La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Se faire conter des histoires à Québec

À Québec, saison hivernale ne rime pas seulement avec Carnaval. Pour une quatrième année, des lieux emblématiques du Vieux-Québec, de la Haute-Ville et de la Basse-Ville se transforment en espace d’exposition, souvent à ciel ouvert, avec l’événement Le Jardin d’hiver.



On s’entend que les deux événements ne sont pas de même envergure, mais ce rendez-vous artistique bisannuel offre une joyeuse virée aux grands et petits qui embarquent dans cette invitation à se faire conter des histoires. Comme une chasse-galerie urbaine.

La dernière scène, Cooke-Sasseville. Photo: Claude Deschênes

Création de l’organisme Manif d’art, Le Jardin d’hiver alterne depuis 2020 avec la Biennale de Québec, seule biennale hivernale en Amérique du Nord.

À la différence de la Biennale, Le Jardin d’hiver vise particulièrement une clientèle familiale, y compris les grands-parents, bien sûr. C’est pourquoi l’événement commence au début de la semaine de relâche pour se poursuivre jusqu’au congé de Pâques (le 20 avril).

Espace Quatre-Cents. Photo: Claude Deschênes

Pour se mettre dans l’esprit ludique, onirique et poétique de Jardin d’hiver, on commence notre parcours à Espace Quatre Cents, non loin de la gare du Palais. On y présente une exposition soulignant les 25 ans de collaboration artistique de Jean-François Cooke et Pierre Sasseville, deux artistes de Québec qui connaissent une brillante carrière depuis l’obtention de leur maîtrise en arts visuels de l’Université Laval.

Jean-François Cooke et Pierre Sasseville. Photo: Claude Deschênes

Vous avez certainement déjà entendu parler de La rencontre, immense sculpture de 11 mètres de hauteur représentant un cerf qui se mire dans une glace.

La rencontre, Cooke-Sasseville, 2017. Photo: Claude Deschênes

Cette commande publique, dévoilée en 2017 à la place Jean-Béliveau du Centre Vidéotron de Québec, avait fait énormément jaser. Beaucoup de monde cherchait le rapport avec le hockey, et chipotait sur son coût, plus d’un million de dollars, apparemment le montant le plus élevé dans l’histoire de la politique d’intégration de l’art à l’architecture.

Maquette La rencontre, Cooke-Sasseville. Photo: Claude Deschênes

Mais en art contemporain, les artistes vivent moins riches qu’on pense, et évitent généralement le premier degré dans leur travail, préférant raconter des histoires à la clé. C’est pourquoi il est si agréable de s’amuser à décoder le message qui se cache derrière les œuvres.

Et en cette matière, l’exposition Cooke-Sasseville comble le visiteur curieux. Ces deux-là adorent détourner les codes qu’ils utilisent, quand ce n’est pas détourner l’Histoire tout court.

Le club des collectionneurs, Cooke-Sasseville. Photo: Claude Deschênes

Je connaissais surtout ce duo pour sa contribution en art public. Ils ont une quarantaine d’œuvres disséminées à travers le Québec. Leur pigeon géant sur une boîte de soupe Campbell, le mélangeur manuel surdimensionné du Centre communautaire Jean-Claude Malépart dans le quartier Sainte-Marie à Montréal, les brochettes de tortues de l’École de la Cité de Gatineau, c’est toujours une joie de tomber sur leur travail. Leur approche ludique et consensuelle en fait d’excellents ambassadeurs de l’art contemporain.

L’Odyssée, Cooke-Sasseville. Photo: Claude Deschênes
Mélangez le tout, Cooke-Sasseville. Photo: Claude Deschênes
Bâtir le monde, Cooke-Sasseville. Photo: Claude Deschênes

L’exposition Contre toute attente, qui s’intéresse davantage à leur pratique en galerie, permet de découvrir un côté plus cinglant du duo, avec des œuvres n’hésitant pas à recourir à des symboles violents, comme les armes ou le sang. Mais nos deux artistes ne vont jamais au-delà de la violence de cartoon.

Longue portée, Cooke-Sasseville. Photo: Claude Deschênes

À qui s’adresse ce doigt d’honneur aux allures de canon, intitulé Longue portée? Le miroir est-il une version différente de l’art de se tirer dans le pied? Le gros porc de Corps gras, est-ce qu’on peut espérer qu’il se liquéfie à la poêle?

