René Lévesque (1922-1987): toujours des nôtres
Cette année marque le centenaire de la naissance d’un grand Québécois, l’inoubliable René Lévesque. Plusieurs événements souligneront cet anniversaire au cours des prochains mois. Le Quartier des spectacles lance le bal cette semaine avec une exposition gratuite en plein air retraçant les grandes lignes de la vie de cet homme qui a transformé durablement le Québec. Jusqu’au 10 novembre, on a donc rendez-vous avec lui, dans la rue, boulevard de Maisonneuve.
Cette exposition nous arrive de l’Espace René-Lévesque, à New Carlisle, en Gaspésie. Le commissaire Daniel Fortin, qui l’a créée en 2018, en a fait une adaptation pour les emblématiques kiosques de la Promenade des artistes du Quartier des spectacles.
Le parcours commence à l’angle de Saint-Urbain et se poursuit chronologiquement jusqu’à Jeanne-Mance. On y décline la vie de René Lévesque en huit tableaux. On peut accompagner la promenade d’une bande sonore à écouter en utilisant son téléphone intelligent.
Chaque époque a ses photos, très éloquentes, ses artefacts, tellement pertinents, sa ligne du temps providentielle, car elle permet de situer l’homme dans l’Histoire.
Dès le premier kiosque, on prend la mesure du personnage toujours nuancé qu’a été René Lévesque. On comprend pourquoi ce Québécois pur jus est né au Nouveau-Brunswick: à l’époque, c’est le seul hôpital qui existe près de New Carlisle. Cette ville très anglo-saxonne, nous apprend-on, prospère dans une Gaspésie pauvre. Cela le façonnera. Il faut voir la photo de la villa du parrain du petit René (John Hall Kelly a fait fortune dans les mines) pour saisir le contraste qui existait alors entre francophones et anglophones.
À côté de cette photo, on peut lire «Pourquoi demeurer français», un texte écrit alors que Lévesque étudie au Séminaire de Gaspé. À 13 ans, en Méthode, il annonce déjà ses couleurs à propos de la culture et de la langue françaises.
Kiosques suivants: les années comme correspondant de guerre, alors que le journaliste est confronté à l’inhumanité et à l’horreur, la période de gloire au petit écran à Point de mire, où il se révèle un as de la communication, les raisons qui le poussent à tourner le dos au métier de communicateur (la fameuse grève des réalisateurs de Radio-Canada qui commence en 1958) pour embrasser la politique.
Le compte de ses réalisations comme élu est stupéfiant. De voir un homme associé à autant de grands chambardements sociaux (la nationalisation de l’électricité, l’assainissement des règles d’attribution des contrats publics, le zonage agricole, l’adoption d’une Charte de la langue française, celle d’un régime d’assurance automobile, la création d’un ministère de l’Environnement, etc.) rend franchement mélancolique.
L’envergure des idées, la transparence des intentions, la probité des actions, l’évidence des résultats… Disons que le genre d’éthique qui caractérisait René Lévesque a disparu avec l’homme.
Tout ne lui a pas réussi, cependant. L’exposition Le parcours d’un homme d’exception souligne aussi les écueils auxquels l’homme politique a fait face.
La zone qui se consacre aux dernières années de sa vie, intitulée Les années de tourmente, rappelle plusieurs douloureux souvenirs: la Nuit des longs couteaux, la désertion des purs et durs du Parti québécois devant «le beau risque» avec Brian Mulroney, l’usure du pouvoir, la dépression, la mort, nettement prématurée à l’âge de 65 ans.
Heureusement, l’exposition ne se termine pas sur cette triste note. Elle se conclut sur un tableau noir, comme celui de Point de mire, où on résume comment René Lévesque a influencé toutes les sphères de la société québécoise.
Avec cette proposition, la Fondation René-Lévesque et L’Espace René-Lévesque souhaitent garder bien vivant le souvenir de ce père de la nation québécoise. Le pari est tout à fait réussi. Les jeunes qui sont nés depuis la mort de René Lévesque en 1987 (les 35 ans et moins), les nouveaux arrivants, les touristes (les cartels sont bilingues français-anglais), tous ces gens qui passeront par la Promenade des artistes découvriront un grand homme, avec autant de convictions que d’humanisme. Et ceux qui ont connu le personnage ressentiront une grande bouffée de nostalgie. Comme m’a dit une dame âgée qui visitait l’exposition à l’aide d’une marchette: «Ça m’émeut. Je suis contente de l’avoir connu, d’avoir vécu ces années-là.»
En effet, c’est comme si René Lévesque était toujours des nôtres, qu’il revenait nous prodiguer son gros bon sens, nous insuffler sa fierté, nous donner foi en l’humain, en restant toujours à hauteur d’homme.
L’événement soulignant le centenaire de René Lévesque comporte deux autres volets, également gratuits. Dès la tombée du jour, un magnifique portrait de René Lévesque, du photographe Yousuf Karsh, est projeté sur l’immense façade du pavillon Président-Kennedy de l’UQAM et, de midi à 20 h, on peut visionner Quelque chose comme un grand homme, un court-métrage de Luc Cyr qui rappelle avec beaucoup d’émotion l’onde de choc que la mort de René Lévesque a créée en novembre 1987. Le documentaire de 15 minutes est présenté dans un nouvel espace de la Place des arts récupéré depuis la fermeture du magasin Le Parchemin Bijouterie.
Vous trouverez à cet endroit un livre bleu conçu par l’artiste relieuse Josée Dessureault pour recueillir les souvenirs que les citoyens gardent de René Lévesque.
Attendez que je me rappelle
Si vous permettez, je vais vous lancer sur la piste des souvenirs avec quelques-uns des miens.
