La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Lu Pauline Marois et vu Aznavour

Huit ans après avoir été la première femme de l’histoire du Québec à être élue première ministre, Pauline Marois lance Au-delà du pouvoir aux Éditions Québec Amérique, une autobiographie qui retrace 70 ans d’existence, 50 ans de vie commune avec son mari, Claude Blanchet, avec qui elle a eu quatre enfants, et 40 ans de service public. Le récit haletant qu’elle fait de sa vie, qui l’est tout autant, est une façon pour elle de laisser à la fois un legs et de passer le témoin.



Dans une autobiographie, il n’y a que la version de celui qui parle, pas de journaliste pour interpréter les propos, ni d’opposition pour contredire. Pour dire le vrai, j’aime ça qu’une politicienne comme elle donne sa version sans le filtre des médias, de la solidarité ministérielle ou la pression des gens d’en face.

Le livre est écrit par Élyse-Andrée Héroux à partir des confidences de Pauline Marois. Au début, j’ai craint un peu. Le ton compassé des premières pages consacrées à son enfance accréditait l’impression de snobisme qu’on a souvent accolée à sa personnalité, mais rapidement, le style devient fluide et direct, comme si Pauline nous parlait.

Il est toujours fascinant de découvrir de quel milieu viennent les personnes célèbres. Comme c’est souvent le cas au Québec, les origines sont souvent surprenamment modestes. C’est le cas de Pauline Marois. Rien ne prédestinait cette aînée d’une famille de cinq enfants vivant à Saint-Étienne-de-Lauzon à devenir première ministre. Grâce aux sacrifices de ses parents, elle a tout de même pu fréquenter un collège de bonne réputation où elle a connu son premier combat, celui de se sentir à la hauteur des jeunes filles de bonne famille qui fréquentaient cette institution, dont la fille du premier ministre Jean Lesage et sa future collègue Louise Beaudoin.

C’est dans cet environnement où les religieuses tentent de juguler les différences de classes sociales qui existent entre leurs élèves qu’elle découvre sa vocation: être à l’écoute des démunis.

Après des études à l’Université Laval, Pauline Marois commence sa carrière de travailleuse sociale dans l’Outaouais. Elle se porte à la défense des expropriés du Vieux-Hull. Natif de la région, je me souviens de cette période révoltante qu’elle raconte. Au début des années 1970, le gouvernement fédéral rase le centre-ville historique de Hull pour y construire à la place des édifices pour les fonctionnaires. On voit encore aujourd’hui des cicatrices de cette destruction du tissu urbain.

La vie dans cette région frontalière avec le Canada anglais révèle aussi une menace qu’elle n’avait jamais sentie auparavant; la langue et la culture française sont en péril si on ne les protège pas. C’est dans l’Outaouais, où ce danger est bien prégnant, qu’elle développera une autre conviction qui ne la quittera plus jamais: celle de faire du Québec un pays.

Pauline Marois fait remonter son engagement au Parti Québécois à l’année 1972, d’abord comme militante, parallèlement à son travail de directrice générale du CLSC de Hull, et ensuite à ses études aux HEC à Montréal. C’est là qu’elle fera la connaissance de Jacques Parizeau, qui y est professeur. À la suite d’une série de détours de la vie que je vous laisse découvrir, la travailleuse sociale retrouve son ancien professeur devenu ministre des Finances du premier gouvernement du Parti Québécois. Elle sera son attachée de presse. Il est intéressant de lire la description qu’elle fait de son patron, qu’on appelle «Monsieur», un homme d’une intelligence supérieure, mais qui interdit toutefois aux femmes qui travaillent pour lui de porter le pantalon.

Voilà qui cadre mal avec une autre conviction très tenace chez Pauline Marois, son féminisme. Après un premier bébé, c’est avec Lise Payette, dont elle sera chef de cabinet, qu’elle fera son premier véritable apprentissage des rouages du gouvernement. Avec une telle mentore, il est évident que le pli en faveur des femmes sera pris pour toujours.

D’ailleurs, une fois élue, lors du deuxième mandat de René Lévesque, le premier poste qui lui sera attribué sera celui de ministre de la Condition féminine, tout un dossier à porter dans un cabinet qui compte plusieurs hommes à l’égo surdimensionné, et seulement deux femmes, novices de surcroît.

Rapidement, elle sera nommée à la Main d’œuvre.

Pauline Marois a appris son métier de ministre durant une période particulièrement difficile.

Crise économique (200 000 emplois perdus, taux directeur de la Banque du Canada à 22,75 %, taux de chômage à 16%), affrontement avec les syndicats du secteur public, querelle interne au cabinet, déchirements au PQ, le deuxième mandat de René Lévesque a été pour le moins épique. À travers cela, Pauline Marois réussit à accoucher d’un deuxième, et d’un troisième enfant.

