La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Exercice de mémoire à Québec

Québec est vraiment une ville d’histoire. Chaque fois que je marche dans ses rues, je suis fasciné par tous ces immeubles hérités du passé qui nous convoquent au souvenir de qui nous sommes. C’est pourquoi j’avais très hâte de pouvoir enfin pénétrer dans Le Diamant, nouveau lieu de diffusion de la place d’Youville construit à même les murs d’un bâtiment érigé en 1879 pour accueillir les activités du YMCA de Québec. D’autant que c’était pour voir 887 de Robert Lepage, un spectacle sur le thème de la mémoire (à l’affiche jusqu’au 21 décembre).



L’idée de 887 est venue à Robert Lepage alors qu’il peinait à mémoriser le poème Speak White de Michèle Lalonde, que les organisateurs d’un événement soulignant les 40 ans de la Nuit de la poésie lui avaient demandé de venir dire, de préférence sans texte à la main. Pour s’aider, l’homme de théâtre s’est référé aux principes de la mnémotechnie des Grecs anciens qui consistent à travailler avec des images qu’on organise dans un plan qui pourrait ressembler au lieu qu’on habite.

Cet exercice a mené Robert Lepage sur les pas de son enfance au 887 de la rue Murray à Québec, petit logis de cinq pièces où s’entassaient son père, sa mère, son frère aîné, ses deux sœurs dont il partageait la chambre, et sa grand-mère Alzheimer. Pendant deux heures, seul sur scène, il nous raconte des souvenirs jaillis de sa mémoire. Ça va de l’intime au collectif, de l’admiration qu’il porte à son père, un chauffeur de taxi illettré qu’il voit comme un héros, aux premières démonstrations de force du FLQ, en passant par la visite de Charles de Gaulle au Québec en 1967 et les chicanes de couple de ses voisins immédiats.

Photo: Facebook Le Diamant

Robert Lepage ponctue ses évocations du passé de réflexions sur la mémoire, cette étrange faculté qui nous permet de nous souvenir d’un vieux numéro de téléphone, mais qui nous fait faux bond quand vient le temps de se rappeler celui de notre portable. L’homme de théâtre y va également de quelques rappels historiques concernant la toponymie de Québec, et de préoccupations bien personnelles sur le souvenir qu’on gardera de lui.

L’immense talent de Robert Lepage, c’est encore une fois de faire d’une matière plutôt éclectique un tout cohérent grâce à un dispositif scénique ingénieux qui permet de passer d’un sujet à l’autre de manière naturelle et fluide.

Ainsi, on verra sur scène l’édifice à appartements de la rue Murray, le taxi de son père, Fernand Lepage, le snack-bar qu’il fréquentait, le cortège de Charles de Gaulle passant devant le parc des Braves, les voisins qui écoutent tous en même temps la lecture du manifeste du FLQ par Gaétan Montreuil, le condo moderne qui évoque celui qu’habite aujourd’hui le comédien.

Toute cette mise en scène culmine par une déclamation vigoureuse, de mémoire bien sûr, du fameux poème de Michèle Lalonde. Et grâce à la promenade de deux heures qu’on vient de faire dans le Québec miniature de Robert Lepage, Speak White prend tout son sens historique.

Photo: Facebook Le Diamant

Dans le programme du spectacle offert à l’entrée, Robert Lepage écrit ceci:

«Jamais je n’aurais pu soupçonner que l’effort de mémoire personnel dans lequel je me suis engagé en réalisant ce spectacle m’entraînerait dans les méandres des luttes de classe et de la crise identitaire du Québec des années 1960. Comme si les souvenirs les plus lointains d’événements intimes sont incomplets s’ils ne tiennent pas compte du contexte social dans lequel ils se sont déroulés.»

Voir 887 à Québec apporte une plus-value puisque toutes les références évoquées par Robert Lepage (le quartier Montcalm, l’anse au Foulon, le parc des Braves, le Château Frontenac, etc.) s’y trouvent. Ce n’est pas tout. Le théâtre où est présenté le spectacle est lui aussi chargé de mémoire.

Photo: Facebook Le Diamant

Le Diamant, une destination en soi

Les architectes du Diamant (Coarchitecture, Atelier In Situ, Jacques Plante-architecte, Tetra tech.inc ing.) ont créé un lieu qui établit un lien entre le passé et l’avenir. La magnifique façade Second Empire, signée par l’architecte Joseph-Ferdinand Peachy (1830-1903), a retrouvé sa splendeur d’autrefois. Elle est encadrée par une structure en verre laissant deviner le bouillonnement qui se passe à l’intérieur de ce bâtiment qui comprend deux salles de spectacles, un studio de création, les bureaux de la compagnie de Robert Lepage, Ex-Machina, et ceux du Diamant, l’OBNL (organisme à but non lucratif) qui gère les lieux et agit comme diffuseur de spectacles.

