FIFA 2025: un tour du monde en 180 films
Il y a des plaisirs renouvelés. Depuis 43 ans, celui du Festival international du film sur l’art (FIFA) est l’un de ceux-là. Pendant 10 jours, en salle à Montréal et à Québec (du 14 au 23 mars) et autant de jours en ligne (du 21 au 30 mars sur ARTS.FILM), on peut s’organiser un tour du monde en 180 films, venant de 42 pays. Architecture, sculpture, musique, cinéma, mode, littérature, on y fait des découvertes fascinantes. Permettez-moi quelques suggestions.
Michel Gondry, Do it yourself de François Nemeta
On ne pouvait mieux choisir que Michel Gondry, Do it yourself pour ouvrir la 43e édition du festival.
Ce documentaire tonique nous fait découvrir une figure trop méconnue du cinéma français.

Michel Gondry, né à Versailles en 1963, est un digne héritier de son compatriote Georges Méliès (1861-1938), en cela qu’il a su créer, un siècle après lui, de la nouvelle magie à l’écran.
Gondry se révèle à la fin des années 1980 en réalisant les clips du groupe Oui Oui dont il est le batteur attitré.
En grand fan de Norman McLaren qu’il est, Gondry favorise l’animation dans son travail. Il fait tout lui-même, de là la référence au do it yourself du titre.
L’originalité de ses vidéoclips attire l’attention de la chanteuse islandaise Björk. Ensemble, ils développent un style qui se distingue de tout ce qui se fait à l’époque. Cette signature visuelle propulse la carrière de la chanteuse et vaut au jeune réalisateur français une reconnaissance mondiale.
Les Rolling Stones, Sinead O’Connor, Lenny Kravitz, The Chemical Brothers, Daft Punk, Beck, The White Stripes, Kylie Minogue, Massive Attack, même Paul McCartney font appel aux services du frenchie.
Le film nous donne juste envie de revoir ce qu’il a fait avec chacun d’eux.
Dans la deuxième moitié de son documentaire, François Nemeta, qui connaît bien Michel Gondry pour avoir été longtemps un de ses collaborateurs à la caméra, s’intéresse à la carrière cinématographique frénétique de son ami.
On suit Gondry à Los Angeles au début du millénaire. Son premier film, Human Nature, est un échec, qui est rapidement suivi d’un succès. Eternal Sunshine of the Spotless Mind, mettant en vedette Jim Carrey et Kate Winslet, lui vaut l’Oscar du meilleur scénario original, à 42 ans.
Il enchaîne, aux États-Unis et en France, avec un film aux deux ans pendant une décennie. En 2013, il s’attaque à l’adaptation jugée impossible de L’Écume des jours de Boris Vian, y laissant presque sa santé physique et mentale.

Ce que j’aime des documentaires français, c’est qu’ils nous montrent la face cachée du génie créatif. Ici, le documentariste s’intéresse à la famille du créateur, un grand-père inventeur (du clavioline, l’ancêtre du synthétiseur), une mère attirée par les sectes, des frères artistes qui ont beaucoup contribué à son travail, mais aussi à son côté workaholic.
En tout cas, c’est un tout un personnage, qui gagne à être connu davantage.
Au Pavillon Henry F. Hall de l’Université Concordia, le 16 mars. En ligne du 20 au 30 mars sur ARTS.FILM.
David Lynch, une énigme à Hollywood de Stéphane Ghez
Le 16 janvier dernier, le réalisateur américain David Lynch (1946-2025) s’éteignait à Los Angeles, quelques jours avant d’avoir 79 ans. Voilà qu’on nous propose au FIFA un documentaire tout récent d’ARTE (2024), qui ramasse sa carrière de plus de 60 ans dans un très condensé format de 62 minutes des plus éclairants.

C’est le documentariste Stéphane Ghez qui brosse le portrait de ce personnage complexe né au lendemain de la guerre dans une banlieue proprette de l’Idaho, que rien ne destinait à devenir cet artiste qui s’échinera toute sa vie à gratter le vernis de la société en apparence lisse et tranquille dans laquelle il vit.
Dans son cinéma, le rêve américain passe au tordeur. Pas étonnant que Lynch ait été plus souvent récompensé en Europe que dans son propre pays. Il reçoit son premier Oscar, honorifique, en 2020, 40 ans après Elephant Man qui l’a révélé au grand public. Il est vrai que ses films sont aussi exigeants que déroutants. Une énigme à Hollywood, comme le suggère le titre du documentaire.
L’énigme, sa marque de commerce, fera d’ailleurs le succès de sa série Twin Peaks, dont tous disent qu’elle a changé la manière de raconter des histoires à la télévision.

