Le Dr Chicoine raconte la grande histoire de Sainte-Justine
C’est ma passion pour l’histoire qui m’amène à vous parler cette semaine d’un livre sur l’hôpital Sainte-Justine écrit par le Dr Jean-François Chicoine.
Que ma chronique soit publiée la même semaine que l’entrée en vigueur de Santé Québec, qui deviendra peut-être une menace à l’indépendance de la célèbre institution pédiatrique de la Côte-Sainte-Catherine, et en plein cœur de la campagne de financement de la Fondation CHU Sainte-Justine, est une coïncidence. Comme vous allez le voir, depuis 117 ans, il y a toujours une bonne raison de parler de Sainte-Justine.
En décembre 2024, le centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine, c’est une équipe de 6 800 personnes, dont 1 800 infirmières et infirmières-auxiliaires, 1 100 professionnels, 520 médecins, dentistes et pharmaciens, 800 résidents, 300 chercheurs, 200 bénévoles. L’hôpital, qui compte près de 500 lits, reçoit annuellement plus de 75 000 patients à l’urgence, 218 000 en consultations externes, et cumule au-delà de 3 000 accouchements par an.
Quel contraste avec la douzaine de lits qui accueille ses premiers patients en décembre 1907 sous le nom de Sainte-Justine, patronne des enfants malades!
Dès les premières pages de son livre, le Dr Jean-François Chicoine insiste sur le fait, très inusité pour l’époque, que Sainte-Justine est une institution fondée et gérée par des femmes, qui plus est, laïques. L’auteur qualifie ces femmes, issues de la petite bourgeoisie canadienne-française, de charitables, croyantes, et avant-gardistes. Ajoutons qu’elles n’ont même pas le droit de vote.
Si la Dre Irma LeVasseur (femme célibataire) et Justine Lacoste-Beaubien (épouse du financier Louis de Gaspé Beaubien), ainsi que quelques parentes et connaissances, décident de créer un hôpital pour les enfants malades canadiens-français, c’est pour mettre fin à la triste réputation de Montréal d’être la ville occidentale où la mortalité infantile est la plus élevée.
Les deux fondatrices ont en commun de n’avoir jamais eu d’enfants. Leurs destinées dans cet hôpital seront par contre bien différentes. La Dre LeVasseur quitte Sainte-Justine après seulement un an (pour ne plus jamais revenir), alors que Justine Lacoste-Beaubien en sera l’âme dirigeante pendant 60 ans!
Au fil des 300 pages de ce livre, chaque étape qui a conduit à faire de cette institution un des plus grands hôpitaux pédiatriques en Amérique du Nord nous est racontée, de la mise sur pied de la première École des gardes-malades (1908) à l’inauguration d’un Centre de procréation assistée (2012), en passant par l’arrivée de la pénicilline (1944) et l’ouverture du Centre de cancérologie Charles-Bruneau (1995). Les avancées réalisées à Sainte-Justine sont répertoriées dans toute leur diversité de spécialités: l’ophtalmologie, la cardiologie, l’orthopédie, la microbiologie, la psychiatrie, et tutti quanti.
Il y a un biais corporatif, assumé et légitime, dans cet ouvrage publié par les Éditions CHU Sainte-Justine. Pratiquement tous les artisans des succès de l’institution sont mentionnés dans de courtes biographies parfois répétitives par rapport aux récits des exploits accomplis.
Aussi, les descriptions sont parfois dans un jargon médical qui peut chloroformer le lecteur non spécialisé.
Ceci étant dit, Jean-François Chicoine est trop habile communicateur pour nous laisser sur la touche. On ne peut pas rester de marbre devant toutes ces réussites et premières qui ont eu lieu à Sainte-Justine. Qu’on pense à la première chirurgie cardiaque en 1954, à la première greffe cardiaque pédiatrique au Canada en 1984, aux débuts de l’échographie en 1974.
Cette lecture nous permet également de prendre la mesure de l’évolution de la médecine au cours des 100 dernières années. Au début, Sainte-Justine s’intéressait aux bobos physiques des tout-petits (accidents, malformations, empoisonnements). On soigne les moins de 12 ans, car au-delà de cet âge, les enfants ont souvent une vie d’adulte, obligés qu’ils sont de travailler. On est encore loin de la médecine de l’adolescence!
Ce n’est que graduellement que l’hôpital s’intéresse à l’environnement social des enfants, leur alimentation, leur santé mentale. Ces nouvelles préoccupations de Sainte-Justine mènent à la création de service de nutrition, de service social, à une clinique de la douleur, aux soins périnataux, aux soins palliatifs pédiatriques, même à une clinique d’obstétrique pédiatrique.
Si la pratique médicale sous toutes ses formes occupe une place importante dans cet ouvrage, l’auteur s’intéresse aussi au contexte social dans lequel cet établissement unique en son genre évolue.
N’oublions pas que l’histoire de cette institution commence dans un Québec patriarcal. Qu’à cela ne tienne, les fondatrices feront de leur mission une affaire de femmes. Le bureau médical a beau être principalement composé d’hommes médecins, le conseil d’administration sera 100% féminin pendant plus de 40 ans. Il faudra attendre le début des années 1950 pour qu’un homme soit admis sur le conseil d’administration.
Ratoureuse, Justine Lacoste-Beaubien évite d’effaroucher le clergé omnipuissant. Elle aura des religieuses sous son toit, mais elle les recrute chez les Filles de la Sagesse, une congrégation française qui accepte de soumettre ses membres à des gestionnaires laïques.