La magnifique façade Second Empire a retrouvé sa splendeur d'autrefois. Photo: Claude Deschênes

Lorsqu’on pénètre à l’intérieur, on perçoit fortement une diagonale dans la configuration de cet espace ouvert sur plusieurs étages. Ce n’est ni un hasard ni une coquetterie d’architecte. Cette diagonale se veut une sorte de prolongement de la côte d’Abraham, qui relie la haute ville à la basse ville en suivant la falaise du cap Diamant.

Ce n’est pas le seul clin d’œil à l’histoire. Dans le foyer de la grande salle de spectacle de 600 places, on a mis en valeur les divisions en bois et les poutres en fonte de ce qui fut autrefois le YMCA de Québec.

Les divisions en bois et les poutres en fonte de ce qui fut autrefois le YMCA de Québec sont mises en valeur. Photo: Claude Deschênes

Au dernier étage, on a installé la cuisine des employés et sa terrasse extérieure avec une vue imprenable sur la place d’Youville. C’est là aussi que se trouve le studio de création Lepage-Beaulieu, orné d’une photo de jeunesse de Robert Lepage et de sa sœur Lynda Beaulieu, sa précieuse complice.

Une photo de jeunesse de Robert Lepage et de sa sœur orne les murs du studio de création Lepage-Beaulieu. Photo: Claude Deschênes

Au-dessus de l’entrée principale, place d’Youville, une œuvre d’art de Claudie Gagnon, réalisée par Ludovic Boney, rappelle l’ancienne enseigne circulaire du Cinéma de Paris. Faite en verre, l’œuvre Atome ou le fruit des étoiles mesure 4,5 mètres de diamètre et pèse 2,5 tonnes. Autre contribution artistique qui amène une touche de modernité à cette nouvelle adresse, l’artiste Zilon a produit une gigantesque murale intitulée Les divinités spectaculaires, visible de la rue des Glacis.

La gigantesque murale de l’artiste Zilon est visible de la rue des Glacis. Photo: Claude Deschênes

À n’en point douter, le Diamant deviendra une destination. Des gens viendront à Québec spécialement pour voir les spectacles qui y seront présentés. La programmation d’hiver a été annoncée cette semaine; mentionnons entre autres Humans de la compagnie de cirque australienne Circa, Le dévissement du monde de Kevin McCoy et Quills de Robert Lepage. Il y aura même des combats de lutte, comme dans le temps de l’émission Sur le matelas!

Du nouveau côté hébergement

Une nouvelle offre d’hébergement se développe en parallèle. L’agrandissement de l’hôtel Le Capitole, voisin du Diamant, est maintenant terminé. L’établissement, qui sera officiellement inauguré le 4 décembre, dispose maintenant d’une centaine de chambres ultramodernes, dont plusieurs offrent des vues spectaculaires sur le Vieux-Québec.

Monsieur Jean est un charmant hôtel particulier qu'a visité Marie-Julie Gagnon en octobre dernier. Photo: Marie-Julie Gagnon

J’ai aussi visité Monsieur Jean, un hôtel particulier qui loge dans un ancien immeuble de bureaux complètement restauré situé à l’angle des rues Chauveau et Saint-Jean, derrière l’hôtel de ville. Les 49 suites, décorées avec goût et originalité, sont équipées d’une cuisinette et les tarifs proposés pendant la durée du Marché de Noël allemand (jusqu’au 23 décembre) sont très compétitifs.

Broue. L’homme des tavernes au Musée de la civilisation

Il faut amener votre progéniture voir cette exposition qui raconte combien notre société s’est transformée depuis les années 1970.

Photo: Claude Deschênes

On y a reconstitué une taverne, comme à l’époque où les femmes en étaient exclues. Le décor est à l’avenant, une salle sans fenêtre où, assis sur une petite chaise en bois devant une table remplie de bouteilles et de verres de bière, des hommes pouvaient passer des heures à changer le monde ou à ruminer leurs problèmes, avec pour seul repas des œufs ou des langues de porc dans le vinaigre et un sac de chips. On a même l’indispensable salière qui permettait de donner du pep à une bière tablette flatte.

Photo: Claude Deschênes

L’exposition propose aussi des photos que le photographe Alain Gagnon a prises dans les tavernes dans les années 1970.

Photo: Claude Deschênes

Tout ça serait un peu triste si ce n’était du troisième élément de cette présentation, consacré à la pièce Broue, l’increvable succès que Michel Côté, Marcel Gauthier et Marc Messier ont joué 3 322 fois. Un record Guinness! Costumes, décors, témoignages, extraits, tout y est, pour notre plus grand plaisir.

Photo: Claude Deschênes

Tout compte fait, il n’y a pas meilleure place que la ville de Québec pour s’adonner à l’exercice de mémoire.