David Lynch n’a pas été seulement un cinéaste marquant. Il a été un touche-à-tout qui a aussi influencé son époque par le biais de la peinture, de la musique, de la littérature, du dessin, du design, de la publicité. La rénovation récente du foyer du Cinéma du Parc avec ses tentures rouges en est un exemple probant à Montréal.

Le film se termine d’ailleurs sur un travelling avant sur un rideau rouge, avec, en voix off, David Lynch qui dit: «Il y a tant d’histoires encore à venir, ultimement chaque vie est un mystère, jusqu’à ce que chacun de nous résolve ce mystère. C’est vers ça que nous convergeons tous, qu’on le veuille ou non», et le rideau de s’ouvrir sur une image du cosmos.
Et comme s’il nous parlait de l’au-delà, il ajoute: «Soyez tous heureux. Que chacun de vous échappe à la maladie. Que personne ne souffre. Peace!»
Que David Lynch soit avec vous!
Au Cinéma du Musée à Montréal et au Musée national des beaux-arts de Québec le 19 mars. En ligne du 20 au 30 mars sur ARTS.FILM.
Erik Satie entre les notes, de Gregory Monro
Si vous n’aviez qu’un film à voir au FIFA, choisissez Erik Satie entre les notes, c’est une merveille de documentaire qui arrive pile en ce centenaire du décès de ce musicien français, un autre mal connu.

Ce film va au-delà des Gymnopédies qu’Erik Satie (1866-1925) a composées à 22 ans alors qu’il faisait partie de la bohème de Montmartre. Au-delà aussi des Gnossiennes, autre œuvre emblématique de ce compositeur qui a mené sa carrière en original excentrique toujours en réaction au romantisme de son époque.

Ce choix d’être dans la marge et de ne pas se prendre au sérieux aura pour conséquence d’en faire un antihéros. Tous les intervenants qui témoignent dans ce film, aussi spécialistes soient-ils, nous font comprendre concrètement en quoi il a pourtant été révolutionnaire, un surréaliste avant l’heure.
On ne fait pas équipe avec Jean Cocteau et Picasso sur un ballet (Parade) impunément. On ne devient pas une référence pour John Cage, Philip Glass et Steve Reich pour rien.
Le documentariste Gregory Monro nous garde la vie privée de Satie pour la fin. Heureusement, car sa jeunesse et surtout la fin de sa vie ont été si misérables que cela aurait probablement occulté tout le reste. En tout cas, cela explique certainement la mélancolie qui émane de sa musique.
La bonne nouvelle: on dirait que, 100 ans après sa mort, la jeune génération a de l’intérêt pour ce musicien intemporel.
Au Musée national des beaux-arts du Québec, le 20 mars. Au Cinéma du Musée de Montréal, le 22 mars. En ligne du 20 au 30 mars sur ARTS.FILM.
Flore Laurentienne à Saint-Pacôme, de Guillaume Monette
N’attendez pas 100 ans pour découvrir Flore Laurentienne, une formation musicale qu’Erik Satie aurait sûrement appréciée.
Ce projet de Mathieu David Gagnon, qui emprunte son nom à l’encyclopédie botanique du frère Marie-Victorin, marie musique classique et électronique dans une volonté d’évoquer la nature québécoise, particulièrement le fleuve Saint-Laurent cher à ce compositeur élevé à Sainte-Anne-des-Monts.

Le film, qui consiste essentiellement en la captation d’un concert dans la très belle église de Saint-Pacôme, dans le Bas-Saint-Laurent, est une excellente entrée en matière dans l’esthétique de Flore Laurentienne.

