Camillien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie: la force du théâtre documentaire
La programmation du 375e anniversaire de Montréal nous réserve encore une belle surprise cette semaine. La pièce Camillien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie, présentée du 22 août au 2 septembre à l’Espace Libre, se révèle à la fois une formidable leçon d’histoire et un modèle de médiation culturelle.
En effet, on y raconte la vie d’un homme oublié qui a été maire de Montréal pendant 18 ans (entre 1928 et 1954), on le fait en impliquant les résidents du quartier qui a vu naître le personnage et on greffe une fête populaire à la proposition théâtrale. Ce projet aux multiples objectifs avait tout pour plaire au comité de programmation des fêtes du 375e.
Camillien Houde, un personnage
Camillien Houde est un beau sujet. Né pauvre dans l’est de Montréal, celui qu’on a baptisé le «p’tit gars de Sainte-Marie» se hisse à la plus haute fonction municipale en misant sur ses origines modestes. Au pouvoir durant les années de crise économique, de montée des mouvements extrémistes, de guerre et d’après-guerre, le politicien, qui a l’appui du peuple, doit cependant combattre de nombreux ennemis (l’establishment anglais, les libéraux à Québec, le pouvoir fédéral à Ottawa) et composer avec de multiples démons (la tentation du populisme, de la corruption, de l’alcool).
Alexis Martin, qui nous a déjà donné des pièces sur l’histoire du Canada français, sur Hitler et même sur le tireur de l’Assemblée nationale, Denis Lortie, a de nouveau fouillé avec brio les archives pour en faire jaillir un autre pan d’un passé pas si lointain, mais largement oublié du grand public. Le portrait qu’il fait de Camillien Houde est celui d’un personnage complexe, rempli de contradictions, mais qui ouvre la voie à l’affirmation des Canadiens-français. On réalise que ce maire de Montréal est un chaînon important de notre histoire.
Le texte d’Alexis Martin fourmille d’anecdotes qui nous font vibrer. On a le frisson lorsqu’est annoncée la première victoire de Camillien Houde contre les grosses machines électorales. On se désole de le voir baisser les bras après une défaite et sombrer dans l’alcool. On s’émeut de son souci pour les pauvres. On ressent l’injustice de son emprisonnement en Ontario (pendant quatre ans) pour avoir été contre la conscription. On est ébahi par son retour triomphal à Montréal en 1944, où il sera réélu maire de façon ininterrompue pendant 10 ans.
La femme derrière le grand homme
La pièce d’Alexis Martin accorde aussi une grande place à la deuxième épouse de Camillien Houde, prouvant de nouveau l’adage qui veut que derrière chaque grand homme, il y ait une femme. Georgette Falardeau nous apparaît comme une partenaire sans faille, prête à tous les combats pour faire triompher son mari et les valeurs qu’il défend. On doit à cette femme l’invention du pouding chômeur, un dessert économique conçu pour réconforter les classes populaires accablées par la crise économique.
Cela nous vaut une scène hilarante, au cours de laquelle Georgette et son mari font devant nos yeux la recette du fameux pouding.
Un spectacle fait avec les gens du quartier
C’est Pierre Lebeau qui tient le rôle-titre. Excellent casting, car Lebeau a cette capacité de parler fort, avec emphase et exaltation, comme le faisaient les politiciens de ce temps-là. Rencontré après la première, Pierre Lebeau me racontait qu’il a visionné les archives de l’époque pour se mettre dans la peau du tribun. Pierre Lebeau a aussi en commun avec Camillien Houde d’être un p’tit gars de Montréal, d’avoir étudié au Collège de Longueuil et de vouer une grande admiration au personnage de Cyrano de Bergerac.
Il faut savoir qu’avant la politique, Houde a été tenté par la scène et qu’il a même joué le personnage d’Edmond Rostand sous la supervision du frère Marie-Victorin!
Josée Deschênes fait, pour sa part, une formidable Georgette. La comédienne nous révèle une femme pragmatique, déterminée et compatissante, un véritable Pygmalion pour son mari.
