Films à voir pendant les Fêtes
Le temps des Fêtes est une période propice à aller au cinéma. Plusieurs nouveautés prennent l’affiche, entourées du fameux buzz des Oscars. Avant de connaître les nominations qui seront dévoilées le 17 janvier prochain, permettez-moi d’attirer votre attention sur deux productions qui portent la signature d’habitués de la cérémonie des Oscars, même s’ils ne sont pas Américains: le Chilien Pablo Larrain et le Français Michel Hazanavicius.
Maria de Pablo Larrain
Si vous avez apprécié les films Jackie en 2017 et Spencer en 2021 de Pablo Larrain, ne manquez pas Maria, le troisième de sa trilogie de portraits d’icônes féminines du 20e siècle. Ce drame biographique inspiré de la vie de Maria Callas offre une plongée saisissante dans la psyché complexe d’une des cantatrices les plus adulées de l’histoire.
Pour le réalisateur chilien, il y a un lien indéniable entre Jackie Kennedy, Diana Spencer, et Maria Callas. Voilà trois femmes qui ont été de leur vivant la cible de tous les regards, et seules à gérer dans leur tête cette intrusion aussi admirative que destructrice.
Pour raconter la Callas, Larrain prend la même posture que celle adoptée pour Jackie et Diana. Voici comment il présentait son approche dans La Presse:
«Je crois qu’il est impossible de raconter la vie de quelqu’un, que le drame biographique est en fait une fantaisie culturelle. Ce qui m’intéresse, c’est me pencher sur la vie de quelqu’un, plutôt un fragment de sa vie, afin de capter l’essence de sa personnalité. Je ne crois pas qu’un film, même celui-ci, puisse nous apprendre ce qu’a réellement été une personne.»
Le film de Pablo Larrain n’est donc pas un biopic terre à terre, comme Monsieur Aznavour, par exemple. Encore une fois, le réalisateur choisit la voie de l’allégorie pour évoquer la personnalité de son sujet, qui s’adonne cette fois-ci à être une diva. Avec tout ce que cela peut comporter d’excès de personnalité.
Le récit est campé en 1977, dans les jours précédant la mort de Maria Callas, à l’âge de 53 ans. Nous sommes dans son appartement du 36 avenue Georges-Mandel, dans le 16e arrondissement de Paris, où veillent un majordome et une gouvernante qui s’accommodent de tous ses caprices.
La chanteuse songe à revenir sur scène. Dans les hallucinations que lui procure la flopée de médicaments qu’elle ingurgite, elle revit plusieurs moments de sa vie, de sa jeunesse douloureuse en Grèce aux triomphes qu’elle obtient sur les scènes des plus grands opéras du monde, en passant par sa cruelle histoire d’amour avec Aristote Onassis.
Les fans et les grands connaisseurs de la Callas ont une longueur d’avance sur les autres spectateurs. Ils savent tout de son histoire (naissance à New York, retour en Grèce pour y vivre sous la férule d’une mère tyrannique, mariage avec son gérant Giovanni Battista Meneghini, beaucoup plus âgé qu’elle, sa pause professionnelle pendant son idylle avec son tycoon grec qui n’aimait pas l’opéra, ses démêlés avec les journalistes, etc.), et ils connaissent par cœur le répertoire qui l’a rendue célèbre (La Traviata, Tosca, Anna Bolena, Otello, Madama Butterfly).
D’ailleurs, parmi les airs qui ont fait la notoriété de la soprano dramatique, le réalisateur a choisi ceux qui contribuaient le plus à faire progresser son histoire. Voilà un autre atout pour les abonnés d’opéra pour qui tout ça tient de l’évidence.
Pour les profanes comme moi, il manque dans le scénario beaucoup de faits et de détails historiques pour lier ensemble les morceaux du puzzle bien onirique que Pablo Larrain nous propose. Mais ce n’est pas grave, ça participe à nous immerger dans le même flou que celui dans lequel la diva macère à la fin de sa vie.
On peut toujours se reprendre en faisant des recherches lorsqu’on revient à la maison. C’est ainsi que j’ai appris que Sophie Cecilia Kalos est bien née aux États-Unis le 2 décembre 1923, qu’elle est revenue en Grèce avec sa mère et sa sœur en 1937, qu’elle a renoncé à sa citoyenneté américaine en 1966.
Venons-en à Angelina Jolie, qui incarne l’imposant personnage dans les différents moments de sa vie: en gros plan, lorsqu’elle épate la galerie dans les grandes salles d’opéra de la planète, d’un grand chic, dans les réceptions mondaines où elle fait tourner les têtes, traquée dans la froideur d’une salle vide, lorsqu’elle reprend contact avec le chant, dans son grand appartement rempli de ses souvenirs.
J’ai mis du temps à être convaincu, car malgré des mois à perfectionner l’art de faire du lypsync sur les meilleures pistes d’enregistrement de la voix de la grande chanteuse d’opéra, on sait très bien que ce n’est pas Angelina qui chante. Contrairement à Tahar Rahim, qui nous bluffe totalement dans Monsieur Aznavour.
