La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Pleins feux sur les BB : Bélanger et Basquiat

Cette semaine, en avant la musique avec Mercure en mai, le nouveau disque de Daniel Bélanger, et l’exposition À plein volume, au Musée des beaux-arts de Montréal, qui raconte le lien puissant que le peintre Basquiat (1960-1988) entretenait avec la musique.


Mercure en mai: un douzième disque pour Daniel Bélanger

Pour le vieux journaliste que je suis, la manière de découvrir un disque a beaucoup changé au fil des ans. On ne reçoit plus un album physique avec un collant EMBARGO collé dessus. De nos jours, les attachés de presse nous envoient un lien internet, des fois sur SoundCloud, avec rien d’autre que les chansons à écouter à partir de notre ordinateur, tablette ou téléphone. Tout le matériel promotionnel viendra plus tard, proche de la date de sortie de l’album.

Alors c’est sans avoir la pochette, les textes des chansons, les crédits, pas plus que le communiqué, que j’ai écouté les dix nouvelles pièces du disque Mercure en mai de Daniel Bélanger. L’esprit vierge. Ouvert à cette offrande de nouveaux poèmes sur des musiques flambant neuves.

Sur Mercure en mai, le timbre unique de la voix de Daniel Bélanger est toujours là, même s’il a désormais 60 ans. Photo: Francis Champoux

J’ai comme retrouvé une vieille connaissance. Mine de rien, je suis Daniel Bélanger depuis trente ans cette année. D’abord, il y a le timbre unique de sa voix qui est toujours là, même s’il a désormais 60 ans. Cette manière si singulière de raconter des histoires aussi, avec des mots qui nous collent à la peau. Rappelez-vous: «Sortez-moi de moi», «Six milliards de solitudes», «Intouchable et immortel», «Rêver mieux». Des titres que j’ai intégrés à mon vocabulaire. Il n’est pas rare que je me dise: sortez-moi de moi!

Sur ce douzième album, il nous arrive avec de nouveaux colliers de perles:

«On est si bien tous les deux, toi et moi. J’entends tout ce qui joue dans ta tête.»

«Je me crée une toute petite Californie. Il faut s’accorder en genre et en nombre. Même dégenré, même dénombré.»

«Je parle peu et seulement qu’à quelques services au volant. Je fais aussi de l’insomnie, sur quoi j’étends mes rêveries.»

Musicalement, on reconnaît le style Bélanger. Éternel-chansonnier-dans-un-spoutnik, il habille de nouveau ses chansons de nappes de synthétiseurs, use de multiples voix pour faire planer ça bien haut, et ne dédaigne pas se servir de ses guitares électriques.

Le précédent disque de Daniel Bélanger, Travelling, il y a deux ans, était instrumental. Sur Mercure en mai, il y a deux pièces sans paroles. Elles sont magiques.

Oh no!!! donne l’impression d’une rencontre entre le Take Five de Dave Brubeck et les Swingle Singers. Hiatus a quelque chose de très cinématographique.

Les arrangements de toutes les pièces sont touffus et pourtant on réalise, en consultant finalement le livret, que Bélanger fait pratiquement tout tout seul. Il n’y a que le bassiste Guillaume Doiron et le batteur Robbie Kuster qui sont crédités comme musiciens. Ils sont par ailleurs remarquables.

C’est assez phénoménal, car c’est un disque extrêmement produit, avec toutes sortes de sonorités, de beats, de timbres de voix.

Aussi, quand on lit le communiqué, on réalise que cet album a été créé en pleine pandémie. On comprend alors le sens de la chanson Au vent des idées, ou celui de Soleil levant, deux titres dans lesquels il évoque les longues errances que nous nous sommes tous imposées à défaut d’avoir un lieu où aller durant le grand confinement.

«M’improviser un itinéraire dans l’univers, même si le mien ne fait que quelques rues et quelques avenues. Entre un café et une bonne conversation, refaire le monde une fin à la fois.»

«Refaire le monde une fin à la fois»… n’est-ce pas une prose riche pour de la musique qui demeure, en fin de compte, très populaire et accessible à tous, quel que soit l’âge de celui qui l’écoute?

C’est ça, Daniel Bélanger, une musique liquide et dense, remarquablement mobile… Mercure en mai, comme du vif-argent.

Les arrangements de toutes les pièces sont touffus et pourtant on réalise, en consultant le livret, que Bélanger fait pratiquement tout tout seul.

Le peintre Basquiat et la musique au Musée des beaux-arts de Montréal

Il fait partie de ce qu’on appelle le Club des 27. Comme Jimmy Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain, Amy Winehouse, le peintre new-yorkais Jean-Michel Basquiat est mort à 27 ans. D’une surdose, en 1988; cela fera 35 ans l’an prochain.

Durant sa courte existence, il a été extrêmement prolifique et on commence à peine à découvrir l’ampleur de son œuvre. Le Musée des beaux-arts de l’Ontario lui a consacré en 2015 la plus importante exposition rétrospective jamais vue au Canada. Il aura fallu attendre sept ans pour que notre Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) propose enfin la sienne.

