La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Céline Dion. On ne change pas.

Claude Deschênes a vu le documentaire intitulé I Am: Celine Dion (Je suis: Céline Dion, en version sous-titrée) qui sera présenté à compter du 25 juin sur Prime Video.



Ce n’est pas dans mon habitude de parler ici d’émission présentée à la télévision, encore moins sur des chaînes spécialisées payantes. Je fais exception cette semaine par solidarité pour Céline Dion, qui a choisi ce canal pour renouer avec son public, elle dont on n’avait pas de nouvelles depuis l’aveu dramatique qu’elle souffre du syndrome de la personne raide (SPR). J’ai donc vu notre Céline nationale cette semaine sur un écran géant dans le documentaire intitulé I Am: Celine Dion (Je suis: Céline Dion, en version sous-titrée) qui sera présenté à compter du 25 juin sur Prime Video.

Il y a deux lignes de force dans ce film d’Irene Taylor. D'abord, la chanteuse s’applique à rompre avec le mensonge dans lequel elle vit depuis qu’elle a commencé à ressentir d’étranges symptômes qui s’attaquaient à sa voix il y a plus de 15 ans. Ensuite, elle veut aussi nous montrer qu’elle ne se compte pas pour battue, et qu’elle fera tout pour continuer à faire ce qui est sa raison d’exister: chanter.

 

Dans ce film, il n’y a que Céline qui parle. Elle a trouvé une oreille attentive et compatissante chez Irene Taylor, qui cueille ses propos en demeurant hors champ et muette. On est à mille lieues des entrevues que Céline Dion a données durant sa vie, ces échanges où elle mettait en valeur ses intervieweurs autant qu’elle-même.

Je suis: Céline Dion, c’est le soliloque d’une femme qui vit mal avec l’idée d’avoir inventé des raisons pour ses spectacles annulés, qui s’excuse même d’avoir tendu le micro à la foule pour compenser les moments où sa voix faisait défaut.

C’est le cauchemar d’une femme qui souffre de ne plus pouvoir pousser la note là où le public l’attend.

C’est le cri du cœur d’une femme emprisonnée dans un corps qui, de manière inattendue, lui fait mal à crier, elle qui a pourtant été si exigeante pour elle-même toute sa vie.

C’est d’ailleurs sur cette force intérieure qu’elle table pour pouvoir rebondir et rechanter un jour. «Je rechanterai sur scène, même s’il me faut ramper.»

Dans ce film, on la voit au naturel. Sans maquillage, les cheveux tirés, les yeux tristes, les joues épaisses d’avoir trop essuyé les larmes qui y coulent. Cela n’est rien à côté de son impudeur à laisser entendre la misère que sa voix lui donne lorsqu’elle essaie de chanter.

Il y a une longue séquence déchirante où on la voit peiner à enregistrer une chanson en présence de ses producteurs Dave Patel et Denis Savage (son preneur de son de toujours), elle pour qui le studio était autrefois une partie de plaisir.

La séquence se termine par ce qui ressemble à une petite victoire. L’acceptation qu’elle peut «déchanter», comme le lui avait appris Jean-Jacques Goldman. Je dis ça parce qu’on fait apparaître à ce moment-là un extrait d’une chanson du disque 1 fille & 4 types fait avec lui il y a 20 ans, et il y a une parenté entre la voix de cet enregistrement et celle d’aujourd’hui.

Alors qu’on pense que son ardeur au travail sera payante (tout le monde achèterait un disque de Céline avec cette voix-là), le film nous présente sa scène la plus bouleversante, une Céline Dion en pleine crise de syndrome de la personne raide. On constate à quel point la maladie porte bien son nom. Qu’elle est incapacitante. Sur notre siège, on est tétanisé. Jamais une artiste ne s’est montrée dans un tel état de vulnérabilité.

Mais il ne faut pas compter sur ce documentaire pour en savoir plus sur ce syndrome rare et mystérieux qui touche une personne sur un million.

Irene Taylor a fait le film que Céline voulait d’elle. Rien n’évoque les causes possibles de l’apparition d’une telle maladie chez un individu. Pour ça, il faut se fier aux journalistes qui ont fait des recherches, comme la journaliste canadienne Adrienne Arseneault, qui a fait pour CBC NEWS un document beaucoup plus clair sur ce que vit Céline Dion. Dans ce reportage, la médecin qui traite Céline nous dit que les émotions, bonnes ou mauvaises, la lumière intense, le bruit, les foules, sont parmi les grands déclencheurs des crises des personnes atteintes de ce syndrome. Le SPR est une maladie, comme le diabète, qu’on ne guérit pas mais qu’on arriver à soigner au moyen d’un arsenal de médicaments, et par la physiothérapie. Elle ne tue pas, à moins de prendre trop de médicaments pour la soulager.

Dans Je suis: Céline Dion, il y a une large part d’anecdotique. Céline confie justement qu’elle s’est bourrée de Valium jusqu’à un seuil qui aurait pu lui être fatal. Mais pas un mot sur son sevrage.

La réalisatrice préfère nous dorer la pilule en empruntant plusieurs chemins de traverse. Elle nous la montre enfant avec son père, sa mère, ses frères et sœurs; enceinte de René-Charles, maman de jumeaux; parmi ses tonnes d’archives (elle garde tout) et ses centaines de paires de chaussures; cabotinant dans des émissions de télé américaine, ainsi que dans beaucoup de séquences tournées en France à l’époque où elle arborait la coupe courte immortalisée sur la pochette du disque D’eux. On se surprend à rire à son humour autodérisoire, et à ses quelques mots lâchés en québécois, comme un ASTIQUE bien senti.

En contrepartie, on voit très peu René Angélil et René-Charles, et guère plus d’images de ses shows à Las Vegas.

Cela donne donc un documentaire plus impressionniste qu’informatif, même sensationnaliste par moment. La fameuse scène de la crise qui arrive à la fin du film, pour utile qu’elle soit, nous met dans un véritable état d’inconfort. D’ailleurs, une personne a eu un malaise dans la salle, obligeant l’interruption de la projection. Ça vaut la peine de le mentionner aux âmes sensibles qui regarderont Je suis: Céline Dion à la maison.

Pour ce qui est de la première montréalaise, elle avait lieu au Théâtre Maisonneuve. Quand même étrange que ce soit un documentaire sur le rêve en berne de Céline Dion qui nous la ramène à la Place des Arts, elle qui n’y a pas chanté depuis le 31 mai 1985. Cette fois-là, elle avait interprété l’air L’amour est un oiseau rebelle de l’opéra Carmen, qu’ironiquement on entend par deux fois dans Je suis: Céline Dion.

Je ne peux pas terminer sans exprimer mon inconfort par rapport à la manière dont ce film a été lancé. Céline Dion était certainement consentante et trop heureuse de renouer avec ses fans pour qu'on lui fasse des reproches mais, personnellement, le déploiement d’un tapis rouge à New York (où elle était présente en compagnie de son fils René-Charles), Toronto, Montréal et bien d’autres villes, me semblait tout à fait inapproprié pour la première d’un documentaire, peut-être empreint d’espoir, mais néanmoins pas très joyeux. Ce qui me fait dire que Céline n’a pas encore fait le deuil du glamour à tout prix. À 56 ans, comme à 12, elle brûle toujours du même feu intérieur de briller. On ne change pas.