La chambre d’à côté de Pedro Almodóvar: à la vie, à la mort!
À 75 ans, le réalisateur espagnol Pedro Almodóvar continue de surprendre. Son plus récent film, La chambre d’à côté, qui prend l’affiche cette semaine, est non seulement son premier en anglais, mais il y traite de la mort assistée, un sujet aussi tabou, sinon plus, que les nombreux thèmes sulfureux qu’il a abordés durant ses 45 ans de carrière.
Voici comment l’histoire se présente. À New York, deux vieilles amies qui ne se sont pas vues depuis longtemps se retrouvent. L’une, Ingrid (Julianne Moore), est une auteure qui obtient du succès avec des livres desquels filtrent ses angoisses face à la mort. L’autre, Martha (Tilda Swinton), est une ancienne correspondante de guerre d’un grand quotidien condamnée par un diagnostic de cancer.
Devant l’échec d’un traitement-choc qu’on a essayé sur elle, Martha souhaite s’éviter le nouvel acharnement thérapeutique qu’on lui propose. Plus que ça, elle veut choisir le moment de sa mort pour s’éviter les prévisibles souffrances et le dépérissement qui viendront avec sa décision.
Comme le film se passe aux États-Unis, où l’aide médicale à mourir n’existe pas, sa seule alternative est l’euthanasie, une pratique illégale dans ce pays (autorisée en Espagne depuis 2021), qu’elle s’assurera de camoufler.
Cette femme, qui a souvent risqué sa vie lorsqu’elle était en mission dans des zones de guerre, n’a pas tant peur de la fatalité que de mourir seule. Elle demande donc à cette amie retrouvée de partager avec elle ses derniers moments dans une maison douillette en campagne, loin de ce qui lui est familier à New York, pour mieux s’extirper du monde. Une dernière ligne droite à vivre comme si c’était des vacances.
«À la vie, à la mort», pour reprendre l’expression phare qui témoigne de l’amitié sans faille.
La proposition de Martha est claire et honnête. Ingrid n’a rien d’autre à faire que d’être là à ses côtés. Partager des repas, des verres, bouquiner à la librairie, s’étendre au soleil sur le bord de la piscine, regarder des films au salon jusqu’à plus d’heure. Tout ça jusqu’au jour où la porte de sa chambre demeurera fermée, signal annonçant qu’elle a finalement décidé d’avaler cette petite pilule achetée sur le dark web qui interrompt irrémédiablement le cours des jours.
En entrevue, Pedro Almodóvar a ainsi expliqué ses raisons d’adapter le roman Quel est donc ton tourment? de Sigrid Nunez: «Je voulais un film en harmonie avec la personnalité du personnage incarné par Tilda Swinton: une femme pleine de vie, profondément baroque, débordant d’énergie. Je voulais parler de la mort comme d’un acte vital, un geste enraciné dans la vie, puisqu’il découle d’une décision de son vivant. J’ai choisi des couleurs vibrantes et une lumière éclatante pour traduire cette énergie et cette vitalité.»
Cela en fait un film qui cause beaucoup, mais jamais larmoyant parce que le personnage de Martha est totalement en paix avec sa résolution, ce qui ne l’empêche pas d’avoir des regrets, dont celui d’avoir raté son rôle de mère, à preuve, les ponts sont coupés avec sa fille unique.
Tilda Swinton se donne tout entière à ce personnage amoindri par la maladie, mais néanmoins solide dans sa décision, persistante dans ses convictions. L’univers très stylisé d’Almodóvar lui sied parfaitement. L’actrice filiforme, au visage émacié, donne une voix crédible à ceux qui traversent ou ont traversé ce genre de combat. Elle nous sert des répliques sur ce qu’est le combat contre le cancer qu’on n’est pas près d’oublier.
Devant elle, Julianne Moore est magnifique dans le rôle de l’amie à l’écoute, respectueuse et volontaire. En pareille situation, on voudrait avoir sa générosité. Après tout, ne risque-t-elle pas d’être accusée de complicité?
Évidemment, on est au cinéma, dans un huis clos entre deux stars hollywoodiennes qui incarnent des femmes à l’aise financièrement qui n’ont pas à s’inquiéter, dans les choix qu’elles font, des coûts faramineux de la santé ou de la défense juridique, pour ne mentionner que cela.
Dans la vraie vie, la même histoire n’aura pas, bien sûr, le panache qu’Almodóvar donne à ses films. Dans La chambre d’à côté, tout est magnifié. Encore une fois, le réalisateur espagnol nous offre une expérience cinématographique impeccable. Il a fait équipe avec le directeur photo barcelonais Eduard Grau. Les couleurs qu’ils portent à l’écran sont vibrantes. Les costumes sont remarquables, dans le sens qu’on ne peut pas ne pas les remarquer. La musique, de son compositeur habituel Alberto Iglesias, d’une justesse!
Les personnages évoluent dans des environnements luxueux. New York a des airs de carte postale et on voudrait tous finir nos jours dans cette maison design bâtie dans une campagne idyllique.
En passant, la demeure qui a servi au tournage se trouve en réalité en Espagne! On peut dire qu’Almodóvar n’a pas trop dérogé à sa touche gagnante. Le réalisateur, réputé pour parler la langue de Shakespeare comme une vache espagnole, a donc fait un film espagnol… but in English!
On top of that, Almodóvar, comme à son habitude, saupoudre son film de références cinématographiques, littéraires, et picturales. Pour les exégètes dans la salle, cela ajoute de la valeur au récit.
De là à dire que c’est une production sans faute, peu s’en faut. Almodóvar échappe le ballon à quelques reprises durant l’heure cinquante de la projection, qu’on pense à une séquence inutile et peu crédible où la correspondante de guerre se trouve en Iraq, ou à cette autre, tellement excesivo, pour expliquer pourquoi la fille de Martha n’a plus de père. La scène finale, où justement la fille absente réapparaît, jure aussi avec le reste du ton du film.
Ces scènes plaquées et mal jouées font malheureusement perdre un bon demi-point au 4 sur 5 qu’on aurait d’emblée attribué à ce film quand même auréolé du Lion d’or au dernier Festival de Venise.