La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Ingrid St-Pierre, la chanteuse qui veut faire pousser des vieux dans les jardins d’enfants

En connaissez-vous des auteurs-compositeurs-interprètes d’aujourd’hui qui se préoccupent des personnes âgées dans leurs chansons? Disons-le, c’est très rare.



Avoir les cheveux blancs, être ridés, marcher moins vite, ça n’inspire pas grand monde. Sauf Ingrid St-Pierre qui, depuis le début de sa carrière, ne manque jamais d’inclure les aînés dans son univers chansonnier. Son nouveau disque, Petite plage, qui vient de paraître, n’y échappe pas.

Avant d’aller plus loin, je vous invite à regarder le vidéoclip de la chanson Les joailliers, un petit bijou dans lequel elle chante ces mots:

À quand les vieux qui poussent dans les jardins d’enfants?

Et qui tracent la Grande Ourse devant des yeux grands.

De vieillards à mine d’or, vieillir sans être vieux.

 Ce vidéoclip, Ingrid St-Pierre l’a voulu loin de l’image blanche, jeune et formatée que nous renvoie notre télévision. Son choix artistique m’a ému. Aussitôt vu, j’ai demandé une entrevue avec Ingrid St-Pierre. Je voulais l’entendre me dire pourquoi elle avait choisi dans son clip de parler de la place des aînés dans notre société. Pourquoi l’avait-elle tourné au Vietnam?

Au téléphone, avec sa voix pleine de vivacité et de sincérité, elle ne fait pas de mystère. «Les personnes âgées, ce sont les gens qui m’émeuvent le plus. Je trouve que notre société fait erreur de ne pas leur accorder plus de place. Ils ont tant à nous apprendre. Il me semble que les CHSLD et les garderies devraient partager le même toit. Il y a des cultures qui favorisent beaucoup le dialogue avec ceux qui sont venus avant nous. Moi, j’en ai fait une cause que je défends sur chaque disque, sur le précédent, c’était avec la chanson Tokyo Jellybean, qui est devenue un documentaire musical dans lequel je faisais parler des aînées sur l’amour.»

Pour ce qui est du tournage du clip Les joailliers au Vietnam, il s’explique par un désir d’Ingrid St-Pierre d’aller voir le pays d’origine de son chum et père de son fils, le musicien québécois Liu-Kong Ha. Un pèlerinage qu’elle a fait sans eux, mais avec une équipe de production qui voulait immortaliser ce premier contact.

«On nous avait dit que tous les matins, à partir de 4 heures, des personnes plutôt âgées se rassemblent sur une place d’Hanoi pour danser. On s’y est rendu et c’était tellement beau qu’on a construit le scénario du vidéoclip autour de ce moment magique. Les danseurs étaient tellement concentrés sur leur chorégraphie qu’ils se foutaient de nos caméras. Le résultat a été au-delà de nos espérances. On a d’ailleurs tourné deux autres vidéoclips pendant notre séjour là-bas.»

Quand je vous dis qu’Ingrid St-Pierre a un réel souci des aînés! Souvenez-vous de la très émouvante Ficelles, une des chansons qui l’a fait connaître en 2011 et dans laquelle il était question de la maladie d’Alzheimer de sa grand-mère.

L’auteure m’a déjà raconté comment ce texte lui était venu d’un jet, en 20 minutes.

Eh bien, sur son nouveau disque, il y a une sorte d’épilogue, car sa grand-mère, qui a vécu plus d’une dizaine d’années avec la maladie, est finalement décédée en novembre 2017, à l`âge de 82 ans. Ce départ lui a inspiré une autre magnifique chanson, écrite elle aussi d’un jet, L’enneigée, une façon de dire à la personne qui s’en est allée qu’elle ne sera pas oubliée.

Le paradis sera pas étanche

Ça brillera jusqu’ici ton absence

La poésie d’Ingrid St-Pierre sublime le quotidien dont elle s’inspire. À la mer, si joliment tournée, raconte pourtant la descente aux enfers d’une femme qui pensait arriver à tout faire malgré sa maternité.

Mes tsunamis te semblent peut-être bien délicats

Mais tu vois pas, je tremble, j’ai peur, mais j’ai pas le droit 

Les éléphants Massaï est le résultat d’une suite de nuits sans sommeil à veiller sur un enfant qui refuse de dormir.

Minuit mois quart

Tout le monde dort

Mais pas nous

Et tout le ciel chuchote 

La lumineuse prend la forme d’une lettre qui fait l’inventaire de tout ce qu’une mère peut souhaiter de mieux à son enfant.

Pour toi je ne veux que le sublime

La funambulesque beauté

Pour toi je n’espère que la cime

Et les ailes pour y aspirer

Avouez que c’est beau. Toutes ces chansons sont nées d’une obligation de lâcher prise.

«La naissance de mon fils a changé ma vie, et je me suis brûlée à essayer de continuer à faire comme avant, au point où j’ai failli abandonner le métier. Je pensais que je n’arriverais plus à écrire, à faire de la scène. J’ai même pensé retourner à l’université en musicothérapie. Et il y a eu des gens sur mon chemin qui m’ont ramenée doucement vers l’écriture, la composition. J’ai écrit pour moi, sans désir de plaire, avec une approche très dépouillée, et ça a finalement donné Petite plage

Photo: Royal Gilbert

Parmi les gens qui ont encouragé la démarche libre et en douceur d’Ingrid St-Pierre, il y a eu le réalisateur Philippe Brault. Tel un orfèvre, il a créé un écrin musical simple et délicat qui met parfaitement en relief l’écriture fine de l’auteure. L’orchestration se limite ici à un piano et une ligne de basse, là à un peu de violoncelle, d’harmonium indien, quelques effets sonores, ou un soupçon de programmation. Il en résulte un disque enveloppant, zen, et j’ajouterais, en dehors du temps. Un disque qui vivra vieux.

Pour prouver qu’Ingrid St-Pierre est bel et bien de retour, ce nouvel enregistrement arrive en même temps qu’une tournée québécoise. Pour ses spectacles, elle sera entourée de trois musiciens: Camille Paquette-Roy au violoncelle, Laurie Torres aux percussions et Mathieu Désy aux claviers.

Pour la voir à Montréal, il faudra attendre à l’automne, car pour la métropole, elle veut faire quelque chose de spécial avec plein d’amis musiciens.

Au moment de se laisser, elle m’a dit qu’elle aimerait bien, pendant sa tournée, reprendre son habitude de donner des mini-spectacles solos dans les maisons de personnes âgées. Elle attend les invitations. Son amour pour les vieux, ce n’est pas de la frime!