L’autobiographie d’Alain Simard, l’homme des festivals montréalais. Ce n’était pas qu’un rêve.
Le 44e Festival international de jazz de Montréal commence cette semaine avec, de nouveau, son fondateur dans le paysage. Alain Simard, qui a pris sa retraite du festival en 2019, fait cette fois les manchettes avec la publication de son autobiographie Je rêvais d’un festival aux Éditions La Presse et une exposition de ses archives personnelles à la Place des Arts qui permet de voir des objets marquants de l’histoire qu’il nous raconte dans son livre.
Alain Simard, qui a souvent dit à son entourage qu’il trouvait «prétentieux, nombriliste et inutile» d’écrire ses mémoires, a bien fait de changer d’idée. Qu’est-ce que la présence de petits-enfants peut changer dans nos vies, et lui, il en a cinq! Sans son récit, il nous aurait manqué un grand pan de l’histoire du show-business québécois.
On associe beaucoup Alain Simard au Festival international de jazz, aux FrancoFolies, à Montréal en lumière, au Quartier des spectacles, toutes des entités qu’il a contribué à créer. Quand je suis arrivé à Montréal, au début des années 1990, c’est ce Alain Simard là, entrepreneur culturel hirsute à cravate, que j’ai connu.
J’avoue ma surprise à la lecture de ce livre où il raconte ses débuts, alors qu’il était un véritable hippie barbu et poteux, apprenant son métier à coup d’essais risqués et d’erreurs coûteuses.
Alain Simard est né dans Villeray au sein d’une famille qui valorise la culture et les voyages. Son père est un artiste qui travaille comme graphiste chez Eaton et ses aïeux ont un glorieux passé de développeurs, organisateurs et décorateurs d’événements et de tournées dans le domaine du divertissement.
Un exemple éloquent, qui permet d’amorcer le récit sur des chapeaux de roue: c’est son arrière-grand-père, Philorum Simard, qui est responsable de décorer l’aréna montréalais où sera jouée la première finale de la Coupe Stanley, entre l’équipe locale et celle d’Ottawa.
Le parcours du petit Simard (le jeune est frêle d’allure) ressemble à celui de nombre de baby-boomers nés au début des années 1950. Ça va comme suit: enfance marquée par la religion, engouement pour la musique française et québécoise, le choc culturel avec l’arrivée des Beatles et des Rolling Stones, la rigueur du collège classique, le free-for-all des cégeps, la découverte des drogues, l’amour libre, les communes. Ajoutons dans son cas une passion effrénée pour la musique et les spectacles. À défaut de chanter ou de jouer d’un instrument, il développe un sens de l’organisation sans doute hérité de ses ancêtres.
Très jeune, Alain Simard monte des spectacles à son collège (La Clef, au Collège Saint-Ignace). Sa voie est tracée. Il en produit dans d’autres écoles que la sienne (Collège Ahuntsic), dans des salles qu’ils créent (encore La Clef, rue Saint-Paul), qu’ils louent (le Gesù, le Centre Paul-Sauvé, l’Autostade, la Place des Nations), ou d’autres lieux qui existent auxquels ils donnent une vocation musicale, comme le Centre sportif de l’Université de Montréal et le site historique de l’Île-des-Moulins à Terrebonne.
Quand il quitte la maison familiale, c’est pour vivre en commune… à Laval! Son esprit communautaire l’amène forcément à travailler en équipe et à toucher à tout. Booking, montage financier, conception des affiches (qu’il va lui-même poser), impression des billets, rédaction des communiqués de presse, il n’y a pas de basse besogne pour faire advenir les choses.
Dans son récit, il relate même des situations où il prend le marteau et l’égoïne pour construire des décors ou rénover des locaux, où il joue au chauffeur pour conduire ses artistes d’un engagement à l’autre, ou à l’hôte, pour les héberger. Il a entre autres chaperonné Dave Brubeck, Pat Metheny, Joe Cocker, Peter Gabriel, Phil Collins. Autre anecdote: il s’improvise même gardien de sécurité lors d’un show d’Offenbach et Plume à La Pocatière. Avouez qu’on est loin du PDG des dernières années qui trône sur un empire de production de spectacles!
Tout ça est raconté de manière très divertissante, dans un style qui ressemble beaucoup à celui de Pierre Huet, un ami du Collège Saint-Ignace, souvent cité, qui a écrit ses propres mémoires en 2015 (En 67 tout était beau) et collaboré aux livres de Marc Laurendeau (Du rire cynique au regard journalistique) et Guy Fournier (Jamais deux sans moi), tous des ouvrages qui traitent sensiblement de la même époque.
Alain Simard n’a pas volé sa place au temple des bâtisseurs culturels montréalais. Étonnant de se faire rappeler que ce Grand Montréalais, chevalier de l’Ordre national de Québec, officier de l’Ordre du Canada, compagnon de l’Ordre des arts et des lettres a déjà eu les autorités municipales contre lui, la police aux fesses et des concurrents qui ne lui faisaient pas de quartier.
En lisant Alain Simard, on réalise que la vie n’était pas un long fleuve tranquille dans les années 1970-1980. La tenue de spectacles en plein air n’était pas perturbée par des canicules, par l’air vicié de feux de forêt ou des campagnes de style me too, mais par des descentes de police (notamment durant la crise d’Octobre de 1970), des grèves d’autobus et de métro (en août 1975) ou des artistes trop intoxiqués pour performer.
Le livre couvre la période de la naissance d’Alain Simard jusqu’aux débuts du Festival international de jazz. Le récit est intercalé de vignettes sur les multiples géants qui ont marqué son parcours: Miles Davis, Gerry Boulet, B. B. King, Oliver Jones, Jean Paul Riopelle, Claude Dubois, Michel Rivard, et tant d’autres.
C’est hallucinant de voir tous les gens que ce touche-à-tout du milieu culturel a rencontrés dans sa vie. Au fil des pages, on n’arrête pas de se rendre à l’évidence que le monde est bien petit au Québec. Il a rencontré sa conjointe d’aujourd’hui via un film réalisé par Marcel Simard, le mari de l’actuelle présidente du Quartier des spectacles, Monique Simard. Il est grand-père de la même petite fille que l’ancien gérant du Spectrum Serge Grimaux, et ça, c’est sans parler des leaders étudiants rencontrés dans sa jeunesse qui sont devenus plus tard des élus et des fonctionnaires sensibles à ses demandes pour un accès plus grand à la culture.
Car s’il est une chose qui n’a jamais changé dans le parcours d’Alain Simard, c’est cette volonté de rendre la culture accessible au plus grand nombre dans différentes incarnations (spectacles, disques, émissions de télévision, festivals), tout en faisant vivre le mieux possible les artistes et les techniciens œuvrant dans cet écosystème.
Une preuve supplémentaire de cette conviction? L’exposition Je rêvais d’un festival, qui est présentée gratuitement à la Place des Arts, comporte un encan silencieux dont les profits seront versés à la Fondation de la Place des Arts, dont la mission est justement de rendre accessibles l’art et la culture. Alain Simard sera d’ailleurs présent tous les soirs du Festival de jazz, du 27 juin au 6 juillet, de 17h30 à 19h30, pour dédicacer son livre, qui sera en vente sur place, également au profit de la fondation.