La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Griffintown. Rendre beau le chaos d’un quartier en mutation

Montréal change à la vitesse grand V. Ça fait longtemps que la métropole n’a pas connu un développement aussi soutenu. Dans ce contexte, le Musée McCord a décidé de lancer un programme de commandes photographiques pour documenter les transformations urbaines en cours.



Le premier mandat a été donné au photographe Robert Walker, qui a posé son objectif sur Griffintown. Ça donne l’exposition Griffintown – Montréal en mutation. Du William Notman sur l’acide!

Photo: Marilyn Aitken, Musée McCord

Pourquoi je dis ça? Parce que, comme Notman, Robert Walker aime photographier sa ville, mais lui le fait en couleur. Les couleurs pétantes, c’est sa marque de commerce, doublée d’un goût prononcé pour le chaos. Ici, oubliez la carte postale proprette, ses photos représentent un Montréal sens dessus dessous.

Comme William Notman, Robert Walker aime photographier sa ville, mais lui le fait en couleur. Photo: Marilyn Aitken, Musée McCord

Il est évident que dans un quartier qui compte un chantier à tous les coins de rue, notre photographe de rue avait l’embarras du choix. C’est le bordel partout! Grues, bétonnières, échafaudages, cônes orange, rues et trottoirs défoncés, panneaux publicitaires qui vendent du rêve en condo, Robert Walker s’est amusé à harnacher toute cette anarchie visuelle en quelques clics savamment organisés.

Photo: Robert Walker, Musée McCord

Il y a beaucoup de gens qui font de la photo aujourd’hui en se pensant bien bons, moi le premier, mais là, on a affaire à quelqu’un qui connaît son métier. Un pro qui fait de la photo depuis plus de trois décennies dans les rues de New York, Paris, Rome, Varsovie, Toronto. Cet homme a un œil de lynx.

Photo: Robert Walker, Musée McCord

Ses photos sont des poèmes visuels du Montréal d’aujourd’hui. La composition de ses images offre plusieurs niveaux de lecture. Il faut regarder attentivement pour voir tout ce qui se passe dans l’instantané qu’il offre à notre regard.

Photo: Robert Walker, Musée McCord

D’abord, il y a l’éradication d’un certain patrimoine qui saute aux yeux. Au terme de sa transformation, il ne restera plus grand-chose de la gloire industrielle de ce quartier ouvrier qui s’est développé sur les bords du canal de Lachine. Les nouvelles tours à condos poussent sur les gravats du passé.

Photo: Robert Walker, Musée McCord

Ensuite, Robert Walker nous dit que ses photos ne portent pas un jugement sur cette transformation tous azimuts, qu’il se contente de la représenter. Mais ce natif du quartier Maisonneuve n’en pense pas moins. Pour le citoyen Walker, le quartier proposé est un désastre urbanistique. Il se désole de l’absence d’écoles, du peu d’espaces verts et du manque de diversité dans la population qui pourra s’installer là.

Photo: Robert Walker, Musée McCord

Le photographe s’amuse souvent à faire cohabiter dans une même photo le rêve vendu par les promoteurs immobiliers et la réalité éprouvante qu’il y a à vivre dans un quartier en perpétuelle construction.

Photo: Marilyn Aitken, Musée McCord

L’exposition compte une vingtaine de photographies grand format. Cela semble peu, mais il faut savoir que la présentation est complétée par une vidéo où on voit le photographe Robert Walker à l’œuvre sur le terrain expliquer ses choix, et d’un diaporama de plusieurs autres photos prises durant son safari urbain.

Photo: Marilyn Aitken, Musée McCord

Il y a aussi de magnifiques photos d’archives qui rappellent l’effervescence de ce secteur qui, au début des années 1800, attirait usines et résidents en grand nombre. La densité qu’on reproche au quartier aujourd’hui n’est rien en comparaison avec le lotissement extrême mis en place par l’arpenteur Louis Charland à la demande de la femme d’affaires Mary Griffin. Eh oui, Griffintown doit son nom à une femme.

Photo: Marilyn Aitken, Musée McCord

Le programme de missions photographiques du Musée McCord s’étendra sur une période de trois ans. D’autres quartiers seront explorés. Les noms des prochains photographes participants ne sont pas encore connus, mais on a déjà hâte. Quelle bonne idée d’immortaliser Montréal en cette période où elle se transforme si radicalement!