L’autoportrait de Dany Turcotte, comme une toile de clown triste de Muriel Millard
Vous en avez certainement entendu parler, Dany Turcotte a décidé de raconter son histoire dans un livre intitulé D. Turcotte & fils, publié aux Éditions La Presse. Contrairement à ce que les échos entourant cette sortie laissent entendre, cette autobiographie de plus de 300 pages aborde bien plus que les 16 années que l’humoriste a passées sur le siège du Fou du Roi, ce rôle ingrat et solitaire prévu dans le concept original du grand plateau télévisé Tout le monde en parle. Bien qu’il y ait matière à rire, cet autoportrait m’a rappelé les clowns tristes que peignait Muriel Millard. C’est bien connu, ceux qui font rire ont souvent un rictus au visage.
Pour son premier livre, Dany Turcotte a décidé de décliner son histoire de manière chronologique. Choix légitime et judicieux, car les différentes étapes de sa vie qu’il raconte créent un continuum plutôt cohérent, en phase avec l’expression «ceci explique cela». Et au fil des pages il y aura, comme dans le poème de Voltaire, un Jean qui pleure et qui rit.
D’entrée de jeu, l’auteur nous dit que son arrivée au monde en mars 1965 est un accident. Il est le fils de Tit-Luc (5 pi 6 po) et de Noëlla, mère au foyer qui, à 27 ans, a 5 enfants sur les bras, dont lui, le bébé.
Dès les premières descriptions de son environnement familial, j’ai pensé au livre Famille royale de Stéphane Rousseau, humoriste lui aussi né dans une famille condamnée à prendre la vie avec humour. Leurs pères se ressemblent. Ils ont des comportements excessifs et désinvoltes qui font du toit familial un endroit où tout peut arriver, le meilleur comme le pire.
Chez les Turcotte, le meilleur, c’est que le père fait «de la grosse argent» comme entrepreneur et la dépense à toutes sortes de délires que son caractère imprévisible lui dicte. Ça peut même parfois être drôle pour les enfants.
Le pire, c’est la faillite de l’entreprise familiale, suivie de la séparation des parents, qui mène à la perte d’un standing enviable.
Le cadet des Turcotte lutte à sa façon contre sa nouvelle condition d’enfant de l’aide sociale en devenant président de son école secondaire et en faisant des spectacles avec son meilleur ami, Stanley Péan!
Jeune adulte, reconnu pour aimer faire rire, Dany troque sa famille naturelle pour un autre clan du même «groupe sanguin» que le sien, un collectif qui cultive l’humour absurde, et dont certains membres deviendront un jour, comme lui, des noms célèbres du show-business québécois: Marie-Lise Pilote, Émile Gaudreault, Dominique Lévesque.
J’ai aimé me faire rappeler la naissance, au Saguenay, de ce groupe qui a d’abord été un sextuor. Que de travail pour imposer, sans argent, une forme d’humour différente de tout ce qu’on avait vu jusqu’alors! J’avais oublié combien le metteur en scène Robert Lepage a été important dans la définition du style du Groupe Sanguin.
Le long chapitre qui retrace le parcours de Dany Turcotte du Groupe Sanguin à son duo avec Dominique Lévesque (Lévesque & Turcotte) porte un titre qui traduit bien le succès que cette entreprise a été : «Deux mille spectacles et un million de spectateurs».
On n’est donc pas surpris que Dany Turcotte se retrouve, en 2004, à être le faire-valoir de Guy A. Lepage dans un grand rendez-vous dominical à la télévision publique. Après deux tournées du Québec avec le Groupe Sanguin et quatre avec son complice Dominique Lévesque, aucun doute, l’humoriste est aussi connu qu’il connaît le Québec. Son sens de la répartie, aiguisé pendant 20 ans, a tout pour appâter le grand public.
La nouvelle grand-messe du dimanche soir commence en lion. Les vannes de Dany (qu’on se rappelle ses fameuses cartes) réussissent à mettre le feu sur le plateau et à alimenter la chronique le lendemain matin.
Mais TLMEP est une épopée qui demande du souffle. Seize ans, c’est long, et les temps changent vite. L’arrivée des médias sociaux bouscule l’ordre des choses. La liberté que se donnent les téléspectateurs de distribuer leurs propres petites cartes vitrioliques sur Twitter ou Facebook empoisonne la vie du Fou du Roi qui devient, la plupart du temps, le punching bag de l’émission, comme il l’écrit lui-même.
Pour raconter cette époque, et toutes celles qui ont précédé, Dany Turcotte adopte un discours qui marie un humour froid et sarcastique à une posture victimaire qu’il tente de noyer dans l’autodérision.
Ceux qui l’ont trouvé dur à l’endroit de Guy A. Lepage et son équipe de Tout le monde en parle (Turcotte leur reproche de l’avoir laissé se noyer sans lui lancer de bouée), découvriront qu’il peut être impitoyable à l’égard d’anciens gérants, producteurs, collègues, et même envers ses amis et ses amants. D’ailleurs, j’espère qu’il a informé les hommes de sa vie qu’il serait aussi disert sur eux. Il ressort du récit de ses relations que sa vie amoureuse n’a pas toujours été un long fleuve tranquille.
On a l’impression que, pour prouver sa franchise et sa transparence ou encore excuser son côté «papa doloroso», il utilise son livre pour dire tout ce qu’il pense et a sur le cœur alors que souvent il aurait été préférable d’adoucir les angles, ou tout simplement d’éviter les sujets litigieux et les conflits non réglés.
Dans les parties où il parle de La petite séduction qu’il a animée avec succès pendant 12 ans, on s’explique mal qu’il sente le besoin de dévoiler en détail le côté mauvais joueur et disgracieux que Ginette Reno a eu lorsque le village de Champlain l’a accueillie, la pingrerie du bénévole qui héberge Janette Bertrand à Cap-Santé ou les fois où on lui a servi «de la lasagne sèche, des pilons de poulet saignants, de la viande en sauce brune sans sel, ni poivre, ni oignons». Était-ce bien nécessaire, parmi tant de beaux souvenirs qu’il énumère avec enthousiasme?
Ce ton grincheux, qu’il assume, convient en d’autres circonstances. Par exemple, il se prête parfaitement à la description de son ascension du mont Kilimandjaro en 2006, une expérience loin d’être glamour pour toutes sortes de raisons dont il nous convainc.
Même chose quand il revient sur les années de pandémie qui nous ont tant fait souffrir individuellement et collectivement. Son énumération implacable des inconvénients que la COVID-19 a eus sur nos vies vise dans le mille. Quel cauchemar!
C’est d’ailleurs durant cette période de pandémie que le divorce avec Tout le monde en parle se préparera. Les émissions en direct, sans public, sur des sujets toujours graves, ont eu raison du Fou du Roi qui ne se sentait plus à sa place. Même si son plaidoyer est par moment malhabile, on peut aisément comprendre le supplice qu’il a vécu à se sentir inutile sur son tabouret, semaine après semaine, jusqu’à sa démission surprise.
À l’aube de ses 60 ans, établi dans le nouveau quartier montréalais de Griffintown qui lui procure davantage d’anonymat que Le Plateau-Mont-Royal, où il a toujours vécu, Dany Turcotte s’est trouvé une nouvelle vocation, l’écriture.
Le prochain livre est en chantier. On attendra son deuxième essai pour juger de ses qualités d’auteur. Pour l’heure, D. Turcotte & fils ressemble à un exercice cathartique qui, aussi intéressant qu’il soit par moments, dissémine plusieurs malaises en cours de lecture, dont ce fameux relent de clown triste.