La présidente de l’hôpital mène les opérations avec rigueur et ambition, consacrant une partie de sa fortune à sa mission. Sous son règne, Sainte-Justine déménage plusieurs fois, dans des locaux toujours plus grands. En 1960, le magazine Commerce la nomme «L’homme du mois»!
Mais la réalité rattrape un jour la gestionnaire qui n’arrive pas à contenir le mécontentement de ses employés devant une organisation du travail devenue désuète. Sainte-Justine sera en 1963 le théâtre de la première grève d’infirmières au Québec. Encore une première pour Saint-Justine! Ce conflit de travail ouvre «la voie à la reconnaissance du droit de grève pour les employés de l’État et du secteur de la santé, ce n’est pas rien», écrit le Dr Chicoine.
Notre auteur sait aussi garder notre intérêt en pimentant son récit de quelques moments people qui ont ajouté, au fil des ans, du vernis à la légende de Sainte-Justine. Il revient, photos à l’appui, sur les visites de personnalités célèbres venues voir de près cette réussite québécoise. Il y a le passage de John F. Kennedy et son épouse Jackie en 1953, celui de Fidel Castro en 1959, la visite de la reine Elisabeth et du prince Philip, la même année. À ce propos, le Dr Chicoine prend plaisir à noter que le couple royal s’est alors adressé au personnel et aux enfants… en français!
La plus belle anecdote concerne Maurice Richard. Lors de sa venue à Sainte-Justine en décembre 1954, le numéro 9 du Canadien de Montréal annonce qu’il remet à l’hôpital la prime de mille dollars que lui a value son 400e but marqué le 18 décembre à Chicago. Ce sera une des nombreuses manifestations de générosité à l’égard de ce centre de soins médicaux de pointe desservant les enfants de tout le Québec.
Comme vous le constatez, ce livre est foisonnant. On y découvre aussi combien d’enfants ont été inspirés par leurs parents qui ont œuvré à Sainte-Justine, qu’on pense à la microbiologiste-infectiologue Caroline Quach-Thanh dont la mère, Minh Minh Quach, a longtemps été pharmacienne à Sainte-Justine, à la spécialiste du dopage Christiane Ayotte, fille du Dr Robert-Alain Ayotte, qui a dirigé le Laboratoire et le Département de biochimie de 1954 à 1974, sans oublier l’auteur du livre, Jean-François Chicoine, fils du Dr Luc Chicoine, pédiatre pendant 40 ans, surnommé «Monsieur Sainte-Justine», et de Pierrette Legault, qui a commencé sa carrière comme assistante sociale dans l’ancien bâtiment de la rue Saint-Denis.
Ne pensez pas que j’ai épuisé le sujet, il y a tant à découvrir dans cette histoire de l’Histoire de Saint-Justine, notamment le récit des multiples déménagements de l’hôpital, l’exportation de l’expertise médicale en Tunisie et à Haïti, et la triste fin de vie de ses deux fondatrices.
Bref, tel un polar, voilà un livre aux multiples rebondissements, et surtout source de beaucoup de fierté. À lire pour se rassurer sur notre système de santé!
Sainte-Justine, toujours dans l’actualité
Le 1er décembre dernier, la nouvelle agence Santé Québec entrait en fonction. Cette nouvelle société d’État sera dorénavant l’employeur unique des 330 000 personnes du réseau de la santé après la fusion d’une trentaine de CISS et de CIUSS. Au CHU Sainte-Justine, on craint cette centralisation. Depuis sa fondation, tous ses dirigeants ont milité pour l’indépendance de l’institution.
Par deux fois dans son histoire, on a menacé de fondre l’hôpital Saint-Justine dans un plus grand ensemble de services de santé. En 1965, le premier ministre Jean Lesage était partisan d’un grand centre médical universitaire attenant à l’Université de Montréal qui engloberait les soins pédiatriques. Le milieu médical a fait échec à cette volonté.
Rebelote en 2016, le ministre de la Santé, le Dr Gaétan Barrette, veut intégrer le CHU Sainte-Justine au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Le milieu, Claude Castonguay en tête, avec l’appui de tous les partis d’opposition, oblige le gouvernement Charest à retraiter.
Comme l’écrit le Dr Jean-François Chicoine dans son avant-propos, «l’histoire de Sainte-Justine est faite d’éternels retours… Le changement de la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux interroge quant à la part réservée à la culture institutionnelle au sein de la grande machine de l’État et sur la place accordée à la médecine pour les mères et les enfants telle que traditionnellement portée par Sainte-Justine».
La 17e édition du Grand sapin de Sainte-Justine
D’ici au 12 décembre, la Fondation CHU Sainte-Justine tient sa grande campagne de collecte de fonds annuelle. Pour faire image auprès des donateurs, les lumières du sapin géant s’illuminent au gré des dons reçus. Le défi est de taille, il y a 600 000 lumières à allumer. L’hôpital Sainte-Justine a toujours eu des ambassadeurs convaincus pour l’aider dans ses campagnes de financement. Guy A. Lepage, dont le fils Thomas a été sauvé par l’équipe de Sainte-Justine, participe à cette opération depuis 2018. Cette année encore, il est appuyé dans sa mission par Fred Pellerin et sa fille Marie-Fée, elle aussi une miraculée de l’hôpital pédiatrique montréalais.
Si vous souhaitez contribuer à la campagne Pour que brillent leurs yeux, cliquez ici.