La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Ennio: 156 minutes… de bonheur!

À mon tour de vous emmener en Italie cette semaine. Guidé par le réalisateur Giuseppe Tornatore, je vous propose un voyage dans l’univers du grand compositeur Ennio Morricone. Vous serez emporté par les musiques inoubliables qu’il a composées, qu’on pense aux légendaires films The Mission, Cinema Paradiso, 1900, Sacco & Venzetti, Pour une poignée de dollars, et tant d’autres. Morricone est crédité pour au-delà de 500 bandes sonores. Ennio, documentaire en italien avec sous-titres, dure 156 minutes… de bonheur.



L’histoire commence en 1928 à Rome. Ennio Morricone naît d’une mère au foyer et d’un père trompettiste. Pour ce dernier, pas question de laisser son fils perdre son temps à devenir médecin, l’aîné sera musicien. Trompettiste, même. Il pourra prendre le relais dans les orchestres de papa et ainsi aider à faire vivre la famille. Il y a même des documents visuels de ça!

De son propre aveu, Ennio Morricone dit avoir été peu doué pour le solfège, ce qui l’a attiré, très tôt, vers la composition musicale auprès de grands maîtres italiens. «Faites du bruit!», on dirait qu’il répond à cette injonction très en vogue dans le milieu de la musique moderne italienne. Il n’y a rien de trop cacophonique pour lui. Les extraits d’archives des expérimentations que le musicien fait à l’époque sont vraiment «détonnants».

Le compositeur Ennio Morricone sera derrière un nombre important de succès du palmarès italien. ©Piano B Produzioni

Mais, surprise, alors que la RAI (la télévision italienne) l’embauche pour faire des arrangements musicaux dans des émissions de grande écoute, il utilise ce qu’il a appris et testé pour créer là encore un nouveau son très différent du lyrisme italien. Le public réagit tellement bien à cette modernité que le milieu de la chanson populaire (l’équivalent des yéyés en France, ou des chanteurs à gogo de chez nous) le réclame à son tour. Ennio Morricone sera derrière un nombre important de succès du palmarès italien. Les nombreux extraits de scopitones qu’on nous montre sont savoureux et n’annoncent pas nécessairement ce qui s’en vient au cinéma, le prochain milieu à vouloir profiter du génie du compositeur.

Car le compositeur italien ne donnera pas au septième art ce qu’il attend. L’homme, qui n’aime pas se répéter, cherchera de nouveau à créer des sons différents, des mélodies nouvelles, d’autres instrumentations. Morricone réinvente alors la conception de la bande sonore au cinéma.

Morricone a réinventé la conception de la bande sonore au cinéma.©Piano B Produzioni

Le réalisateur Sergio Leone l’apprendra à ses dépens. La musique qu’il reçoit en 1964 pour soutenir la trame de son western-spaghetti Pour une poignée de dollars le désarçonne. Il y a de la guitare, de la flûte, des bruits de fouet, des chœurs. Du jamais entendu. Et ça fonctionne! On ne peut imaginer ces scènes tournées dans le désert américain autrement aujourd’hui. La musique de Morricone est autant un personnage que l’homme sans nom de Clint Eastwood. Et que dire de l’harmonica dans Il était une fois dans l’Ouest, avec Charles Bronson!

Clint Eastwood et Giuseppe Tornatore  ©Piano B Produzioni

Les destins de ces deux hommes, qui sont allés à la même école primaire dans le Trastevere, sont liés pour toujours. Ils feront six films ensemble. À partir de la Trilogie du dollar avec Leone, la carrière de Morricone est partie pour ne plus jamais arrêter.

Étrangement, on sent dans ses propos chagrins à la caméra que le compositeur a longtemps eu l’impression de faire un travail mineur comparativement à ses maîtres et compagnons du conservatoire qui ont persisté à faire de la musique dite sérieuse.

Le trompettiste Quincy Jones et Ennio Morricone ©Piano B Produzioni

Le documentaire s’emploie à nous prouver au contraire qu’il est un des plus grands musiciens du 20e siècle. Le film est un feu roulant de démonstrations du talent naturel et exceptionnel d’Ennio Morricone pour la composition. On apprend qu’il compose souvent directement sur la feuille de musique, sans avoir recours à un piano, par exemple.

C’est fabuleux de constater l’incroyable mémoire qu’il garde de ce qu’il a écrit. En entrevue, il nous explique le rythme, l’attaque, la mélodie de ses plus grands succès à coup de tak! kata! katak!!!

Le documentaire s’emploie à nous prouver qu'Ennio Morricone est un des plus grands musiciens du 20e siècle. ©Piano B Produzioni

Une brochette de grands noms du cinéma témoigne de la grandeur de cet homme réputé discret et taciturne, mais à l’évidence perfectionniste et boulimique du travail.

Il est fascinant d’entendre le réalisateur britannique Roland Joffé raconter comment le son du hautbois s’est imposé dans le film The Mission, Joan Baez dire comment la chanson Here’s to you – Sacco e Vanzetti a été composée en un rien de temps, Quentin Tarantino admettre la grandeur de son compositeur, même si les deux hommes ont une vision et une manière de faire diamétralement opposées.

Ennio Morricone a été célébré partout, mais il est toujours demeuré attaché à son pays, à sa ville, à sa langue, qu’il a fait rayonner à travers le monde. ©Piano B Produzioni

À 88 ans, Morricone obtiendra son seul Oscar pour une musique de film et ce sera pour Les huit salopards de Tarantino.

Et quel moment magique de voir un Bernardo Bertolucci si impressionné par les partitions que Morricone a écrites pour son film-fleuve 1900, qu’il fait jouer la musique lorsqu’il tourne une scène pour que les acteurs soient au même diapason que la composition du maestro!

Tout du long, j’ai été admiratif de cet homme pour une raison supplémentaire qui n’a pas rapport à la musique qu’il a faite. Ennio Morricone a été célébré partout, mais il est toujours demeuré attaché à son pays, à sa ville, à sa langue, qu’il a fait rayonner à travers le monde. Au risque de paraître chauvin. Quand il reçoit les grands honneurs au gala des Oscars, c’est en italien qu’il fait ses remerciements. Voilà un bel exemple inspirant.

Jusqu’à la fin, Ennio Morricone consacre sa vie à la musique. ©Piano B Produzioni

Morricone n’est pas seulement l’homme d’une culture, il est l’homme d’une seule femme. Le documentaire mentionne l’importance qu’a eue son épouse, Maria Travia, qui lui a donné quatre enfants, trois garçons et une fille. De son mariage en 1956 jusqu’à sa mort, elle sera celle dont il ne contestera jamais le jugement.

Jusqu’à la fin, Ennio Morricone consacre sa vie à la musique. Le film nous le montre au podium de grands orchestres, dirigeant ses musiques. Son dernier concert à la barre a eu lieu le 11 janvier 2020 au Palazzo Madama de Rome avec l’Orchestra Roma Sinfonietta. Il est mort, six mois plus tard, le 6 juillet 2020, au Campus biomédical de l’Université de Rome.

Ce gigantissime film, à la hauteur de la légende, est à voir et à entendre. Il sort dans plusieurs salles au Québec. Ça vaut la peine de les énumérer: au Beaubien, au du Parc et du Musée à Montréal, à Station Vu à Pointe-aux-Trembles, au Clap et au Cartier à Québec, à La Maison du Cinéma à Sherbrooke, au Tapis Rouge à Trois-Rivières, au Pine à Sainte-Adèle, au Carrefour du Nord à Saint-Jérôme et au Saint-Eustache à Saint-Eustache.