Et on n’en revient pas quand elle nous raconte que c’est quinze jours après la naissance de son quatrième enfant qu’elle décide de se lancer dans la course à la succession de René Lévesque (elle obtient la deuxième place avec 20% des votes). Pas surprenant que la plus grande de ses réalisations, une fois revenue au pouvoir, sous Lucien Bouchard, sera la création des garderies à 5$, une mesure qui permettra aux femmes démunies d’aller gagner leur vie sans se ruiner à faire garder leurs enfants.

Pour sa part, elle doit d’avoir réussi à concilier le travail et la famille à son mari Claude, toujours présent, et à sa nounou Magalie, une femme d’origine haïtienne à propos de laquelle elle ne tarit pas d’éloges.

Pauline Marois a occupé parmi les plus hautes fonctions qui soient: présidente du Conseil du trésor, ministre des Finances, ministre de l’Éducation, ministre de la Santé. Le livre est l’occasion pour elle de rappeler ses nombreuses réalisations à chaque poste.

À la lecture de ses faits d’armes, j’ai réalisé qu’on n’a pas toujours été généreux à les reconnaître. Sa contribution à la vie publique a été immense, et elle se charge de nous le rappeler, avec fierté, mais en prenant soin de rappeler les doutes qu’elle a eus à chaque étape et le travail inlassable pour arriver aux résultats escomptés. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, dirions-nous. Sa conviction indépendantiste procède de cette même attitude.

La vie de cette femme increvable, que Stéphane Laporte a un jour appelée «la femme de béton», ne compte pas beaucoup de temps morts. Victoires retentissantes, défaites cinglantes, années fastes, traversées du désert, Pauline Marois nous amène à faire avec elle son parcours de combattante en révélant des choses qu’elle avait jusqu’ici gardées pour elle. Sans rancune, ni amertume, mais sans complaisance non plus pour ceux, nombreux sur son chemin, qui l’ont étrillée.

Pas évident de faire sa place dans ce parti reconnu pour collectionner les crises internes les plus déchirantes et les coups d’éclat les plus rocambolesques. La dernière ligne droite lui aura demandé beaucoup de résilience. Être battue par André Boisclair à la course à la direction en 2005, remplacer son rival démissionnaire deux ans plus tard, reconstruire un parti en lambeaux, se farcir cinq ans sur les banquettes d’opposition, et finalement être élue, en 2012, à la plus haute fonction. Et le jour où elle touche enfin l’objectif visé, un attentat contre sa personne vient ternir cette journée où le Québec se donne pour la première fois une femme comme première ministre.

Cette autobiographie ne se termine pas en fade out. Le décompte de toutes les mesures adoptées par le gouvernement minoritaire de Pauline Marois donne le tournis, le retour sur la tragédie de Lac-Mégantic offre les pages les plus émouvantes, le récit de la campagne électorale fatidique de 2014 rappelle combien la politique québécoise est pleine de rebondissements.

Voilà donc une autre autobiographie de femme politique qui va au-delà du pouvoir pour nous raconter une partie de notre histoire.

VU: Aznavour, le regard de Charles

Avec Aznavour, le regard de Charles, le célèbre auteur-compositeur-interprète, disparu il y a exactement deux ans, nous offre une sorte d’autobiographie filmée posthume.

Les images de ce film, c’est Aznavour lui-même qui les a tournées au fil de sa vie, avec une caméra qui le suivait partout, et quand je dis partout, c’est vraiment partout. New York, Hong Kong, Moscou, Dakar, Casablanca, Erevan en Arménie, le pays de ses ancêtres, en Bolivie, au Québec, à Montmartre, en vacances en Provence, à la mer, en tournage avec Lino Ventura, improvisant au piano, au bras de sa blonde Ulla.

Par-dessus ces archives étonnantes, un texte écrit par Aznavour narré par le comédien Romain Duris dans lequel le petit Aznavourian raconte sa quête pour devenir grand et célèbre, son désir de voir le monde. Et à travers ce véritable kaléidoscope, on a intercalé quelques chansons pour titiller notre nostalgie, notamment La bohème, For me, formidable et bien sûr Emmenez-moi. Une heure et demie bien tassée, on en aurait pris plus.

Le film sort dans plusieurs salles à travers le Québec, cela vaut la peine de les nommer: Sherbrooke, Gatineau, Trois-Rivières, Sainte-Adèle, Saint-Hyacinthe, Chicoutimi, Jonquière, Joliette, Drummondville, Shawinigan, Granby, Valleyfield, Sorel-Tracy, Rimouski. Malheureusement, les villes des régions rouges en seront privées.