Châteaux du ciel: une leçon d’histoire au Théâtre Denise-Pelletier
Au menu cette semaine: la pièce de théâtre Châteaux du ciel présentée au Théâtre Denise-Pelletier et l'événement Art Souterrain à Montréal.
Le Théâtre Denise-Pelletier nous convie à la rencontre d’un personnage de l’histoire plutôt méconnu: le roi Louis II de Bavière, qui a régné de 1864 à 1886. Les raisons sont nombreuses de s’intéresser à cette création de Marie-Claude Verdier. Louis de Bavière a accédé au trône à 19 ans, il était le cousin de Sissi, mécène de Richard Wagner, un grand francophile, et on lui doit ce château en Bavière qui a servi de modèle au très connu château de Cendrillon du Monde de Walt Disney. La pièce Châteaux du ciel, à l’affiche du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 15 avril, est une belle occasion d’en savoir plus sur lui.
Je n’étais pas allé au Théâtre Denise-Pelletier, rue Sainte-Catherine à l’est de Pie IX, depuis au moins dix ans. Quatre-vingt-treize ans après sa construction, le théâtre de l’architecte Emmanuel-Arthur Doucet et du décorateur Emmanuel Briffa a conservé beaucoup de son lustre. Les colonnes ouvragées, les dorures, le rideau de scène et les fauteuils d’un rouge vif, l’immensité de la salle de 800 places (à l’origine, elle pouvait accueillir 1 600 spectateurs!), bref, l’environnement était parfait pour assister à une pièce sur un sujet historique.
À vrai dire, Châteaux du ciel, qu’on joue pour la première fois au théâtre, est déjà un classique. Il y a dans le texte de l’auteure une rigueur, un raffinement, une précision, une qualité de la langue qu’on retrouve chez les grands auteurs du théâtre de répertoire.
Je ne suis pas le seul à trouver beaucoup de qualités à Marie-Claude Verdier. En novembre dernier, le Conseil des arts et des lettres du Québec lui attribuait le prix Michel Tremblay (doté d’une bourse de 10 000$), qui récompense le meilleur texte de la saison, en l’occurrence Seeker, créé en 2022 au Centre du Théâtre d’aujourd’hui.
Il est intéressant de savoir comment Marie-Claude Verdier en est venue à s’attaquer à ce sujet à mille lieues de nos préoccupations contemporaines québécoises.
En entrevue, elle m’a expliqué que le projet de Châteaux du ciel remonte à plusieurs années. Il y a eu d’abord la découverte de Louis de Bavière à l’adolescence dans Gabriel Knight 2, un jeu vidéo qui la plongeait dans un monde fantastique et médiéval. Son enthousiasme pour les histoires de châteaux l’a conduite ensuite vers l’apprentissage de la langue allemande au Goethe Institut, rue Sherbrooke, à Montréal. De fil en aiguille, elle s’est retrouvée à faire un camp linguistique d’été en Bavière. La passion pour cette région hautement culturelle et la fascination pour ce roi romantique et passionné de culture ont fait le reste.
Revenons à notre roi de Bavière tel que nous le raconte Marie-Claude Verdier sur la scène du Théâtre Denise-Pelletier. Son récit est découpé en cinq actes qui nous sont présentés par la tante du roi, incarnée par une Annick Bergeron imposante. Cette comédienne de métier donne, d’entrée de jeu, ce ton classique évoqué plus haut.
Lorsque la pièce commence, Louis a 19 ans et son père meurt. Bien qu’à la tête d’une monarchie constitutionnelle, le roi héritier se sent investi d’une mission divine. Contrairement à son frère qui a l’instinct du guerrier, le nouveau monarque souhaite exercer un règne axé sur la beauté. Au diable combien ça coûte!
Le jeune roi rêve d’un château perché dans les montagnes de la Bavière, d’un autre copié sur Versailles. Il idolâtre le compositeur Richard Wagner. Fervent de culture médiévale, le jeune monarque commandite le musicien pour des opéras, dont Tristan et Iseult, Parsifal, Lohengrin.
Francophile et pacifiste, il veut à tout prix visiter la France, certainement pas faire la guerre à ce pays pour lequel il a un grand attachement. Après tout, Louis Ier, son grand-père, était le filleul de Louis XVI, roi de France.
Attiré par les hommes, Louis de Bavière repousse toutes velléités de mariage, compromettant sa descendance. Au fil du récit, on verra que Paul, son aide de camp, élu de sa ferveur, l’isolera du reste du monde, laissant la place aux vautours, dont le machiavélique Otto von Bismarck, le Prussien qui ambitionne de faire la grande Allemagne sur le dos de la petite Bavière.
La fin de Louis de Bavière est tragique. Sa fortune s’épuise. Son royaume se dilue dans l’unification allemande. On le déclare fou. Et les historiens ne s’entendent pas à savoir s’il est mort par accident ou s’il s’est suicidé. Il y a quelque chose de très contemporain dans ce parcours.
