La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Chronique sur l’air de la chanson Les choses inutiles

Cette chronique, je la vois comme un partage de choses que j’aime, que je vois. Si elles font mon bonheur, j’ai toujours bon espoir qu’elles pourront vous plaire aussi. Sur l’air de la chanson Les choses inutiles de Sylvain Lelièvre, je vous propose ma liste de la semaine en commençant justement par un disque compilation du regretté auteur-compositeur-interprète.


Le chanteur libre: pour se souvenir de Sylvain Lelièvre

Le 28 avril 2002, l’auteur-compositeur-interprète Sylvain Lelièvre quittait notre monde, laissant derrière lui un grand vide. Comme s’ils avaient compris qu’on s’ennuyait de lui, voilà que 20 ans plus tard, sa femme Monique et ses enfants Éric et Catherine, qui veillent sur ce riche patrimoine musical, nous font le cadeau d’un disque compilation.

Le chanteur libre compte 20 titres, qui ont tous laissé un souvenir marquant dans notre mémoire. Et en les réécoutant, on réalise que ces chansons n’ont pas pris une ride.

On ne se lasse jamais de La Basse-Ville, Petit matin, Toi l’ami, Le joueur de piano, Les choses inutiles. Je nomme les évidentes, mais il y a aussi Le fleuve, Chanson du bord de l’eau, Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves, de très, très grandes chansons qu’il fait autant plaisir à réentendre.

On redécouvre sur ces enregistrements des arrangements somptueux, tantôt avec des cordes vibrantes, tantôt avec une harpe magicienne ou des cuivres caressants. Et toujours ce piano que Sylvain Lelièvre savait si bien mettre en valeur. Ça, c’est sans parler de sa voix, à nulle autre pareille, chaleureuse et enveloppante, au service d’une poésie accessible qui touche le cœur, ressasse les souvenirs, raffermit les grandes idées, rallume les rêves évanouis.

Sylvain Lelièvre aurait eu 80 ans en février 2023, ce disque est la plus belle manière de le garder vivant parmi nous en attendant le retour du spectacle hommage que Joe Bocan a créé autour de son répertoire l’été dernier. Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves réunit Stéphane Archambault, Daniel Boucher, Florence K., Roberto Medile, Danielle Oddera, Martin Théberge, Pierre Verville, sous la direction du chef d’orchestre Jean Fernand Girard. En tournée au printemps.

Le Tigre et le Président: leçon d’histoire au cinéma

Envie d’un film historique? Le cinéma français, qui ne manque jamais de nous gâter dans ce domaine, nous propose à compter de cette semaine Le Tigre et le Président, reconstitution fantasmée du court règne du président Paul Deschanel au début du 20e siècle. Vous ne connaissez pas Paul Deschanel? Normal, et le film vous dira pourquoi.

Nous sommes en 1920 en France, la Première Guerre mondiale est à peine terminée, les Années folles pas encore commencées, que déjà ce président de la République nouvellement élu ambitionne de donner le droit de vote aux femmes, d’abolir la peine de mort, de déchirer le traité de Versailles, car il menace de raviver le conflit avec les Allemands. Élu en janvier, il démissionnera en septembre. Malgré l’idéal qui l’anime et son côté extrêmement précurseur, l’Histoire aura surtout retenu de lui un événement inusité de son court règne.

Le Tigre et le Président est une reconstitution fantasmée du court règne du président Paul Deschanel au début du 20e siècle.

En mai 1921, à l’insu de sa garde rapprochée, Paul Deschanel tombe, en pleine nuit, du train en marche qui l’amène en visite officielle en Val de Loire. Un cheminot viendra au secours de l’homme sans savoir qu’il s’agit du chef de l’État. Lorsque le président revient aux affaires, on explique publiquement sa disparition momentanée par un épisode de somnambulisme dû à la prise de barbituriques puissants pour soigner ses accès d’anxiété et de dépression.

Avouez qu’on a là matière à faire un film!

Ce qu’a fait Jean-Marc Peyrefitte avec, ma foi, beaucoup d’habileté. Le court épisode de la IIIe République qu’il nous raconte s’appuie sur des faits avérés, mais prend tout de même des libertés pour que l’histoire, contenue en 1 heure 38 minutes, soit fluide à l’écran, et facile à comprendre pour le spectateur. Ce film sera même par moment facétieux, et onirique lorsque le personnage principal perd la raison sous l’effet de la pression et de son médicament, le véronal.

Ainsi, le récit s’articule autour de Paul Deschanel, merveilleusement incarné par Jacques Gamblin, mais aussi de Georges Clemenceau, dit le Tigre, son rival, solidement campé par André Dussolier.

