Jean-Claude Poitras et Miró, deux expositions incontournables à Québec
On a beau dire que l’été se terminera cette année le 22 septembre, plusieurs signes annoncent déjà que la belle saison achève, notamment la fin de deux magnifiques expositions présentées à Québec. Miró à Majorque – Un esprit libre quitte l’affiche du Musée national des beaux-arts le 8 septembre et Jean-Claude Poitras – Mode et inspirations celle du Musée de la civilisation le 15. Laissez-moi vous convaincre de vous joindre à la horde des visiteurs de dernière minute afin de ne pas manquer ces rendez-vous avec des créateurs d’exception.
J’ai eu à quelques reprises le plaisir de rencontrer le designer Jean-Claude Poitras, dans des contextes très différents d’une fois à l’autre. Que ce soit dans le spectaculaire condo d’une millionnaire qui exposait ses œuvres peintes ou par hasard à un arrêt d’autobus du Quartier des spectacles, l’homme est toujours pareil. Impeccablement mis, raffiné dans son expression, d’une grande sensibilité, modeste malgré ses réalisations, bref, pour utiliser un vieux mot, c’est un être exquis. Intarissable aussi, car il y a toujours mille projets qui l’animent ou un nouvel honneur à accepter. Cette année, il a été fait Chevalier de l’Ordre de Montréal.
Si je vous fais tout ce préambule, c’est parce que l’exposition que le Musée de la civilisation et le Musée McCord ont conjointement réalisée à partir de dons que Jean-Claude Poitras a faits aux deux institutions lui ressemble. La présentation est chic, le discours qu’on tient sur sa carrière est éloquent et accessible, et il y a beaucoup place à l’émotion. Je vous mets au défi de rester de marbre en écoutant la capsule où Jean-Claude Poitras parle d’une poupée qui lui a donné, très jeune, le goût d’habiller les autres, qu’on a fait disparaître de sa vie parce qu’un garçon, ça ne joue pas à la poupée, et qu’une tante lui a restituée des années plus tard.
Jean-Claude Poitras célèbre cette année ses 70 ans, c’est donc dire qu’il a grandi à une époque où la religion avait beaucoup d’emprise sur la population. C’est extrêmement intéressant de voir comment cette influence s’est traduite dans le travail du créateur qui transpose dans certains de ses vêtements la coupe et le style des soutanes des prêtres. Il arguera alors qu’il y a quelque chose de très sensuel dans la pudeur.
Le cinéma et ses grandes actrices, Audrey Hepburn, Ingrid Bergman, Marlene Dietrich, Jeanne Moreau, infléchiront aussi son style. Avec de telles références, pas étonnant que l’élégance ait été le dénominateur commun des différentes marques (BOF!, Parenthèse, Qui m’aime me suive et Jean-Claude Poitras) qu’il a créées et qu’il commercialise avec l’aide de manufacturiers locaux. La griffe Poitras entraîne nombre de Québécoises dans son sillage. C’est un poème d’entendre le designer parler de ses clientes (Mila Mulroney, Lisette Lapointe, Liza Frulla, Françoise et Sophie Faucher, Andrée Lachapelle…) et de sa muse, Colette Chicoine.
L’exposition, très généreuse, compte 160 objets et documents d’archives, dont 63 vêtements. On peut donc apprécier l’évolution du créateur au gré des modes et des changements de mentalité. La dernière zone nous montre comment il a su intégrer les influences rapportées de voyages, notamment au Japon et à Bali.
Le parcours se termine, comme tout grand défilé de haute couture, par une robe de mariée étincelante qui tire des oh! et des ah! admiratifs.
Après Québec, l’exposition Jean-Claude Poitras – Mode et inspirations sera présentée au Musée McCord à Montréal à compter du 24 octobre. À voir pour prendre la mesure de ce créateur de grand talent.
Quand Miró vient à nous
On ne réalise pas l’importance de l’événement Miró à Majorque – Un esprit libre présenté au Musée national des beaux-arts du Québec, tant qu’on ne sait pas que la dernière exposition de cette ampleur consacrée ici à cet artiste marquant du 20e siècle remonte à plus de 30 ans.
Avoir sur Grande-Allée, en exclusivité nord-américaine, 200 peintures, sculptures et œuvres sur papier de Joan Miró (1893-1983), en plus d’une cinquantaine d’artefacts de la collection du peintre, c’est une chance inouïe, un privilège exceptionnel, une occasion rare. Comme il ne reste qu’une semaine pour voir l’exposition, ça devient maintenant une urgence.
Pourquoi doit-on se précipiter? Parce que ce n’est pas tous les jours que ces œuvres se laissent voir ailleurs qu’à Majorque, en Espagne, mais aussi parce qu’il s’agit d’une sélection de tableaux produits dans ce qu’on appelle sa période de maturité, entre 1956 et 1983. Une production extrêmement inventive, enracinée dans son Espagne natale, mais ouverte à d’autres pratiques, comme la calligraphie japonaise ou l’action painting américaine.
Ça donne tout le contraire d’un parcours prévisible. D’une salle à l’autre, on est surpris. Ici, il s’inspire de l’art rupestre, là, c’est l’influence de l’architecte Gaudí qui ressort dans des collages multicolores; on enchaîne avec des sculptures constituées d’objets trouvés qui semblent faire la fête avec des tableaux qui leur ressemblent. Plus loin, des lignes noires sur fond blanc, c’est pourtant le même artiste.
On alterne donc entre ludisme et gravité, recherche et fuite en avant, constamment éperonné par cet esprit libre.
Parfois, on reste sur la touche parce que le tableau n’est pas daté, n’a pas de titre ou n’est tout simplement pas terminé. Miró ne voulait pas faire des œuvres définitives. «L’important n’est pas de terminer une œuvre, mais de laisser entrevoir qu’il sera possible de commencer quelque chose», disait-il. Cette ouverture, cette créativité toujours en mouvement et ce refus d’être là où on l’attend expliquent sans doute le fait qu’on se laisse encore aujourd’hui surprendre par son travail.
Le MNBAQ prévoyait un été sous le soleil d’Espagne avec cette exposition Miró. Je le répète, dépêchez-vous d’aller profiter de ses rayons avant qu’on ne décroche cet extraordinaire soleil.