On y voit un Mathieu David Gagnon aux manettes de ses vieux synthés sortis de l’époque de Brian Eno, Keith Emerson ou Rick Wakeman, entouré de Robert Kuster et Antoine Létourneau-Berger aux claviers et percussions, et d’un orchestre à cordes de 12 musiciens. Ensemble, ils produisent un univers sonore d’un grand raffinement. Beaucoup plus orchestral, pour ne pas dire somptueux, que la musique néoclassique d’Alexandra Stréliski ou Jean-Michel Blais.
Les pièces interprétées lors de ce concert enregistré en 2022 figurent sur les deux premiers albums de la formation. Depuis, Flore Laurentienne a fait une résidence au Musée des beaux-arts de Montréal, qui a donné 8 tableaux, un disque inspiré de toiles de Jean Paul Riopelle.
Le réalisateur Guillaume Monette et le compositeur Mathieu David Gagnon seront présents à la projection en salle du 18 mars à Montréal, après quoi Mathieu David Gagnon part en tournée avec Flore Laurentienne pour des concerts dans 10 villes américaines, dont New York, Saint-Louis, Pittsburgh et Chicago.
Au Cinéma du Musée de Montréal le 18 mars. Au Musée national des beaux-arts à Québec, le 23 mars. En ligne du 20 au 30 mars sur ARTS.FILM.
Roussil, Le cul par terre, de Maxime-Claude L’Écuyer
Hommage à René Lévesque à Lachine, Migration au parc Jean-Drapeau, Cactus modulaire sur la rue Peel, Totem ailé à Rivière-du-Loup, les œuvres de Roussil font partie de notre décor, mais sait-on vraiment qu’elles sont de lui ?


Qui se souvient même de Robert Roussil ? Qu’il est né à Montréal ? Qu’il a été censuré en 1949 pour une sculpture en bois représentant une famille nue ?
Le fait qu’il a vécu hors du Québec la majeure partie de sa vie explique peut-être cet oubli collectif.

En voyant R. Roussil, Le cul par terre, présenté en première mondiale au FIFA, on ne peut plus ne pas savoir. Le documentariste Maxime-Claude L’Écuyer profite du centenaire de l’artiste pour le ramener dans l’actualité.
Après tout, c’est un contemporain de Jean Paul Riopelle et Françoise Sullivan qui ne cessent, eux, de faire les manchettes ces dernières années.
Robert Roussil est parti pour la France presque 10 ans après son compatriote Riopelle.
Dans le documentaire, on l’entend donner la raison de son exil dans une archive datée de 1957: «Comme la plupart des artistes canadiens, il arrive un temps que c’est la chose à faire.»
Et dans cette entrevue, il ne donne pas de date de retour.
De fait, il vivra sur un pic à Tourrettes-sur-Loup, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, avec sa conjointe Danielle, jusqu’à sa mort en 2013. Sans jamais perdre son accent québécois et sans jamais arrêter de travailler.
Au fil des ans, il a complètement transformé le vieux moulin où il s’est établi, pour en faire une sorte de Saint-Paul-de-Vence personnel.
Il dessine jusqu’à la veille de sa mort, accumulant plus de 700 dessins qui n’ont jusqu’ici, apprend-on dans le film, suscité l’intérêt d’aucun musée canadien.
Ajoutez à ce désintérêt qu’on lui porte en fin de vie les multiples embûches que l’artiste a connues tout au long de sa carrière (qu’on pense à son œuvre La grande fonte qui croupit présentement à la vue de personne à côté du Silo no 5 du Vieux-Port), et ça vous donne un artiste plutôt en colère.

Puisse ce film apaiser de manière posthume son courroux et réhabiliter sa mémoire.
La projection du film en salle le 22 mars se fera en présence de la femme de l’artiste, du réalisateur et des producteurs.
Au Cinéma du Musée à Montréal, le 22 mars.
Louise Bourgeois, la sculpture et la colère, de Marie-Eve De Grave
La sculpture semble être un art ingrat pour qui s’y adonne. Imaginez quand, en plus, vous êtes une femme, le cas de Louise Bourgeois (1911-2010).

Le documentaire Louise Bourgeois, la sculpture et la colère, de Marie-Eve De Grave est une formidable occasion de comprendre cette artiste tourmentée qui a terminé sa vie en faisant des araignées géantes en mémoire de sa mère.
À partir d’écrits tirés de ses nombreux cahiers personnels et d’entrevues données au fil des ans, le film nous fait son autoportrait. De la France, où elle est née, à New York, où elle est morte naturalisée Américaine. Tout y passe, le père qu’elle adore, la mère (restauratrice de tapisseries) qu’elle perd très jeune, la nanny anglaise qui couche avec son père, le mariage avec un historien d’art américain, le déracinement à New York, les trois enfants garçons qui l’amèneront à avoir une période phallus dans son art, les dépressions sévères, l’absence de reconnaissance dans un milieu d’hommes, et la consécration à 60 ans passés avec des œuvres aussi monumentales que destroy et réclamées à travers le monde.

Je ne verrai plus jamais sa Maman à l’entrée du Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa de la même façon maintenant que j’ai vu ce film. Je vous le prescris aussi.
Au Cinéma du Musée de Montréal le 14 mars. Au Musée national des beaux-arts à Québec, le 20 mars. En ligne du 20 au 30 mars sur ARTS.FILM.