Griffintown. Rendre beau le chaos d’un quartier en mutation
Montréal change à la vitesse grand V. Ça fait longtemps que la métropole n’a pas connu un développement aussi soutenu. Dans ce contexte, le Musée McCord a décidé de lancer un programme de commandes photographiques pour documenter les transformations urbaines en cours.
Le premier mandat a été donné au photographe Robert Walker, qui a posé son objectif sur Griffintown. Ça donne l’exposition Griffintown – Montréal en mutation. Du William Notman sur l’acide!
Pourquoi je dis ça? Parce que, comme Notman, Robert Walker aime photographier sa ville, mais lui le fait en couleur. Les couleurs pétantes, c’est sa marque de commerce, doublée d’un goût prononcé pour le chaos. Ici, oubliez la carte postale proprette, ses photos représentent un Montréal sens dessus dessous.
Il est évident que dans un quartier qui compte un chantier à tous les coins de rue, notre photographe de rue avait l’embarras du choix. C’est le bordel partout! Grues, bétonnières, échafaudages, cônes orange, rues et trottoirs défoncés, panneaux publicitaires qui vendent du rêve en condo, Robert Walker s’est amusé à harnacher toute cette anarchie visuelle en quelques clics savamment organisés.
Il y a beaucoup de gens qui font de la photo aujourd’hui en se pensant bien bons, moi le premier, mais là, on a affaire à quelqu’un qui connaît son métier. Un pro qui fait de la photo depuis plus de trois décennies dans les rues de New York, Paris, Rome, Varsovie, Toronto. Cet homme a un œil de lynx.
Ses photos sont des poèmes visuels du Montréal d’aujourd’hui. La composition de ses images offre plusieurs niveaux de lecture. Il faut regarder attentivement pour voir tout ce qui se passe dans l’instantané qu’il offre à notre regard.
D’abord, il y a l’éradication d’un certain patrimoine qui saute aux yeux. Au terme de sa transformation, il ne restera plus grand-chose de la gloire industrielle de ce quartier ouvrier qui s’est développé sur les bords du canal de Lachine. Les nouvelles tours à condos poussent sur les gravats du passé.
Ensuite, Robert Walker nous dit que ses photos ne portent pas un jugement sur cette transformation tous azimuts, qu’il se contente de la représenter. Mais ce natif du quartier Maisonneuve n’en pense pas moins. Pour le citoyen Walker, le quartier proposé est un désastre urbanistique. Il se désole de l’absence d’écoles, du peu d’espaces verts et du manque de diversité dans la population qui pourra s’installer là.
Le photographe s’amuse souvent à faire cohabiter dans une même photo le rêve vendu par les promoteurs immobiliers et la réalité éprouvante qu’il y a à vivre dans un quartier en perpétuelle construction.
L’exposition compte une vingtaine de photographies grand format. Cela semble peu, mais il faut savoir que la présentation est complétée par une vidéo où on voit le photographe Robert Walker à l’œuvre sur le terrain expliquer ses choix, et d’un diaporama de plusieurs autres photos prises durant son safari urbain.
Il y a aussi de magnifiques photos d’archives qui rappellent l’effervescence de ce secteur qui, au début des années 1800, attirait usines et résidents en grand nombre. La densité qu’on reproche au quartier aujourd’hui n’est rien en comparaison avec le lotissement extrême mis en place par l’arpenteur Louis Charland à la demande de la femme d’affaires Mary Griffin. Eh oui, Griffintown doit son nom à une femme.
Le programme de missions photographiques du Musée McCord s’étendra sur une période de trois ans. D’autres quartiers seront explorés. Les noms des prochains photographes participants ne sont pas encore connus, mais on a déjà hâte. Quelle bonne idée d’immortaliser Montréal en cette période où elle se transforme si radicalement!