La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Le film Trois jours et une vie, quand le polar donne la clé de son intrigue

Si vous êtes amateur de roman noir et de Pierre Lemaître, maître dans le genre, vous avez peut-être lu Trois jours et une vie, le livre qui a suivi Au revoir là-haut, gagnant du prix Goncourt en 2013. Eh bien! Voilà que ce polar nous arrive dans une adaptation cinématographique mystérieuse à souhait qui ravira autant ceux qui ont lu le livre que ceux qui en découvriront les contours sombres pour la première fois. Le scénario est signé par l’auteur lui-même, alors que la réalisation est assurée par Nicolas Boukhrief (La confession).



Trois jours et une vie commence en 1999, dans les Ardennes belges, région reconnue pour ses forêts très denses. Nous sommes dans la dernière ligne droite avant Noël; alors que les parents sont encore très affairés, les enfants se retrouvent en congé scolaire, et un peu laissés à eux-mêmes. Le 22 décembre, on note la disparition de l’un d’entre eux, Rémi, 6 ans et demi, dont le chien a été tué récemment. Une battue s’organise pour retrouver l’enfant, mettant à contribution toute la population. Dans ce petit village reculé, il ne faut pas beaucoup de temps pour que chacun ait son idée du coupable. L’atmosphère est à la Chabrol, à la Simenon.

Mais, on n’est pas ici dans le suspense classique. L’auteur du livre et du scénario a choisi de nous donner la clé de l’intrigue. Très tôt dans l’histoire, on sait où se trouve le bambin. Lemaître choisit de nous mettre dans le secret et de nous rendre, en quelque sorte, complices du responsable de cette disparition.

Pendant deux heures, on partage le désarroi de l’auteur du méfait. Est-ce que sa personnalité lui évitera d’être soupçonné? Parviendra-t-il à ne pas se compromettre? A-t-il bien caché les pièces à conviction? A-t-il des alliés qui participent à le couvrir? Combien de temps le secret tiendra-t-il?

Pour ajouter un élément spectaculaire au déroulement de l’action, le scénario incorpore un événement météorologique qui est réellement survenu dans cette région le 26 décembre 1999. Cet événement, qu’on a baptisé la «tempête du siècle», a fait des dizaines de morts, jeté à terre des centaines d’arbres des Ardennes et coûté des millions de dollars en dommages. Assez, dans notre histoire, pour contaminer la scène de crime et faire dérailler l’enquête sur la disparition du petit Rémi.

Comme vous le voyez, le suspense s’alimente tout seul, et s’étire au-delà des trois jours précédant Noël pour durer toute une vie, comme le dit le titre, parce que l’histoire, bien sûr, rebondira un jour, les traces d’ADN étant indélébiles.

Le film est défendu par une distribution sobre, mais efficace, à commencer par Jérémie Senez et Pablo Pauly, qui se partagent, avec le même regard atterré, le rôle capital d’Antoine, jeune et vieux, aux côtés d’une Sandrine Bonnaire secrète, d’un Charles Berling perturbé et d’un Philippe Torreton énigmatique.

Magnifiquement tourné à Olloy, dans les Ardennes, le décor naturel est un personnage en soi avec son village de vieilles pierres fermé sur lui-même, sa forêt dense et noire, son ciel bas, et une humidité qui n’offre aucun répit.

Trois jours et une vie, un film qu’on ressent jusque dans sa chair.