La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Ginette: Ginette! Ginette!

Depuis le temps que Ginette Reno nous promet une autobiographie racontant sa vie! Le voici, ce livre, intitulé tout simplement Ginette.



Commençons par l’objet. La page couverture ne manque pas d’attirer l’attention. Chevelure argentée, bouche vermeille, yeux bruns pétillants, sourire engageant, Ginette Reno y apparaît rayonnante. Cette belle femme ne fait pas les 77 ans qu’elle aura le 28 avril prochain.

On retrouve aussi la chanteuse sur la quatrième de couverture, assise sur un piano à queue. Droite et fière.

Entre les deux, 319 pages en papier brun. Pas de photos, mais 61 chapitres, écrits gros.

Est-ce que Ginette est vraiment une autobiographie? Je dirais plutôt une suite de souvenirs ressassés, traversée de réflexions sur la vie.

Est-ce que Ginette est vraiment une autobiographie? Je dirais plutôt une suite de souvenirs ressassés, traversée de réflexions sur la vie. L’auteure privilégie l’anecdote, souvent triviale (on reconnaît bien là notre Ginette), au détriment d’un récit qui aurait contribué à magnifier encore plus sa légende.

Cette femme est terre-à-terre. Pas question pour elle de masquer ses origines modestes sur le Plateau Mont-Royal d’avant l’embourgeoisement. Même qu’elle en rajoute sur ce qu’on connaissait déjà de sa jeunesse dans une famille dysfonctionnelle digne de l’univers de Tremblay. Les mots qu’elle a pour sa mère dominatrice, son père alcoolique et violent, sont extrêmement durs, même si on sent son désir de faire la paix avec ce passé lourd qui a hypothéqué beaucoup de son amour-propre.

Le portrait qu’elle esquisse des hommes de sa vie, buveur attardé ou mari volage, est peu flatteur. Mais à lire les descriptions qu’elle fait d’eux, on sent que c’est bien mérité.

Elle n’est guère plus tendre à son égard, revenant constamment sur son poids corporel, son assujettissement à la nourriture et sa dépendance affective.

Le journaliste que je suis apprécie toujours quand les biographies reposent sur des faits et des exemples. Ici, oubliez les dates et les lieux précis. Ce n’est pas en lisant ce livre que vous saurez le nombre de disques qu’elle a vendus, le nombre de semaines où elle a trôné au sommet des palmarès, la liste des prix et honneurs qu’elle a reçus. On navigue à vue dans un déroulement pas toujours chronologique.

Le parcours qu’elle nous propose d’emprunter nous ramène souvent à son Bon Dieu. Les gens croyants, ceux ayant des problèmes de dépendance, ou stigmatisés par la pauvreté, aimeront sans doute les pages consacrées à sa foi, à ses multiples diètes, à ses retraites et autres tentatives de chasser les démons qui l’accablent.

Personnellement, j’ai préféré les passages traitant du rapport qu’elle entretient avec sa voix, qu’elle considère comme un don de Dieu, et ceux où elle parle de l’importance du travail consciencieux, la clé du succès.

La Ginette professionnelle qui se révèle dans cet ouvrage, c’est bien celle qu’on suit depuis plus de 60 ans. On peut dire que Ginette Reno a toujours fait partie de notre paysage. Son premier engagement remonte au début des années 1950, bien avant ma naissance, grâce à Jean Simon. Ce découvreur de talents a fermé les yeux sur les 13 ans qu’elle avait lorsqu’il l’a convoquée à son premier concours au Café de l’Est, concours qu’elle a remporté haut la main. Ce sera le premier d’une ribambelle d’autres.

