La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Juste une p’tite nuite: pour entendre la voix céleste de Dédé Fortin

De 1992 à 2000, un astre chevelu a traversé nos vies. Les poussières d’étoiles que la comète nommée Dédé Fortin a laissées dans son sillage continuent de briller.



On ne se lasse pas d’entendre ses chansons Julie, La rue Principale, Tassez-vous de d’là ou sa toute dernière, La comète. Le Cirque du Soleil s’est emparé de cette matière incandescente pour sa nouvelle création destinée à l’Amphithéâtre Cogeco de Trois-Rivières. Le spectacle Juste une p’tite nuite, qui a pris l’affiche mercredi et qui sera présenté jusqu’au 18 août, est beau et mélancolique comme un soir de pleine lune et d’étoiles filantes. Ça ne s’apprécie qu’avec la noirceur.

 

Après Beau Dommage, Charlebois et Plamondon, c’est la première fois que la série Hommage présentée par le Cirque du Soleil à Trois-Rivières s’intéresse à un créateur disparu. Le pari était risqué, car les Colocs n’ont pas un immense répertoire et l’univers de son leader, Dédé Fortin, est plutôt sombre.

Eh bien, le directeur de création Daniel Fortin, le metteur en scène Jean-Guy Legault et Émilie Therrien, conceptrice de la performance acrobatique, n’ont pas eu peur de la noirceur et ont su bien jouer la carte de l’émotion. Ils l’avaient beaucoup fait l’an dernier avec les chansons plus graves de Luc Plamondon, mais cette année, c’est encore plus manifeste. Dédé était un écorché avec un grand cœur et le spectacle Juste une p’tite nuite nous le rappelle. La détresse (Le répondeur), l’urgence (Passe-moé la puck), l’impuissance (Tassez-vous de d’là), la lucidité par rapport à notre monde (La rue Principale), l’envie d’en finir (La comète), tous des sentiments ressentis profondément par celui qui les chantait, trouvent un écho dans les 14 tableaux du spectacle.

Prenez la chanson Tassez-vous de d’là. On lui a enlevé son côté dansant pour en faire vraiment l’affaire d’un gars qui veut en soutenir un autre qui est dans le trouble. Ça prend la forme d’un duo main à main émouvant où celui-qui-veut-aider porte son camarade au bout de son bras, la tête dans la main. Mais en vain, car le numéro se termine avec le chum mal amanché qui disparaît par la bouche d’égout. Toute la portée de la chanson est là.

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Pour Le répondeur, on a opté pour le dépouillement. Pendant que Dédé chante

C’est à cause de mon répondeur
Y’a absolument rien su'a cassette
J’te dis qu’à soir dans mon p’tit cœur
Y fait frette,

Alexis Vigneault se contorsionne au bout d’une lampe suspendue dans un espace vide. C’est à la fois poétique et crève-cœur, tout en renouvelant le concept de corde lisse.

Et dans la solitude de ma danse aérienne
Le courage revenu, je trouverais les mots
Je réciterais sans cesse des prières pour que vienne
La douceur du silence d’un éternel repos, mais…

Pour accompagner ces mots de La comète qui préfigurent la fin tragique du poète des brumes, le trio de concepteurs a opté pour la balançoire russe, mais en donnant à cet accessoire une finalité encore plus dramatique. Les voltigeurs qui sont propulsés dans les airs atterrissent, après leur danse aérienne, dans un drap tendu par leurs collègues. Poignant!

 

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Le spectacle Juste une p’tite nuit, qui dure 75 minutes, a aussi ses moments festifs. En ouverture, par exemple, on a droit à un enlevant numéro de trampo-mur et danse sur Passe-moé la puck. Probablement la meilleure entrée en matière en quatre ans. Pour Julie, Tori Boggs nous offre une énergique prestation de corde à danser qui finit dans le feu, alors que Dédé sert de prétexte à un numéro de jonglerie époustouflant. Nicolas Fortin n’échappe aucune balle malgré que le coefficient de difficulté soit énorme.

Un spectacle inspiré de Dédé ne serait pas complet sans un peu de gumboot. L’artiste noir Jason Nious, né au Texas, s’acquitte de ce numéro de percussions corporelles avec brio.

 

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Encore une fois, je suis admiratif du travail du directeur musical Jean-Phi Goncalves. Il a su de nouveau mettre au goût du jour un répertoire connu et aimé sans le trahir et transformer ces chansons pour qu’elles appuient judicieusement les performances de cirque.

Au bout du compte, numéros de cirque, danse, scénographie, costumes, arrangements musicaux, tout converge pour que la voix de Dédé Fortin soit de nouveau entendue. Une voix céleste.