Aller au boute du rien pantoute avec Marcel Sabourin
«Y passait, y faisait juste passer. N’empêche qu’y nous a laissé un œuf!» Je vous parle cette semaine de l’auteur de l’iconoclaste chanson Egg Generation, un créateur qui nous accompagne depuis plus de 70 ans: le seul, l’unique, Marcel Sabourin. Courez au cinéma voir le portrait que Jérôme Sabourin fait de son père, qui aura 89 ans le 25 mars. C’est autant une fête qu’une leçon de vie et d’histoire.
Marcel Sabourin a été si prolifique dans sa vie que tout le monde devrait avoir un souvenir de ce comédien, auteur, metteur en scène, parolier, pédagogue. Il a été le professeur Mandibule à la Ribouldingue de notre enfance. Au cinéma: le Martien de Noël de Bernard Gosselin, l’Ernest de La maudite galette de Denys Arcand, le J.A. Martin photographe de Jean Beaudin, le père de Guy Jodoin, François Pérusse et Éric Bernier dans Niagara, et j’en passe, et des aussi bons.
Tant de rôles à la télé aussi, dont celui du paternel d’Anne Dorval dans Les Parent. Et que dire de ses chansons? Il est l’auteur de quelques-unes des plus décoiffantes de Robert Charlebois: Tout écartillé, Egg Generation, Dolorès, Te v’la, Fu Man Chu.
On n’écrit pas «Chu d’dans, en plein d’dans jusqu’aux dents. L’drame c’est que même en voulant pas êtr’dedans, c’est pareil chu d’dans», sans être «dedans» une classe à part.
Connaissant bien son père, le réalisateur Jérôme Sabourin a fait un documentaire, disons, protéiforme. Il y a bien sûr des entrevues avec des personnes qui ont côtoyé de près Marcel Sabourin (Robert Charlebois, Denys Arcand, Fernand Dansereau, Michel Rivard, Jean-Pierre Lefebvre), des films d’archives, des faits historiques, mais le grand écran blanc du cinéma est plutôt utilisé comme une patinoire de hockey pour permettre à ce géant intronisé en 2003 au Temple de la renommée de la LNI de faire des échappées spectaculaires, dignes d’un démon blond.
En effet, Marcel Sabourin a beau être interrogé par son fils qui veut le faire parler de sa vie, ses choix artistiques, de son grand âge, cet esprit libre du Québec ne peut s’empêcher de partir en orbite «comme une boule de pool qu’on fesse dedans», «tout pitché curvé drop et submarine, tout flyé comme une garnotte, tout scoré».
C’était ma hantise quand j’étais journaliste. Comment gérer un tel esprit vagabond quand on a 18 h comme heure de tombée et seulement deux minutes pour notre topo?
Jérôme Sabourin a choisi d’emprunter un modèle que son géniteur connaît bien: les confidences au micro, comme un bar ouvert. Depuis une éternité, Marcel Sabourin enregistre sur cassette tout ce qui lui passe par la tête au lever du lit: autant des souvenirs de ses rêves, que ces fameuses pensées en bataille qu’on peut avoir quand on a encore la tête sur l’oreiller. À la veille d’être nonagénaire, voilà un père qui ne se fait toujours pas prier pour soliloquer sans filtre.
Ainsi, le fils a fait plusieurs entrevues libres avec son père, sur une longue période, à des endroits significatifs. Il y a la maison familiale à Belœil où l’artiste a élevé ses quatre garçons avec sa femme de toujours, Françoise; la Maison des étudiants canadiens à Paris où le jeune Québécois de 22 ans a résidé dans les années 1950 après ses études au Collège Sainte-Marie; les rues de Villeray, ce quartier où le petit Marcel a grandi à proximité de la pharmacie de son père; l’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac dont il aime le silence, et même dans un cimetière. Au Père-Lachaise, il s’amuse à tester le confort des tombes des grands auteurs!
À travers toutes les stations de ce chemin de croix païen, Marcel Sabourin finit par livrer de belles et grandes réflexions sur son parcours.
L’entendre lire la lettre de recommandation que sa professeure Lucie de Vienne a écrite pour lui ouvrir des portes à Paris est une pièce d’anthologie.
On est suspendu à ses lèvres lorsqu’il nous raconte sa contribution à l’émancipation de la culture québécoise.
Après avoir retenu ses larmes en rappelant la découverte de sa vocation pour les arts de la scène (accueillie positivement par ses parents qui ne voulaient que le bonheur de leur enfant unique), l’homme de théâtre explique avec la satisfaction du devoir accompli comment il a fait entrer la langue québécoise et l’improvisation à la très coincée École nationale de théâtre où il enseignait. Ce qui, du reste, a changé la suite du monde théâtral au Québec. Beaucoup grâce à lui, les acteurs ont été ensuite capables de parler la langue de leurs parents sur scène. Une chose considérée comme sacrilège jusque-là.
La mémoire de Marcel Sabourin est vive. Un exemple? Dans une anecdote, il nous parle du Her Majesty, le fameux théâtre de la rue Guy démoli en 1963, mais se corrige pour plutôt évoquer le His Majesty, puisque l’histoire qu’il raconte se passe alors que c’est le roi George VI qui règne sur le Dominion du Canada. Une nuance qui témoigne de l’acuité de ses souvenirs.
Et sur l’âge, la mort, et la vie après la mort, notre sage, aussi curieux des fourmis que des galaxies, ne peut faire autrement qu’avoir une position qui nous amène à réfléchir à notre propre finalité.
Oui, laissez-moi réfléchir, comme le disait son irrésistible professeur Mandibule, qui ponctuait cette phrase d’un mémorable Pit! Pit! Pit!
Et si, rendu en fin de vie, on était juste au boute du rien pantoute?
Ne manquez pas d’aller vérifier ça au cinéma. Le film est présenté à Montréal (Cinémathèque québécoise, Cinéma Beaubien), Québec (Cinéma Le Clap), et Sainte-Adèle (Cinéma Pine) à compter du 15 mars.
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