La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Documentaire Les Rose, les événements d’octobre 1970 vus par l’autre bout de la lorgnette

En octobre 1970, l’enlèvement du diplomate britannique James Richard Cross et du vice-premier ministre du Québec Pierre Laporte par le Front de libération du Québec (FLQ) plongeait le Canada dans une crise sans précédent. 50 ans plus tard, le réalisateur Félix Rose, 33 ans, jette un nouvel éclairage sur cette période trouble en racontant la vie d’un des acteurs principaux de cette crise, son père, Paul Rose, leader de la cellule Chénier.



Le documentaire Les Rose nous amène de l’autre côté de l’Histoire officielle avec une version à échelle humaine, bienveillante à l’égard du clan Rose, bref, subjective, mais curieuse des faits et qui ne prend jamais la forme d’un réquisitoire pour justifier à tout prix le Nous vaincrons de ce groupe terroriste.

Pendant deux heures, Félix Rose partage avec nous son désir de comprendre ce qui s’est passé et chaque minute de sa plongée dans cette page de l’histoire du Québec est captivante.

Paul Rose n’est pas devenu un terroriste du jour au lendemain. Ce fils de Paul et Rose Rose, aîné d’une famille de cinq enfants, a d’abord été élevé dans le quartier ouvrier de Saint-Henri, puis à Jacques-Cartier, municipalité voisine de Longueuil qui avait alors tous les attributs d’un bidonville. Dans cette ville malfamée, Paul Rose a appris la solidarité de sa mère, qui accueillait sous son toit les enfants mal pris. Par son père, il a découvert ce qu’était la vie misérable des travailleurs d’usine canadiens-français exploités par des patrons unilingues anglophones. Plus tard, alors qu’il travaille auprès d’enfants déficients, il réalise encore le peu de cas qu’on fait des gens démunis. Sans surprise, on le trouvera ensuite en avant de la parade pour défendre le fait français, dans les comités de défenses des citoyens de Montréal, en Gaspésie comme animateur à la Maison du pêcheur, que les autorités locales ont en grippe et feront fermer en utilisant des fiers-à-bras.

La famille Rose

Paul Rose est décédé d’un AVC en 2013 avant que son fils n’ait le temps de l’interviewer pour ce projet de film. Avec une verve incroyable, c’est à Jacques Rose, frère de Paul et indéfectible compagnon d’armes, que revient la tâche de nous raconter ce parcours rempli d’indignations et de frustrations. À la fin de la décennie qui a vu naître la Révolution tranquille, considérant que le processus démocratique est sans issue, Paul, Jacques et quelques autres amis prennent la décision de passer à l’action radicale et clandestine. Cependant, le scénario imaginé ne se passe pas exactement comme prévu.

Après l’enlèvement de James Richard Cross par la cellule Libération, la cellule Chénier, qu’ils ont créée de leur côté, se sent obligée d’emboîter le pas en improvisant le rapt de Pierre Laporte. L’action combinée des deux groupes braque les autorités, qui répliquent par des mesures de répression qui bousculeront considérablement la population. Avec le recul, on est plutôt ahuri de voir l’ampleur du déploiement policier et militaire engendré par l’action d’une poignée de révolutionnaires, aussi déterminés furent-ils.

Évidemment, la mort de Pierre Laporte durant sa brève détention constitue la pierre d’achoppement du mouvement felquiste.

À ce sujet, Jacques Rose déclare: «Si on ne l’avait pas kidnappé, il ne serait pas mort. On est responsables jusqu’au bout. On n’a jamais voulu la mort d’un homme dans notre action, mais c’est arrivé. On a été démolis par ça. On l’a assumé et on l’assume encore aujourd’hui.»

Jacques Rose

Le film ne s’arrête pas là, parce que même en prison à purger les peines qu’on leur a infligées, les Rose continuent d’écrire l’histoire en défendant leurs idéaux d’égalité et de justice sociale. Par exemple, le procès des membres de la cellule Chénier a été l’occasion de faire avancer la cause des femmes qui, jusqu’en 1971, n’avaient pas le droit de siéger comme jurés dans les causes civiles et criminelles. Ils militeront pour l’amélioration des conditions de vie dans les pénitenciers, obtiendront le droit de vote pour les détenus. À sa sortie de prison, après des études de maîtrise et de doctorat, Paul travaillera à la CSN, où il continuera de combattre les injustices, et cela jusqu’à sa mort.

Bref, le portrait que Félix Rose nous fait de son père est très loin de l’image du révolutionnaire arrogant brandissant le poing en l’air pour défier l’establishment. Il faut dépasser le préjugé qu’on peut avoir à l’égard de ce personnage sombre de notre histoire et aller à sa rencontre. À travers le témoignage vibrant de Jacques, on fait la connaissance d’un autre homme, qui s’éclaire au contact d’une mère courage qui a grandement influencé ses enfants.