Nous avons donc droit à une belle bataille de coqs. Clemenceau, l’artisan du traité de Versailles, ne supporte pas l’idéalisme de celui qui lui a volé le poste de président. Le film nous montre le vieux politicien retors tenter des manœuvres pour faire trébucher le fragile occupant de l’Élysée. Deschanel, lui, patauge comme un diable. Dans une langue fleurie digne de son statut de membre de l’Académie française, il essaie de faire triompher ses idées nouvelles, malgré son naufrage personnel.

Bref, on sort du cinéma diverti et instruit d’une autre page de la longue et toujours surprenante histoire de France.

Mémoires: le retour de François Cousineau

On a beaucoup parlé récemment du 50e anniversaire du disque Tiens-toé ben j’arrive de Diane Dufresne. Cet enregistrement a lancé la chanteuse et révélé un parolier, Luc Plamondon. Mais il ne faut pas oublier celui qui a composé les musiques des grands succès de cet album (J’ai rencontré l’homme de ma vie, En écoutant Elton John, J’avais deux amants, La chanteuse straight): François Cousineau.

Ce pianiste, qui a été compositeur de plus de 200 chansons (Monique Leyrac, Robert Charlebois, Ginette Reno, Jean-Pierre Ferland, etc.), chef d’orchestre du talk-show de Lise Payette, directeur musical des Girls de Clémence Desrochers, des Cyniques, l’homme derrière la musique du film L’Initiation et de l’indicatif de la quotidienne Marilyn, revient à la surface après quelques années à s’être fait discret.

À 80 ans, François Cousineau sort son premier disque de piano solo. Onze compositions de son cru. Certaines pièces ont été entamées il y a longtemps, d’autres écrites dans l’effervescence qui vient avec l’idée de faire un album. Il faut savoir que c’est la fille du musicien, Geneviève, qui a mis au défi son père d’oser cet album solo.

Le disque s’intitule Mémoires. En lisant les idées qui ont inspiré chaque composition, ce choix tient à l’évidence. Vingt printemps fait référence à sa jeune vingtaine, Beyond Life I et II évoquent la mort de son père, Nocturne est inspirée de l’actuelle bêtise humaine, qui afflige le compositeur.

Musicalement, j’ai trouvé l’approche plus classique que ce que nous donnent à entendre les Alexandra Stréliski et Jean-Michel Blais d’aujourd’hui. Une sorte de romantisme d’un autre temps que sœur Paul-Omer, la professeure de piano de François Cousineau quand il avait entre 7 et 12 ans, aurait certainement approuvée.

L’expérience Showtime au théâtre Duceppe

Plutôt que de terminer l’année avec un spectacle comique issu du répertoire américain comme cela a été longtemps la tradition, la compagnie Duceppe donne cette année la chance à la création.

Les codirecteurs artistiques David Laurin et Jean-Simon Traversy ont cédé leur grand plateau à Projet Bocal, une petite compagnie reconnue pour ses spectacles débridés à l’humour absurde. Sonia Cordeau, Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande ont donc créé pour cette période qui mène à Noël une comédie qui raille le monde du théâtre en adoptant le mode d’une pièce dans la pièce.

Showtime est une comédie qui raille le monde du théâtre en adoptant le mode d’une pièce dans la pièce. Photo: Danny Taillon

Showtime ne se contente pas de parodier un seul genre. Pendant une heure et demie sans entracte, la troupe de Projet Bocal (10 comédiens sur scène) s’adonnera à l’impro, au théâtre classique américain, à la comédie musicale, au théâtre de marionnettes, au théâtre documentaire, au théâtre expérimental. Toujours dans une approche qui tourne chaque style en dérision.

Ainsi, l’impro tourne à vide, le théâtre américain prend des airs du Cœur a ses raisons avec un jeu trop appuyé, la comédie musicale parodie bêtement la production Cats, le théâtre expérimental sombre dans le ridicule.

Même si le spectacle compte son lot de moments comiques, il manque d'un deuxième niveau pour en faire une œuvre marquante et pérenne. Photo: Danny Taillon

À travers ça, avec des répliques qui font souvent mouche, on s’amuse à faire de gros clins d’œil à la manière de faire de Robert Lepage (notamment en utilisant un plateau tournant), aux limites qu’imposent les budgets des productions théâtrales au Québec (ce qui nous vaut une panne de lumière), ou le poids que peut représenter un commanditaire dans le domaine de la création (plusieurs blagues autour des Fromages d’ici).

En entrevue au printemps dernier, David Laurin me disait espérer permettre la mise au monde d’un spectacle qui ferait époque chez Duceppe comme les créations de Broue et d’Appelez-moi Stéphane l’ont fait dans le passé sous la direction de Jean Duceppe.

Difficile à dire si ce sera le cas de Showtime. C’est le public qui décidera. Disons que le côté inégal de la production me fait douter que cela arrive. Même si le spectacle compte son lot de moments comiques, il manque d’un deuxième niveau pour en faire une œuvre marquante et pérenne. Aussi, la distribution est assez inégale. Ils sont peu nombreux à avoir l’éclat d’Éric Bernier.

On aura essayé.