Pour la ressemblance, j’ai aussi trouvé qu’Angelina Jolie, actrice reconnue pour ses lèvres généreuses, fait plus souvent penser à Sophia Loren qu’à Maria Callas, surtout quand elle porte des lunettes. En fait, Céline Dion ressemble beaucoup plus à la Callas originale qu’Angelina Jolie. Ça, c’est sans parler des destinées semblables de Maria et Céline (née pauvre, dotée d’une voix unique, mariée jeune à son gérant, carrière internationale, cible des journalistes, assaillie par des problèmes de voix au faîte de sa carrière). Je comprends pourquoi René Angélil souhaitait tant voir sa diva incarner la Callas.
Mais, encore une fois, je me rallie au choix du réalisateur quand il soutient qu’il fallait une icône qu’on croit connaître, remplie de mystère, pour en incarner une autre. Dans un film plus en évocation qu’en volonté d’être une copie de la réalité, on réalise, plus l’histoire avance, que c’était finalement un bon choix. Digne d’un Oscar? À voir.
Angelina Jolie est soutenue par deux fabuleux acteurs italiens, Pierfrancesco Favino et Alba Rohrwacker, qui incarnent avec maestria l’ordinaire extraordinaire de la vie d’un butler et d’une cuisinière de star.
Voilà donc une Américaine dans le rôle principal, entourée d’acteurs italiens (il y a aussi Valeria Golino, en sœur de Maria), français (Vincent Macaigne, en docteur Fontainebleau), turc (Haluk Bilginer, en Onassis), danois (Caspar Philipson, en John F. Kennedy), australien (Kodi Smith-McPhee, en journaliste ironiquement nommé Mandrax, comme le fameux barbiturique que Callas a beaucoup consommé), grec (Aggelina Papadopoulou, Maria jeune), au service d’un réalisateur chilien.
Ajoutons à cela des producteurs venus de Rome (The Apartment), de Berlin (Komplizen Film), de Santiago (Fabula), de Londres (Fremantle), qui ont choisi de tourner principalement en studio à Budapest, en Hongrie (en plus d’extérieurs à Paris et en Grèce), ça donne, au bout du compte, un générique époustouflant, aussi international que ne le fut la carrière de Maria Callas.
À voir en salle… évidemment.
La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius
Michel Hazanavicius, qui nous a donné les comédies OSS 117 et le fabuleux The Artist, gagnant de plusieurs Oscars en 2012, change totalement de registre avec son nouveau film. La plus précieuse des marchandises traite de la Shoah par le biais du cinéma d’animation.
Par un matin de tempête de neige, une pauvre femme demande à Dieu que le train de marchandises qui passe au milieu de sa forêt laisse tomber de son convoi un petit quelque chose qui comblerait sa faim. Contre toute attente, c’est un bébé emmailloté qu’elle trouve sur le bord de la voie ferrée.
La marchandise évoquée dans le titre de cette histoire inventée est donc un poupon abandonné par ses parents en route vers les camps de la mort d’Auschwitz.
Même si les mots nazi, juif, Shoah, génocide ne sont jamais prononcés, que la Deuxième Guerre mondiale n’est jamais nommée, ce film nous ramène indubitablement à ce sinistre moment de l’histoire.
Voilà donc une femme qui élève un enfant comme s’il était le sien, qui le fait envers et contre tous ceux qui, dans son entourage, veulent l’extermination de la race à laquelle appartient ce bébé. Même son mari bûcheron sera long à convaincre que cet enfant a un cœur qui bat.
Le film est inspiré d’un récit de Jean-Claude Grumberg, qui a participé à l’élaboration du scénario avec un Michel Hazanavicius très investi dans ce projet, puisqu’on lui doit aussi les dessins des personnages.
Pour Hazanavicius, descendant de juifs lithuaniens, il importait de revenir sur ce sombre épisode de l’histoire, pour en faire ressortir la lumière.
«La plus précieuse des marchandises n’est pas une histoire sur l’horreur ou sur les camps, ça transcende cela. C’est un mouvement des ténèbres vers la lumière, c’est une histoire lumineuse qui révèle ce que l’homme – et en premier lieu la femme – a de meilleur. C’est une pulsion de vie et si le film appelle à se souvenir de quelque chose ou de quelqu’un, c’est des Justes. Ces hommes et ces femmes qui ont sauvé des vies au péril de la leur. C’est eux que le film célèbre.»
Dans la défense de son film, Michel Hazanavicius insiste donc, à la manière de Leonard Cohen, sur la faille qui laisse poindre la lumière. Son récit n’en est pas moins sombre. Il faut savoir que certaines scènes sont extrêmement difficiles à supporter. L’animation, d’une tragique beauté, ne rend pas l’horreur plus facile à voir.
Heureusement, il y a le narrateur, la voix de Jean-Louis Trintignant, d’une grande magnanimité, pour nous élever au-dessus de la vilenie des hommes. Cette contribution au cinéma aura été sa dernière avant de mourir.