Rose Rose est l’autre découverte de ce film. Voilà une femme pétrie de justice qui n’a jamais baissé la garde devant l’adversité, toujours prête à défendre les siens, dont elle comprenait les véritables motivations. Des archives sont là pour en témoigner. Quand elle s’engage dans le combat pour de meilleures conditions pour les détenus, c’est formidable de voir qu’elle est appuyée dans ses convictions par des gens comme Yvon Deschamps, Gilles Vigneault et Gaston Miron.

Rose Rose

Au-delà de ce portrait de famille extrêmement touchant et de cette leçon d’histoire inusitée, ce film est une réussite cinématographique indéniable. Félix Rose a pu compter sur une quantité incroyable d’archives pour illustrer son propos. Il y a bien sûr les riches documents de l’ONF, qui est coproducteur (des images saisissantes de la pauvreté qui régnait au Québec dans les années 1950, des conditions des travailleurs dans les usines, de l’animation à la Maison du pêcheur à Percé, des manifs de la Saint-Jean en 1969 et de celle pour McGill français, des moments forts d’octobre 70), mais aussi des films familiaux où on voit les enfants Rose et leur mère s’amuser sur le bord de l’eau, un film d’animation surprenant réalisé par Paul Rose avec sa classe spécialisée de l’école Gérard-Filion, la vie en prison, le discours de Paul Rose aux funérailles de sa mère, sa sortie du pénitencier, etc. Le film est aussi soutenu par une magnifique trame musicale signée Philippe Brach.

Les Rose est à voir, parce que l’histoire évolue et qu’il était temps qu’on entende cette autre version de ce moment charnière de notre histoire.

VU: L’exposition Geneviève Cadieux au 1700 La Poste

Au tour de Geneviève Cadieux, un des grands noms de l’art visuel au Québec, d’être accueillie au 1700 La Poste, un lieu d’exposition exceptionnel dirigé et financé par madame Isabelle de Mévius, situé au 1700, rue Notre-Dame Ouest, à Montréal.

Les Montréalais connaissent Geneviève Cadieux pour La voie lactée, qui prend la forme d’un panneau publicitaire affichant des lèvres rouges (celles de sa maman), œuvre plantée sur le toit du Musée d’art contemporain depuis 1992. Les Parisiens ont droit à une version céramique de la même œuvre dans la station Saint-Augustin du métro de Paris.

Mère

En plus de 40 ans d’une carrière qui lui a valu le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques (2011), le prix Paul-Émile Borduas (2018) et son admission à la Société royale du Canada (2014), Geneviève Cadieux n’a jamais cessé de renouveler son discours photographique. Mais qu’elle photographie une personne (souvent ses proches, dont sa sœur, la comédienne Anne-Marie Cadieux), le détail d’un corps, des cellules sanguines ou un élément de la nature, je trouve qu’on reconnaît toujours dans ses tableaux grand format une signature bien à elle.

Rubis

C’est une impression que je ne tenterai pas d’expliquer, car il y a quelque chose de cérébral et de savant dans son travail qui, je le confesse, est difficile à nommer. Le catalogue très luxueux publié en marge de l’exposition, avec ses références à Lacan, Deleuze, Roland Barthes et autres grands penseurs, ne m’a pas été d’un grand secours.

N’empêche, il n’est absolument pas nécessaire de plonger dans la psyché de l’artiste pour apprécier ses œuvres. Ce qu’elles dégagent par leur contenu, leur ampleur et leur disposition sur les murs suffit à créer une véritable émotion chez le visiteur.

Arbre seul (la nuit) detail

La présente exposition compte dix installations. Parmi les plus récentes, trois représentent un même arbre mort photographié à différents moments de la journée au Nouveau-Mexique dans les environs de Ghost Ranch, où la peintre Georgia O’Keeffe, une inspiration pour Geneviève Cadieux, s’est installée dans les années 1940. Les trois impressions au jet d’encre sur papier chiffon sont rehaussées à la feuille de palladium ou à la feuille d’or. On est fasciné par le détail. L’artiste l’avoue, le choix qu’elle a fait de travailler avec les feuilles d’or et de palladium exige beaucoup de minutie et de temps. Il a fallu deux mois pour réaliser Arbre seul (le jour).

Arbre seul (le jour)

On retrouve ce procédé d’enluminure dans trois autres œuvres, dont Firmament, la pièce maitresse de cette exposition et la plus récente. Cette représentation du cosmos, où le noir profond est constellé de points blancs et de taches d’or, rappelle l’immensité de l’univers et, de ce fait, confère au vertige.

Firmament

Une courte vidéo réalisée par Bruno Boulianne et présentée en continu dans une des salles du 1700 La Poste permet au visiteur d’en apprendre plus sur le travail de l’artiste et sur la fragilité de ses œuvres.

L’entrée au 1700 La Poste est libre.