Je l’avoue, René Lévesque a été une inspiration à devenir journaliste. Je n’ai pas connu sa glorieuse époque à Point de mire, car je suis né l’année où il l’a quittée avec fracas pour marquer son appui aux réalisateurs de Radio-Canada, qui ont commencé leur grève historique en 1958. Mais il demeure que sa manière d’expliquer le monde a longtemps servi d’exemple à tous ceux qui souhaitaient faire ce métier.
Au cégep, j’ai été, à cause de lui, un fervent adepte du Parti québécois. La première fois que j’ai voté, c’est en 1976. Durant la campagne, je me rappelle, je dessinais le logo du PQ (le cercle bleu et son aiguille rouge) sur mes pupitres de classe. Oui, j’ai déjà fait des graffitis! Je ne suis pas sûr que le chef aurait été d’accord.
Le 15 novembre, j’ai travaillé toute la journée comme scrutateur, représentant du Parti québécois, à l’école Pie XII derrière chez moi. Le soir même, je donnais les résultats des élections à CIMF, la radio FM de Télémédia à Hull, où je venais de commencer comme nouvelliste à temps partiel. Pour l’éthique journalistique, c’était pas fort, j’en conviens.
L’année suivante, je déménage à Québec, la ville où tout étudiant en sciences politiques veut être en ce début de mandat du Parti québécois. Des bureaux de CKCV où je travaille à temps partiel, je vois l’appartement de René Lévesque. Il habite le long des remparts, rue d’Auteuil.
Je ne verrai jamais le premier ministre du Québec d’aussi près qu’en décembre 1978. Alors que les courriéristes parlementaires du réseau Télémédia, Mychel Saint-Louis et Jacques Millette, sont requis à Montréal pour le party de Noël de CKAC, on m’affecte à la couverture de l’adoption de la loi créant la Société nationale de l’amiante. Nous sommes en fin de session parlementaire, le vote a lieu en pleine nuit. Au petit matin, je suis dans la même salle que le premier ministre du Québec pour recueillir ses commentaires en conférence de presse. J’ai 20 ans. Je me souviens encore combien j’étais impressionné. Dans la vingtaine, René Lévesque, lui, couvrait la guerre en Europe et nous révélait l’horreur des camps de concentration.
En 1980, je ne suis pas au Québec pour le référendum. J’ai voté par anticipation avant mon départ pour un stage en journalisme à Paris avec, entre autres collègues, Denis Lessard (qui a fait carrière à La Presse) et François Paradis (jusqu’à tout récemment président de l’Assemblée nationale). Le 20 mai, à la Délégation du Québec, rue Pergolèse, nous sommes témoins de la victoire du NON. Seule consolation, j’ai vu la grande correspondante de Radio-Canada, Madeleine Poulin, à l’œuvre, et nous serons reçus, avenue Foch, par le Délégué général du Québec d’alors, Yves Michaud, grand ami de René Lévesque.
En 1981, je suis enfin journaliste à Radio-Canada, mais, manque de pot, en grève pendant la campagne électorale qui portera René Lévesque au pouvoir pour un deuxième mandat. À la fin du conflit de travail, le surnuméraire que je suis n’est pas reconduit dans ses fonctions. Chômage!
Chômage aussi pour ma blonde. Elle qui a été membre du cabinet du ministre de l’Éducation n’obtient pas de poste lorsque son patron, Jacques-Yvan Morin, obtient un ministère plus petit, celui du Développement culturel et scientifique.
En 1981, le taux de chômage chez les jeunes de notre âge avoisinait les 18 %. On fait donc comme les Anglo-Québécois en 1976 : on déménage à Toronto, où il y a davantage de boulot.
C’est de là qu’on suivra le deuxième mandat chaotique de René Lévesque, qui le mènera à sa mort prématurée en 1987.
C’est donc de la métropole du Canada qu’on suivra ses funérailles. L’émotion nous remue au point de nous faire poser la question qui devait surgir un jour: on reste à Toronto ou on part? Un an après les funérailles de René Lévesque, la pancarte à vendre est plantée devant notre maison du quartier Cabbagetown.
À partir de 1989, et ce, pendant 24 ans, c’est au 1400, boulevard René-Lévesque Est que je me présenterai tous les jours de la semaine pour travailler à Radio-Canada. Le boulevard a cessé de s’appeler Dorchester le 16 novembre 1987.
René Lévesque continue d’être présent dans ma vie. Depuis deux ans, j’habite sur le boulevard René-Lévesque Ouest. En ce jour marquant son centenaire, ma blonde et moi sommes allés faire une de ces promenades à vélo que nous aimons bien, assortie d’un pique-nique. Je vous le donne en mille, notre destination était le parc René-Lévesque, à Lachine, magnifique parc en bordure du fleuve Saint-Laurent, qui compte de nombreuses œuvres d’art public. Pour l’occasion, nous avons étendu notre nappe au pied de la plus vibrante de toutes, Hommage à René Lévesque, de Robert Roussil.
En après-midi, en me rendant au Quartier des spectacles pour voir l’exposition consacrée à René Lévesque, je suis passé devant le 1425, René-Lévesque Ouest, là où se trouve l’édifice qui abritait les studios de Radio-Canada quand René Lévesque y faisait carrière.
Quelques blocs plus à l’est, angle René-Lévesque et Saint-Urbain, impossible de ne pas penser à René Lévesque. Un buste en bronze, devant Hydro-Québec, commémore son rôle dans la nationalisation de la production d’énergie électrique.
Oui, 100 ans après sa naissance, René Lévesque est toujours des nôtres.