La carrière de Ginette Reno ne manque pas d’épisodes glorieux et de moments étonnants. Oui, elle parle de sa participation au concert d’ouverture de la Place des Arts en 1964, de ses enregistrements de chansons à Londres, de ses cours de théâtre à Los Angeles auprès du maître de l’Actor’s Studio, Lee Strasberg, de son triomphe au show de la Saint-Jean sur le mont Royal en 1975, du succès qu’elle obtient au cinéma dans Laura Cadieux et Léolo. Mais tous ces moments de bravoure ont à peu près le même espace que la fois où sa maison de Boucherville a brûlé à cause d’un article de fumeur de son mari qui s’est endormi alors qu’il était saoul, ou la description des abus que certaines bonnes de ses enfants lui ont fait subir. On reste souvent sur notre faim, par exemple sur la relation avec René Angélil et Céline Dion.

Ginette Reno a écrit son livre avec la collaboration de l’auteur-compositeur Lambert. Ce dernier a manifestement respecté la volonté de l’auteure d’être transparente au sujet de sa vie. Les phrases sont simples. Le propos direct. Pas d’artifices. À l’image du personnage.

Un mot sur ce Lambert, en passant. Gérard Lambert, 72 ans, connaît parfaitement l’univers de la chanson populaire au Québec. À partir du début des années 1970, il gravitera autour des Lucille Dumont, Serge Laprade, Michèle Richard, Michel Louvain, Shirley Théroux, et bien sûr Ginette Reno. Il travaillera avec cette dernière et Michel Legrand sur un projet de comédie musicale. Mais ça, ce n’est pas le livre qui vous le dira. J’ai dû souvent faire mes propres recherches pour en savoir plus sur des confidences trop sommairement développées.

Bref, le livre définitif sur la vie de Ginette Reno n’a pas encore été écrit. Cela n’empêchera pas cette publication d’être un succès. Le public qui la suit assidûment et achète ses disques par milliers depuis si longtemps ne boudera pas l’ouvrage parce qu’il est seulement en vente chez Jean Coutu.

Que le livre ne soit pas disponible en librairie, ce qui a beaucoup fait réagir le monde de l’édition, n’est pas surprenant. Il y a longtemps que notre Ginette nationale a rompu avec le système et s’assure de toucher le maximum de profits de ce qu’elle crée. Ça fait longtemps qu’elle a fondé son propre label et sa maison d’édition. Éditions Cantaloupe pour le livre et Disques Melon-Miel pour les enregistrements sonores, même combat! Ginette Reno n’est pas qu’une chanson, c’est aussi une redoutable femme d’affaires.

La preuve? En même temps que cette autobiographie attendue depuis au moins 30 ans, la chanteuse sort un disque intitulé C’est tout moi, son 42e en carrière. Et effectivement, c’est tout elle.

Vocalement, Ginette demeure un roc. Toute en puissance! Elle enfile 14 titres, 11 chansons originales et 3 reprises, concoctés par une solide armée de paroliers et de compositeurs.

Vocalement, Ginette demeure un roc. Toute en puissance! Elle enfile 14 titres, 11 chansons originales et 3 reprises, concoctés par une solide armée de paroliers et de compositeurs. On y retrouve les mots et les musiques de grandes pointures de l’industrie, notamment Claude Gauthier, Pascal Obispo, Félix Gray, Jacques Veneruso, Frédérick Baron, Rick Allison, Romano Musumara, ainsi que Lambert, celui qui a collaboré à l’écriture de son livre.

Ginette elle-même participe à l’écriture de deux chansons, dont Malatou, une toune qui va certainement trouver écho chez tous ceux qui sentent leur âge dans leur corps.

«C’est ben simple

J’ai mal partout

T’as mal où?

J’ai mal à tout

Je viens juste d’arriver à la pharmacie

Jean Coutu est devenu mon meilleur ami

Je cherche les déambulateurs

Et puis toutes sortes d’antidouleurs»

Après ça, comment se surprendre que le disque soit aussi disponible chez Jean Coutu!

À défaut d’aller en pharmacie, on peut se procurer le disque et le livre sur la boutique en ligne ginettereno.com.

Ah, Ginette! Ginette! Ginette!