grande aventure. Je n’ai aucun doute, Laurier Gaudreault nous accompagnera longtemps et deviendra aussi connu à travers le monde que Les Feluettes, Les Muses orphelines, Tom à la ferme ou Christine, la reine garçon.
J’en ai eu la conviction dès mon arrivée au TNM. Les soirs de première, c’est toujours électrique dans le foyer du théâtre. Au milieu de cette cohue, je suis tombé sur un Michel Marc Bouchard tout sourire qui serrait des mains à la ronde. Il affichait une confiance contagieuse. «J’ai vu la réaction avec le vrai monde au début de la semaine, m’a-t-il dit, je sais maintenant que ça va marcher.» C’est vrai qu’il en a vu d’autres.
La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, c’est du Bouchard pur jus. Un portrait décapant de notre société, qui parle de nous avec acuité, et dans lequel plein d’autres nations se reconnaîtront. Michel Marc Bouchard m’a confié qu’on fait déjà la queue pour obtenir les droits d’adaptation de son texte. Les Allemands en seraient même à décider comment ils écriront le Gaudreault du titre.
Ça raconte quoi
Jamais aisé de résumer une pièce de Michel Marc Bouchard. Commençons justement par Laurier Gaudreault. On ne le verra jamais sur scène, mais Bouchard nous aide à nous l’imaginer. On est à Alma, au Lac-Saint-Jean, c’est le plus beau gars de la place, mais, dit le proverbe, il faut se méfier de l’eau qui dort. Laurier Gaudreault sera à l’origine d’un drame qui bouleversera l’histoire de la famille Larouche.
Que s’est-il donc passé cette nuit où il s’est réveillé alors que Mireille Larouche, qui avait alors 12 ans, l’observait? Ça, c’est l’intrigue qui tient le spectateur aux aguets, alors que le décès de la mère du clan Larouche est le cadre dans lequel elle se dénouera.
Michel Marc Bouchard ne se contente pas de faire éclater la vérité au salon funéraire devant le cercueil de la défunte. On a déjà vu ça. Non, l’action se passe dans un contexte pour le moins surréaliste, une morgue, avec le corps nu de la dépouille sur la table, que Mireille, devenue thanatopractrice, prépare pour l’exposition. Elle n’est pas une embaumeuse ordinaire, la Mireille. Depuis qu’elle a fui sa famille, elle est devenue une thanatologue renommée qui arrange les morts les plus célèbres, du pape Jean-Paul II au designer Alexander McQueen en passant par des bandits notoires.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette femme n’appartient plus au même monde que ses frères et sa belle-sœur qui, eux, n’ont jamais quitté leur région natale. Elle les retrouve donc après des années d’absence, au milieu de cette salle sans âme, froide comme la mort. Il y a un clash entre leurs existences. Ce n’est rien à côté de la dévastation que créera la révélation du terrible secret qu’elle porte.
Dormez-vous?
À partir de cette structure implacable, Michel Marc Bouchard nous entretient de préoccupations qu’il a par rapport à notre époque. Où est la beauté? Qu’est-ce qu’on a fait de la culture? Comment traiter la différence? Que deviennent les liens familiaux avec le temps? Quel monde les jeunes nous préparent-ils? Je me suis vraiment senti interpellé par son questionnement. J’ai le même. Le fait que nous ayons exactement le même âge ne doit pas y être étranger.
Les réponses fusent sur tous les tons. Il y a beaucoup d’humour, du drame, de la poésie. C’est là toute la beauté du théâtre; l’auteur, qui nous sait captifs, nous amène où il veut. Il nous amadoue par le rire, nous rallie par la dérision, nous secoue en nous criant des vérités qu’on aime souvent mieux ne pas entendre, nous émeut par les métaphores et la poésie.
Le tout est servi par une distribution de haut calibre: Julie Le Breton, Magalie Lépine-Blondeau, Éric Bruneau, Patrick Hivon et deux jeunes à découvrir, Mathieu Richard et Kim Despatis.
La présence de ces comédiens aussi talentueux qu’adulés du public aide à faire passer le caractère subversif du texte, car, au fond, dans sa pièce, Michel Marc Bouchard reprend à sa manière la fameuse phrase de Claude Péloquin immortalisée sur la murale de Jordi Bonet au Grand Théâtre de Québec. Il nous dit: Vous êtes pas écœurés de DORMIR bande de caves!
La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, c’est, pardonnez-moi l’anglicisme, un gros wake-up call. Notre monde ne va pas bien, et une partie de la solution nous appartient. Il faudrait juste se réveiller.