La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

André Sauvé: lui y connaît ça!

Vous vous souvenez de la pub de la bière Labatt 50 avec Olivier Guimond, le pouce levé, disant «Lui y connaît ça!»? C’était en 1965, l’année de naissance d’André Sauvé. Aujourd’hui, à 53 ans, c’est lui qui connaît ÇA. Dans son troisième spectacle, lancé cette semaine au Monument-National, André Sauvé nous parle de ÇA pendant une heure et demie, sans entracte, et on ne s’ennuie pas une minute.



Si la publicité de bière orchestrée par le publiciste Jacques Bouchard dans les années 1960 a été un tel succès à l’époque, c’est qu’elle était portée par un humoriste que le public adorait et qu’elle valorisait les Québécois ordinaires en vantant leur bon sens et leur expertise dans divers domaines.

Avec André Sauvé, gagnant de six prix Olivier en carrière, nous sommes rendus ailleurs. Le ÇA qu’il explore dans son nouveau spectacle, c’est le ÇA qu’on a en dedans de nous. Celui qui fait qu’on est ce qu’on est, pour le meilleur et pour le pire. Le ÇA qui joue le rôle d’arbitre entre notre volonté et notre destin. Je le dis tout de suite, le spectacle ÇA se termine sur une note qu’on pourrait qualifier de spirituelle. L’humoriste se mute en philosophe et nous propose de cesser de regarder le film de notre vie pour en être plutôt le projectionniste.

Photo: Hugo B. Lefort
Le spectacle d'André Sauvé dure une heure et demie, sans entracte, et on ne s’ennuie pas une minute. Photo: Hugo B. Lefort

Sur la planète du Petit Prince de l’humour québécois

Mais avant d’en arriver à ce point d’orgue philosophique, le Petit Prince de l’humour québécois nous abreuve de questions et d’observations sur la vie sur notre planète, évidemment sur le mode givré et flyé qu’on lui connaît.

Avec lui, pas moyen d’échapper aux réalités basiques de la vie sur terre, comme l’implacable nécessité pour l’espèce vivante de manger et de se reproduire pour pouvoir continuer d’exister. Ça nous vaut, entre autres, une description désopilante du mode reproduction chez les originaux et les saumons et une démonstration physique du stress que vivent les petites bêtes qui savent qu’elles sont le plat de résistance des grosses bêtes.

Ensuite, il s’attaque au genre humain pour nous montrer, exemples encore physiques à l’appui, qu’on est comme on marche. Entre celui qui marche le menton haut, celle qui a le genou barré ou cet autre où tout est concentré dans le pelvis, il fait la démonstration hilarante qu’il y a une panoplie de destins.

Se donner en exemple

André Sauvé est un fin observateur des autres, mais il n’hésite jamais à s’ausculter lui-même et à exposer ses désordres intérieurs. Il a toujours un exemple pour nous faire comprendre ce qu’il avance. Attendez de voir ce que peut provoquer chez lui la question: «As-tu vu le dernier Star Wars?» Ou tout ce qui peut se télescoper dans sa tête en mettant les poubelles à la rue. Ou la remise en question qui vient avec l’obligation d’avoir une opinion.

Eh bien, imaginez-vous donc que j’ai réussi à me reconnaître dans son délire! En partageant ses névroses, il nous libère des nôtres. Il met le doigt sur le bobo que sont souvent les aléas de la vie. Lui, il connaît ça, parce qu’il a longtemps cherché des réponses à toutes ces questions, furent-elles existentielles ou futiles. Ça donne un artiste unique en son genre qui fait autant rire que du bien.

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C’est ça qui est ça

Si j’ai qualifié André Sauvé de Petit Prince, c’est parce qu’il en a toute la ressemblance avec sa chevelure frisée, sa petite taille et sa souplesse d’enfant. Qui plus est, quand les lumières s’allument, il nous apparaît sur un monticule qui évoque l’astéroïde B 612 du conte de Saint-Exupéry. Le scénographe Pierre-Étienne Locas et l’éclairagiste Julie Basse méritent ici des félicitations pour leurs concepts.

Tout du long, André Sauvé nous guide dans son imaginaire en ébullition grâce à une mise en scène aussi précise que visuelle signée Hugo Bélanger.

Malheureusement, le soir de la première, un problème de micro m’a vraiment empêché d’apprécier pleinement le spectacle. Malgré ces aléas techniques très incommodants, André Sauvé, lui, n’a jamais perdu pied. Faut croire que son ÇA est pas mal fort. En tout cas, son spectacle est vraiment solide et je vous encourage à vous payer ÇA.