La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Grace Jones, au-delà de l’image

Question quiz: En quelle année Grace Jones a-t-elle transformé en succès disco planétaire la chanson La vie en rose d’Édith Piaf? Tenez-vous bien… c’était en 1977. Il y a 41 ans! Ça a dû être assez marquant en ce qui me concerne parce que c’est vraiment à cause de cette chanson que j’ai eu envie d’aller voir le documentaire Grace Jones: Bloodlight and Bami, qui prend l’affiche cette semaine. J’ai découvert un personnage que je ne connaissais pratiquement pas et dont la vie n’a pas toujours été rose.



Mettons d’abord une chose au clair, Grace Jones: Bloodlight and Bami est loin d’être un film parfait. La réalisatrice Sophie Fiennes (la sœur de l’acteur Ralph Fiennes) a tourné pendant 10 ans et devant la masse d’archives, on a parfois le sentiment qu’elle n’a pas su élaguer. Son portrait de la chanteuse et mannequin s’étire sur 115 minutes. Il y a des longueurs et souvent, si on n’a pas suivi assidument les rebondissements de sa carrière, on est sans repères pour comprendre ce qui se passe. L’approche, impressionniste, fait fi de toute chronologie. À la défense de Sophie Fiennes, on doit saluer son choix de coller à la personnalité de son sujet plus qu’aux règles du biopic, qui souvent aime plus parler des morts que des vivants, des victimes que des battants, des hommes que des femmes.

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Alors, pour apprécier, il faut abandonner son esprit cartésien et se laisser porter. On finit par toiser cette femme hors-norme, redoutée à cause de son caractère bien trempé, sans parler de sa taille, 1,75 mètre sans talons! Il faut l’entendre raconter pourquoi un jour elle s’est mise à taper live sur un intervieweur vedette de la télé britannique qui ne cessait de lui tourner le dos.

Le film passe beaucoup de temps dans l’île où sont nés Grace Jones et son frère jumeau Christian en 1948, ce qui leur fait aujourd’hui 70 ans bien comptés. En Jamaïque, les caméras de Sophie Fiennes volent des instants en famille, en studio, à l’église.

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Dans ces échanges captés sur le vif, on apprend que la petite Grace a été élevée dans l’univers strict de la religion, qu’elle a été victime de violence et d’abus par le second mari de sa grand-mère. Le monstre, nommé Mas P, avait une collection de martinets pour la correction des enfants et elle en a subi les effets plus souvent qu’à son tour.

On comprend qu’elle ait voulu fuir ce milieu religieux et restrictif, qu’elle se soit forgé un caractère pour ne plus se faire marcher sur les pieds. Plusieurs scènes permettent de juger de ce tempérament tempétueux.

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On voit la chanteuse piquer une sainte colère au téléphone parce que les célèbres musiciens Sly et Robbie, qu’elle a mis sous contrat pour son disque, ne se sont pas présentés. Elle va tenir tête au réalisateur d’une émission de variétés française qui a pensé que lui faire chanter La vie en rose avec des danseuses qui ont l’air tout droit sorties d’un bordel est une bonne idée. La caméra nous la montre aussi vociférant parce la note de sa chambre d’hôtel n’a pas été réglée comme prévu au contrat.

On la retrouvera plus fragile devant Jean-Paul Goude, le publiciste et photographe français qui lui a fait accéder à la gloire internationale et qui se trouve à être le père de son fils. On saisit à la fin que ce dernier l’a faite grand-maman.

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La musique vient ponctuer ces vignettes dignes de la téléréalité. Il s’agit de chansons de Grace Jones, oh combien! autobiographiques, enregistrées lors d’un spectacle devant public. Quel âge avait-elle lors de l’enregistrement? On ne le sait pas trop, mais son sens du rythme est intact et sa propension à être spectaculaire inaltérée.

En fin de compte, le documentaire nous aura fait passer un moment pas banal dans l’intimité d’une artiste qui a consenti, ce qui est rare, à se montrer au-delà de l’image fabriquée et entretenue pendant plus de 40 ans.