Durant sa courte existence, Jean-Michel Basquiat a été extrêmement prolifique et on commence à peine à découvrir l’ampleur de son œuvre. Photo: Claude Deschênes

L’exposition À plein volume. Basquiat et la musique, présentée du 15 octobre 2022 au 19 février 2023, a quelque chose d’unique et fulgurant, car pour la première fois on s’intéresse au rapport très fusionnel que l’artiste entretenait avec la musique. Quand on sort de cette exposition, on se rend à l’évidence: Basquiat et la musique ne font qu’un.

Avant d’aller plus loin, j’avoue que le travail de Jean-Michel Basquiat, fils d’un père haïtien ayant fui le régime Duvalier et d’une mère portoricaine de New York, ne m’a jamais vraiment interpellé. C’est un artiste des années 1980, très imprégné du street art et du tumulte des boîtes de nuits new-yorkaises. Parmi ses contemporains, je préfère Keith Haring.

Basquiat est très imprégné du street art et du tumulte des boîtes de nuits new-yorkaises. Photo: Claude Deschênes

Je le dis pour ne pas que vous vous attendiez à quelque chose d’aussi lumineux et ravissant que l’exposition L’heure mauve de Nicolas Party qui se termine le 16 octobre au MBAM.

Avec Basquiat, on est ailleurs. Vincent Bessières, un des commissaires de l’expo, spécialiste de musique jazz, explique que Jean-Michel Basquiat approche son art avec une attitude de jazzman. Ses tableaux ont quelque chose de l’improvisation. Ils ne sont jamais complètement terminés et ils se répondent les uns aux autres comme le font les musiciens d’une formation jazz.

Il y a aussi une forme de militantisme dans le discours de cet artiste noir. Il défend les gens de sa race, particulièrement les musiciens de jazz comme Miles Davis, John Coltrane, Billie Holiday, Louis Armstrong, Charlie Parker.

Toile de Jean-Michel Basquiat coréalisée avec Andy Warhol en 1985. Photo: Claude Deschênes

C’est particulièrement éloquent dans une toile qu’il a coréalisée avec Andy Warhol en 1985. Ce dernier a peint la base, soit deux fois le logo de la marque Arm & Hammer (le bras musclé d’un homme blanc avec un marteau dans la main). Basquiat a ensuite recouvert l’un des logos de sa représentation du saxophoniste Charlie Parker soulevant des «questions incisives sur la race, la liberté et la marchandisation dans la culture américaine».

J’utilise les guillemets parce que je cite ici le cartel sous cette œuvre venue de Suisse et appartenant à la collection Bischofberger. Je n’aurais pas trouvé ça tout seul. C’est pour dire que tous les cartels sont à lire. Très détaillés, ils nous aident à comprendre les tableaux qui foisonnent de détails, comme celui-ci où Basquiat représente la particularité du chant opératique.

Dans cette œuvre, Basquiat représente la particularité du chant opératique. Photo: Claude Deschênes

Évidemment, la musique est très présente dans cette exposition, tant sur support audio que vidéo. Quel bonheur de revoir à l’œuvre Miles Davis à la trompette!

La musique est très présente dans cette exposition, tant sur support audio que vidéo. Photo: Claude Deschênes

Parmi les artéfacts, il y a les calepins de notes dans lesquels Basquiat notait ses poèmes, plusieurs enregistrements significatifs issus de sa collection de trois mille disques, et des extraits vidéo de happenings marquants où il agissait à la fois comme DJ et artiste-performeur.

Basquiat agissait parfois comme DJ et artiste-performeur dans des happenings. Photo: Claude Deschênes

C’est hallucinant de voir dans ces vidéos l’environnement dans lequel baignait Jean-Michel Basquiat dans les années 1970 et 1980. On revit la naissance du rap, du hip-hop, du break dance.

C’est une exposition extrêmement touffue, généreuse, inédite. Dans la grande tradition des expos musicales auxquelles le MBAM nous a habitués.

Il y a même possibilité de voir une partie du contenu en réalité augmentée grâce à une application gratuite de Dpt., un studio montréalais spécialisé en développement d’environnements immersifs.

Durant la tenue de l’événement, d’octobre à février, la salle Bourgie du MBAM présentera des concerts inspirés de l’univers musical de Jean-Michel Basquiat. Même concept au Cinéma du Musée, qui proposera en janvier et février une série de films musicaux aux couleurs de Basquiat.

N’est-ce pas que la pochette du disque de Daniel Bélanger ressemble à une toile de Basquiat?

Pour conclure, je n’ai pu m’empêcher de chercher un lien entre mes deux sujets de cette semaine. N’est-ce pas que la pochette du disque de Daniel Bélanger ressemble à une toile de Basquiat? Eh bien, ce n’est pas une lubie. Le graphiste qui l’a conçue, Francis Champoux, m’a confirmé que Daniel Bélanger et lui ont une grande fascination pour ce peintre. Ils reviennent d’ailleurs tout juste de New York, où ils sont allés voir une grande exposition Basquiat (200 toiles) au Starrett-Lehigh Building à Manhattan.

Cette exposition, intitulée Jean-Michel Basquiat, King Pleasure, sera à l’affiche au moins jusqu’au 1er janvier 2023 au 601 West 26th Street.