Le miroir, Cooke-Sasseville. Photo: Claude Deschênes

 

Qu’on ait 7 ou 77 ans, c’est un plaisir de chercher un sens à toutes ces œuvres. Sous l’influence de l’actualité, j’avoue que j’ai beaucoup pensé à un certain président en exercice, bien que toutes ces œuvres aient été réalisées avant le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Corps gras, Cooke-Sasseville. Photo: Claude Deschênes

Mentionnons que la réalisation des œuvres est impeccable. La mise en scène et en lumière aussi.

Cette visite faite, nous voilà l’esprit bien tourné pour s’attaquer au volet extérieur gratuit de Jardin d’hiver.

De la terrasse Dufferin dans le Vieux-Québec à la bibliothèque Gabrielle-Roy dans Saint-Roch, en passant entre autres par la Maison de la littérature, l’église Saint-Jean-Baptiste et la coop d’artistes Méduse, on est invité à se faire raconter différentes histoires par des artistes choisis par Julia Caron-Guillemette, commissaire de l’événement, comme s’ils étaient des conteurs.

«Quand le conteur raconte une histoire, il laisse une place à l’auditoire pour coconstruire le récit avec lui. Je trouve que les artistes de Jardin d’hiver font vraiment ça dans leurs œuvres. Ils laissent un espace pour que les visiteurs puissent imaginer l’histoire, projeter leur propre expérience.»

Pavillon Dufferin où on peut entendre Chants de meute de Myriam Lambert. Photo: Claude Deschênes

C’est particulièrement réussi dans le cas de Chants de meute de l’artiste Myriam Lambert. Cette œuvre sonore installée sur la terrasse Dufferin nous transporte littéralement au milieu d’un domaine d’élevage de chiens de traîneaux. Pour le visiteur, ou le touriste qui passe par là, c’est vraiment dépaysant d’entendre tous ces jappements.

Plus loin, à la Maison de la littérature, une autre expérience. On se trouve face aux personnages mi-humains, mi-lièvres de Jean-Robert Drouillard. Qu’est-ce qu’ils font là, debout sur des caisses de transport? Se sont-ils échappés comme des filous?

Nous sommes des petits filous, Jean-Robert Drouillard. Photo: Claude Deschênes

«C’est à nous d’imaginer, répond la jeune commissaire de 27 ans. Faut se laisser aller. Il y a bien sûr de la médiation pour ouvrir des pistes de réflexion. Sur les cartels, on a mis des questions très ouvertes, pensées pour la famille, pour aider les gens à réfléchir, à discuter autour des œuvres. Les référents de l’art contemporain, on les a plus qu’on pense. Ma volonté, c’était de créer des espaces collectifs de dialogue à travers l’art visuel.»

Collection de trophées, Marc-Antoine K. Phaneuf. Photo: Claude Deschênes

J’avoue que j’ai apprécié avoir un peu d’aide pour m’aider à saisir l’œuvre Collection de trophées de Marc-Antoine K. Phaneuf dans une vitrine de la coop Méduse, ou La forêt de regards de Jiwan Larouche à la bibliothèque Claire-Martin.

La forêt des regards, Jiwan Larouche. Photo: Claude Deschênes

Avantage collatéral de ce parcours dans les rues de Québec: on découvre en même temps des lieux qu’on néglige de visiter quand on habite ou visite cette ville.

Intérieur de l'église Saint-Matthew, bibliothèque Claire-Martin. Photo: Claude Deschênes

Je n’étais jamais entré dans l’ancienne église Saint-Matthew, rue Saint-Jean, devenue en 1980 la bibliothèque Claire-Martin. Cette église anglicane datant de 1870 est un joyau, et que dire de la nouvelle version de la bibliothèque Gabrielle-Roy et de son œuvre phare, Il semble y avoir une pluie d’or (1983) de Micheline Beauchemin, à laquelle on a redonné son lustre original?

Il semble y avoir une pluie d’or, Micheline Beauchemin (1983). Photo: Claude Deschênes

Revenons au point de départ. L’entrée à l’exposition Cooke-Sasseville donne accès à une seconde exposition à Espace Quatre Cents, sur le même thème que le parcours extérieur et avec sensiblement les mêmes artistes.

Topographies marginales, Jiwan Larouche (2024). Photo: Claude Deschênes
Mascha – entre fleurs et feux, Gabrielle Lajoie-Bergeron (2025). Photo: Claude Deschênes

Les œuvres présentées permettent de prendre le pouls de ce qui se fait en art contemporain dans la région de Québec présentement. Gabrielle Lajoie-Bergeron et Jiwan Larouche sont certainement des noms à retenir.

* J'étais l'invité de Manif d’art, mais les opinions émises sont 100% les miennes.