Quand même, tout un programme de nous raconter ça en une heure cinquante minutes sans entracte! Comme toutes les histoires de monarchie compliquées, ça demande de la concentration. On l’a déjà dit, le texte est clair, mais il y a aussi la fluidité de la mise en scène pour nous aider. Dans une économie d’effets, Claude Poissant insiste sur l’essentiel. Scéniquement, le décor d’Odile Gamache se limite à être évocateur, histoire de solliciter l’imaginaire du spectateur. Même chose pour les costumes très stylisés de Marc Senécal.
Dans cet environnement, la distribution offre un jeu plutôt sobre. Les comédiens évitent le pathos, mais sont tout à fait efficaces à marquer les différences entre les personnages. Dans la peau de Ludwig (Louis), Dany Boudreault (dont on me dit qu’il parle allemand) arrive à jouer à la fois la ferveur et l’idéalisme de la jeunesse et la noirceur des âmes trahies et désillusionnées. Son vis-à-vis, Mikhaïl Ahooja, fait également un fabuleux aide de camp.
Pendant la représentation, je n’ai pu m’empêcher de penser au public adolescent qui ira voir Châteaux du ciel. En 2023, le Théâtre Denise-Pelletier continue la mission de ses fondateurs Gilles Pelletier et Françoise Graton qui voulaient faire découvrir le théâtre aux enfants du secondaire. Ces derniers adhéreront-ils à la proposition exigeante de Châteaux du ciel?
Marie-Claude Verdier a confiance. Au cours du long processus d’écriture et de création, elle a souvent pensé à sa propre expérience d’adolescente lorsque le théâtre s’est révélé à elle. C’était à la faveur d’une sortie scolaire au Théâtre Denise-Pelletier en février 1997. On y présentait la pièce Lucrèce Borgia de Victor Hugo, dans une mise en scène de Claude Poissant! Si ça a marché pour elle, pas de raison que ça ne fonctionne pas pour d’autres maintenant.
De l’avis de l’auteure, les jeunes d’aujourd’hui sont encore mieux accompagnés que ceux de son époque. Le Théâtre Denise-Pelletier, dirigé depuis l’été dernier par la jeune Stéphanie Laurin, a développé un programme qui encourage les écoles qui veulent assister à une représentation à recevoir au préalable dans leurs classes un médiateur culturel envoyé par la compagnie de théâtre.
Avant d’arriver dans la salle, les élèves sauront donc que Louis de Bavière était jeune, comme eux, en réaction contre les vieilles manières de faire, épris de beauté et de paix, mais aussi sujet à beaucoup de contrariétés dans un monde où on se battait âprement pour des frontières.
Les adultes que nous sommes ont aussi beaucoup à apprendre de ce spectacle. Mine de rien, pour comprendre notre époque et ses grands soubresauts (l’invasion russe en Ukraine, par exemple), il n’est pas inutile de se refaire quelques leçons d’histoire. Et pourquoi pas en allant au théâtre?
Art souterrain: c’est la fête en 2023!
L’événement Art Souterrain célèbre cette année son 15e anniversaire. En 2009, le galeriste Frédéric Loury nous surprenait avec sa première grande exposition d’art contemporain dans les entrailles de Montréal, le fameux Montréal souterrain qui pique tant la curiosité des touristes.
Parmi les participants, il y avait Marc Séguin, BGL, Valérie Blass, Cooke-Sasseville, Jérôme Fortin. Quand on voit ce que sont devenus ces artistes, on ne peut qu’être admiratif du flair du fondateur de cet événement.
Pour cette nouvelle édition, Frédéric Loury convoque une trentaine d’artistes. Pour les choisir, il s’est entouré de trois commissaires, l’Antillais Eddy Firmin, le Brésilien Ayrson Heràclito et le Québecois Jean-François Prost qui ont jeté leur dévolu sur des artistes de Montréal, Gatineau, Toronto, New York, Londres, Hambourg, Paris, Bamako, et un contingent de 8 représentants du Brésil, dont 7 de Salvador.
Inutile de vous dire qu’il y a plusieurs œuvres inspirées de l’esprit du carnaval, qu’on pense à la reproduction en image d’un char allégorique (un trio elétrico) du carnaval de Bahia, aussi appelé soundsystem parce qu’il est conçu pour cracher la musique sur laquelle danseront ceux qui paradent.
À Place Ville Marie, on expose un soundsystem sur quatre roues, celui des artistes Géraldine Entiope et Eddy Firmin. Leur installation PA KA TANN?! rend hommage à cette invention que les populations défavorisées de Kingston, en Jamaïque, ont créée pour faire la fête n’importe où, n’importe quand.
Ces œuvres sont exposées pendant trois semaines au vu et au su des passants. Pour les voir, il suffit de se pointer dans le quartier des affaires au centre-ville de Montréal. Les partenaires de l’événement sont Place Ville Marie, le Centre de commerce mondial, le Palais des congrès, la Place de la cité internationale, et l’édifice Jacques-Parizeau.
Profitez-en, c’est gratuit, et c’est une belle occasion de fréquenter des lieux où nous ne sommes jamais invités.