La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Cirque du Soleil: une nouvelle mouture d’Alegría qui porte à l’allégresse

Vingt-cinq ans après la création du mythique spectacle Alegría, nous revoilà au Vieux-Port de Montréal, sous le chapiteau du Cirque du Soleil, toujours aussi émerveillé par cette production qui porte à l’allégresse.



Le spectacle qui a pris l’affiche cette semaine est une nouvelle mouture, une version 2.0, qu’on peut retourner voir avec un plaisir renouvelé si on l’a déjà vu, et avec un ébahissement total si c’est la première fois. Vous avez jusqu’au 21 juillet pour vous offrir ce plaisir à Montréal, ou à partir du 1er août à Gatineau.

Photo: M-A Lemire

J’ai un attachement très personnel pour Alegría. Jeune journaliste en 1994, j’ai eu le privilège de suivre les différentes étapes de la fabrication de ce spectacle. C’était fascinant de voir le metteur en scène Franco Dragone faire apparaître, avec la complicité de ses artistes repêchés aux quatre coins de la planète, un monde peuplé de personnages comme on n’en avait jamais vu sur une piste de cirque. De suivre la conceptrice Dominique Lemieux dans l’élaboration de costumes extrêmement sophistiqués pour une prestation circassienne. D’assister au travail acharné de la chorégraphe Debra Brown pour rendre fluides et gracieux les mouvements des acrobates venus d’Europe de l’Est. Et d’entendre, avant tout le monde, la formidable musique de René Dupéré.

Tous ces éléments qui ont contribué à l’immense succès d’Alegría, ont à l’époque été consignés dans une bible qu’une nouvelle équipe, dirigée par Daniel Ross et Jean-Guy Legault, a le mandat, aujourd’hui, de mettre au goût du jour.

Photo: M-A Lemire

La trame narrative imaginée par Dragone, le choc entre l’ancien et le nouveau monde, est toujours présente. Les costumes de Dominique Lemieux sont toujours les mêmes. Et plusieurs des numéros qui nous avaient tant épatés sont toujours au programme.

En plus du renouvellement de la distribution, c’est à la musique (arrangements de Jean-Phi Goncalves), à la scénographie (nouveau décor d'Anne Séguin-Poirier) et aux éclairages (Mikki Kunttu) que le coup de jeunesse a été principalement donné.

Le musicien Jean-Phi Goncalves, qui fait des miracles chaque été dans les spectacles hommage que le Cirque présente à Trois-Rivières, a vitaminé la trame sonore déjà excellente de René Dupéré. Y'a du beat dans ses arrangements, et ça donne encore davantage de oumf aux numéros comme la tonique démonstration de powertrack et l’époustouflante finale de barres aériennes.

Cette nouvelle mouture d’Alegría est de son temps pour une multitude de raisons, notamment pour la place faite aux femmes. Commençons par le band. Quatre des cinq musiciens sont des femmes: Sara, Lila, Bika et Didi. Cette dernière, l’Américaine Didi Negron, est spectaculaire à la batterie.

En deuxième partie, il y a deux numéros très forts mettant en vedette des femmes : un solo d’Elena Lev, qui nous mystifie dans sa manipulation de cerceaux, et un duo de main à main proprement stupéfiant avec deux Daria, Russes, une solide porteuse et une voltigeuse toute en grâce.

Photo: M-A Lemire

Ce spectacle ne souffre d’aucun temps mort. C’est une suite ininterrompue d’exploits. La Suissesse Roxanne Gilliand et l’Allemand Nicolai Kuntz nous tiennent en haleine avec le duo de trapèze synchronisé. Le Québécois Jonathan Morin nous ébahit avec sa roue croisée, une invention de son cru. Et que dire de ses compatriotes Catherine Aubry et Alexis Trudel, qui nous chavirent avec une splendide et puissante performance de sangles aériennes sur la désormais mythique chanson Alegría.

Photo: M-A Lemire

Ce n’est pas donné à tous les spectacles du Cirque du Soleil, les clowns m’ont fait rire à chacune de leurs apparitions, beaucoup, grâce à un humour à la fois tendre et ironique.

Photo: M-A Lemire

Celui qui récolte les applaudissements les plus nourris, c’est Lisiate Tovo. Sa danse du feu est exécutée avec un sourire aussi intense que les flammes qu’il manipule. J’ai été tellement impressionné par ce que j’ai vu que je me suis précipité sur Guy Laliberté à l’entracte pour savoir ce que l’ancien cracheur de feu et jadis patron du Cirque du Soleil pensait de cette prestation. C’est alors qu’il m’a rappelé que Lisiate Tovo faisait partie de la première version d’Alegría. Le Cirque avait dû obtenir la permission de ses parents parce qu’il était alors mineur. Comment avais-je pu oublier ce numéro?

Photo: M-A Lemire

En faisant des recherches, j’ai découvert que l’artiste, natif d’Hawaï, s’est joint au spectacle après la création à Montréal, lorsque la tournée est arrivée en Californie. Dans une critique assez sévère, le journaliste Jonathan Taylor du magazine Variety écrivait en septembre 1994 que Tovo offrait la prestation la plus mémorable du spectacle. Il y a des choses qui ne changent pas!

La version de 1994 avait aussi permis de découvrir un clown immense, le Russe Slava Polounine. C’est dans Alegría qu’on a vu pour la première fois la fameuse tempête de neige, le Snow Show qui a fait sa notoriété à travers le monde. Dans son livre Ma place au soleil, Gilles Ste-Croix, qui a été directeur de création d’Alegría, raconte comment il est allé convaincre ce clown adulé des Russes de se joindre au Cirque du Soleil.

Vingt-cinq ans plus tard, ni Slava ni ses descendants ne font partie de la nouvelle version, mais il y a quand même une tempête de neige dans Alegría. Les clowns espagnols Pablo Bermejo Medina et Pablo Gomis Lopez ont intégré, à la manière d’un hommage, une immense chute de confettis à un de leurs numéros. Ça vaut la peine de le mentionner, des droits d’auteurs sont payés à Slava Polounine à chaque exécution. Ce principe de rétribuer les clowns pour leur création a été intégré dans les habitudes du Cirque du Soleil par Gilles Ste-Croix, il y a plus d’un quart de siècle, par respect pour le travail de ces artistes qui travaillent toujours sans filet.

Photo: M-A Lemire

On respecte beaucoup les droits d’auteur dans cette institution. On me dit que les concepteurs originaux d’Alegría ont été informés des changements apportés au spectacle et ils touchent leurs parts de droits dans cette reprise.

Ainsi fait, on peut dire que c’est vraiment une bonne idée que le Cirque du Soleil pimpe ce vieux cheval qui l’a mené si loin (14 millions de spectateurs dans 255 villes à travers le monde en 19 ans de tournée). Oubliez la version aréna présentée au Centre Bell il y a 10 ans, c’est sous le chapiteau que ce genre de spectacle est à son meilleur. Ainsi régénéré, Alegría n’a pas fini de générer de l’allégresse dans le cœur de ceux qui iront à sa rencontre.