La pièce, qui dure près de deux heures, couvre une cinquante d’années de la vie de Camillien Houde. Elle est traversée par de nombreux personnages que se partagent Johanne Haberlin, Jacques L’Heureux, Didier Lucien et Évelyne Rompré.
À cela s’ajoute une vingtaine de citoyens du quartier, de tous âges, de toutes origines, qui font plus que jouer les figurants. Ils déplacent les décors, donnent une voix au peuple dans les nombreuses scènes de groupe en plus d’avoir chacun leur moment de gloire en ayant à défendre une ou plusieurs répliques. Tout cela contribue à la fois à démocratiser de belle façon la pratique théâtrale et à donner de l’ampleur au spectacle.
Il faut aussi souligner la contribution du musicien Anthony Rozankovic. Comme les pianistes du cinéma muet d’autrefois, il ponctue le déroulement du récit en plus de nous plonger dans l’esprit de l’époque. Les projections d’images d’archives de Pierre Laniel font tout autant pour renforcer le côté documentaire de ce projet.
Plus qu’une pièce
Le spectacle, qui est très ambitieux, commence par une procession comme on en faisait dans le temps. Les spectateurs sont invités à déambuler de la place Joseph-Venne au théâtre pour en apprendre plus sur le quartier, et après la représentation, le public est convié à un banquet au parc des Faubourgs avec musique et numéros de cirque. On n’a pas eu droit à ce programme le soir de la première à cause du mauvais temps. Le festin a été déplacé au Lion d’Or, ce qui n’était pas mal non plus.
Malgré tout le travail qui se cache derrière cette production, Camillien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie ne sera présenté que 10 fois. Les billets, qui sont gratuits, ont tous trouvé preneurs, comme avudo au Vieux-Port! Il faut donc compter sur les annulations pour espérer voir cette réussite qui célèbre celui qu’on appelait «Monsieur Montréal».
Et la fête continue avec KM3
À partir de la semaine prochaine, le Quartier des spectacles de Montréal sera le théâtre d’un événement d’art public des plus originaux. Le citoyen qui déambulera dans le quartier verra sa routine bousculée par une vingtaine d’œuvres qui interpelleront ses sens, sa mémoire, son goût de jouer ou de rêver. Comme le font les 21 Balançoires de la promenade des Artistes depuis 2011. D’ailleurs, ce sont les conceptrices de ces balançoires, Melissa Mongiat et Mouna Andraos, de l’organisme Daily tous les jours, qui ont choisi les artistes de l’événement KM3. Et il y a de gros noms de l’art public dans leur sélection. Les deux commissaires ont retenu, par exemple, une proposition de Michel de Broin qui amènera le passant à traverser une succession de portes automatiques récupérées des MR-63, les vieilles rames du métro de Montréal retirées de la circulation. Rafael Lozano-Hemmer, quant à lui, poursuit son travail d’architecture relationnelle, expression qu’il préfère au concept d’œuvre interactive. Dans la vitrine du pavillon Sainte-Catherine de l’UQAM, le passant qui s’attardera verra son image se superposer à celles des passants précédents. Dans le parc devant la Maison symphonique, Gilles Mihalcean fera briller Paquets de lumière, une installation géante comprenant trois lampadaires aux multiples faisceaux. À la station de métro Saint-Laurent, La Machine à bienveillance d’Ensemble Ensemble et de l’ONF mesurera l’altruisme qui se dégage de votre visage alors que Patrick Bérubé fera un clin d’œil à un symbole fort de Montréal, l’escalier en colimaçon. Le sien, géant et baptisé Notre ADN, sera accroché à l’angle de Jeanne-Mance et De Maisonneuve. Pour permettre au public d’apprécier pleinement les propositions des artistes, le Partenariat du Quartier des spectacles offrira régulièrement des visites commentées pendant la durée de l’événement. KM3 se déroulera gratuitement du 30 août au 15 octobre.