La biographie de Monique Leyrac par François Dompierre: c’est toute une musique!
Monique Leyrac. Son seul nom est de la musique à mes oreilles. Il évoque des souvenirs de tant de chansons mémorables! Je suis persuadé qu’il en va de même pour vous. Pour cet amour, La rôdeuse, Il n’y a pas de bout du monde, Soir d’hiver, Mon pays, Si tu veux me garder, C’est ici que je veux vivre, Try to Remember. Voilà quelques titres pour vous remettre en tête cette grande voix, et vous donner l’envie de plonger dans le fabuleux livre Monique Leyrac – Le roman d’une vie de François Dompierre, qui paraît cette semaine aux Éditions La Presse.
À part une rare et longue entrevue à l’animatrice d’Ici Musique Catherine Pépin l’an dernier, Monique Leyrac est absente de la sphère publique depuis presque 25 ans, fidèle au serment de vivre sa retraite dans la plus grande discrétion. Cette promesse de ne plus faire de scène, ni de chanson, elle s’y est engagée à l’issue de sa participation à la pièce Le voyage du couronnement de Michel-Marc Bouchard au TNM en 1995. «Je déteste les vieilles chanteuses», avait-elle dit alors qu’elle avait 65 ans.
Parlez-moi de vous
Aujourd’hui, elle en a 91, et c’est grâce au musicien et compositeur François Dompierre, aussi doué sur son clavier d’ordinateur que sur celui de son piano, qu’on peut renouer avec cette artiste qu’on a tant aimée. Avec patience et doigté, il a recueilli les propos de cette femme qu’on devine jalouse de ses souvenirs.
Le livre est ainsi construit que c’est l’auteur qui raconte le parcours prodigieux de cette petite fille de Rosemont vers des sommets loin d’être acquis considérant ses origines modestes.
Comme c’est écrit, on a l’impression que François Dompierre a été témoin de chaque étape de la vie de son sujet. Disert, il décrit dans le détail le feu de l’action dans lequel se jette cette femme autodidacte, sans peur et sans reproche.
Cela repose évidemment sur de multiples entrevues avec la principale intéressée, mais aussi avec un témoin privilégié de cette vie bien remplie, sa fille, Sophie Gironay.
Pour esquisser les nombreux décors dans lesquels Monique Leyrac a évolué, l’auteur s’est bien documenté, que ce soit pour nous raconter le Montréal des années 1940 qui l’a vue naître comme artiste, décrire le paquebot Île-de-France, sur lequel elle fait sa première grande traversée au début des années 1950, ou dévoiler la mécanique implacable du Ed Sullivan Show, où elle brille en 1969.
Il en est passé
Cette écriture vivante nous permet de ressentir à la fois la vie de famille dans la petite maison de Rosemont où la jeune Monique Tremblay, en bonne aînée, s’occupe de ses frères et sœurs, la frénésie qui règne au club Le Faisan Doré, qu’elle fréquente comme spectatrice et où elle deviendra Monique Leyrac, la découverte de Paris, les succès sur les planches sous la direction de son mari, Jean Dalmain, les rencontres et les collaborations avec les Leclerc, Vigneault, Léveillée, Brassens, Béart, les tournées à travers le monde (le Canada et la France bien sûr, mais aussi l’URSS, le Liban, le Maroc, Londres, New York, le Klondike!).
Dans ce tourne-page, on est fasciné de voir comment cette enfant qui quitte l’école à 13 ans pour aller fabriquer des bombes à l’usine peut devenir, avec la seule force de son caractère, une artiste adulée autant comme chanteuse que comme comédienne.
Il faut avoir un réel talent et tout un tempérament pour arriver à gommer un accent rosemontois, combler les trous de sa culture, et arriver à s’imposer comme elle l’a fait dans les milieux de la chanson, du théâtre et de la télévision, d’ici et de la France. François Dompierre ne manque pas d’exemples pour nous le démontrer. Les critiques qu’il nous cite sont toujours dithyrambiques à l’endroit de Monique Leyrac. À lui seul, le récit de sa victoire au concours international de chansons de Sopot en Pologne donne autant de frissons que de fierté.
Pendant que
L’auteur nous fait aussi bien saisir le secret de cette carrière sans failles. Il y a, dans la façon de faire de Monique Leyrac, énormément de travail, un perfectionnisme poussé à l’extrême, de l’instinct et beaucoup d’indépendance. L’anecdote qui veut qu’elle ait quitté une répétition avec les musiciens de l’Orchestre symphonique de Montréal parce que ces derniers refusaient de l’accompagner pour des chansons que Luc Plamondon lui avait écrites est là pour le prouver. Ces chansons reposaient sur des musiques de Villa-Lobos, Mozart, Smetana, Khatchatourian, et dans ce que Dompierre appelle «l’orthodoxie culturelle» de l’époque, c’était impensable pour des musiciens classiques de se prêter à un tel exercice. En tenant tête à 75 membres de l’OSM, Monique Leyrac a certainement contribué à amorcer un changement de mentalité.
C’est peut-être que je t’aime
François Dompierre ne fait pas de cachette, il est un fan fini de Monique Leyrac. D’entrée de jeu, il avoue son admiration, mais son amour n’est pas aveugle au point d’éviter de parler du travers principal de son sujet, son caractère, qui peut souvent être cassant.
La Leyrac a quelque chose d’une diva. Exigeante pour elle-même, elle le sera aussi pour son entourage, que ce soit son mari, ceux qui lui écrivent des textes ou des personnages, les musiciens qui l’accompagnent, et même pour le public s’il ne réagit pas comme elle le souhaite.
Cette attitude qu’elle affiche, c’est peut-être parce qu’elle aime par-dessus tout le travail bien fait qui est le gage de la réussite, celle qui fait que votre nom demeure une référence, que des portes s’ouvrent pour les autres grâce à vous, que votre pays s’enorgueillit de vos exploits. On comprend alors que cela demande de l’opiniâtreté et beaucoup de confiance en soi. En somme l’étoffe des divas.
Tout mais pas ça
Réussir demande de l’indépendance aussi. J’y reviens parce que c’est ce trait de personnalité qui a conduit Monique Leyrac à ne pas épouser la carrière internationale qui s’offrait à elle. Elle ne se voyait pas être obligée de chanter en anglais ou adopter un répertoire plus populaire pour plaire à un large public.
Comme l’écrit François Dompierre: «[…] les cages dorées ne l’intéressent pas, s’y laisser enfermer ne lui convient pas. Elle préfère tracer son chemin comme elle l’entend, dans les deux pays qu’elle aime, en préservant pleinement son indépendance.»
Durant les dernières années de sa vie active, elle s’inventera une forme d’expression à la mesure du bonheur qu’elle se souhaite: le théâtre solo. Elle y mettra la même énergie que pour tout ce qu’elle a fait auparavant. Cela nous vaudra les inoubliables spectacles hommages à Nelligan et à Félix Leclerc, pour ne nommer que ces deux-là.
Et Bye Bye
Ce roman d’une vie exceptionnelle est passionnant. Il célèbre une femme qui n’a attendu personne pour vivre libre et affirmée devant les hommes. C’est formidable que sa légende soit racontée de son vivant. Mon seul regret: l’ouvrage ne compte aucune photo hormis la très belle qu’on retrouve en page couverture.