La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

2022 revue et corrigée au Rideau Vert: un show à l’énergie renouvelable

La guerre menée par les Russes en Ukraine nous a donné le cafard. On a eu les blues en voyant les camionneurs bloquer les ponts et les rues à Ottawa. La cohue qui a régné dans les aéroports nous a enlevé le goût de voyager. Guy Lafleur nous a quittés. Pierre Bruneau a accroché son micro. Telle a été l’année 2022. Pour une 17e fois, le Théâtre du Rideau Vert prend l’actualité des derniers mois, la passe à la moulinette de l’humour, et nous la sert revue et corrigée. Pour notre grand plaisir!



Cette production, mise en scène pour une quatrième année de suite par Nathalie Lecompte, fonctionne à l’énergie renouvelable, c’est-à-dire qu’au fil des ans, la distribution change. Cette année, Pierre Brassard, Monika Pilon et Marie-Ève Sansfaçon se joignent aux vétérans Benoit Paquette (14e participation) et Marc St-Martin (16e!). Du côté des scripteurs, on compte aussi de nouveaux noms dans l’équipe du script-éditeur Luc Michaud.

Tout ce beau monde a donc travaillé à partir de cette autre ressource renouvelable qu’est l’actualité.

Pour une 17e fois, le Théâtre du Rideau Vert prend l’actualité des derniers mois, la passe à la moulinette de l’humour, et nous la sert revue et corrigée. Photo: © David Ospina

Parmi les personnages incontournables hérités de 2022, mentionnons d’abord Volodymyr Zelensky. Dans son discours au public du Rideau Vert, en ouverture de spectacle, le célèbre président ukrainien au t-shirt kaki exprime entre autres sa sympathie à l’égard de nos routes en mauvais état! LOL, comme dirait l’autre.

C’était écrit dans le ciel qu’elle serait de cette satire de fin d’année: la madame de la CAQ au chandail rayé est bien présente pour vanter son chef, le propos exagéré et le pouce en l’air, évidemment.

Le nouveau roi Charles, tout en oreilles, fait partie des nouvelles têtes de Turc de 2022. Photo: © David Ospina

Lisa Leblanc, toute en disco, le pape François, tout en excuses, le nouveau roi Charles, tout en oreilles, et Guylaine Tanguay, toute en yodle, font également partie des nouvelles têtes de Turc de 2022.

Bien sûr, il y a aussi les abonnés au sarcasme. Sur les planches du Rideau Vert, François Legault continue à donner des chèques. Guillaume Lemay-Thivierge tente à nouveau de s’expliquer. Julie Snyder persiste à défendre son Occupation double.

Évocation de la comédie musicale Annie. Photo: © David Ospina

Entre les numéros exécutés sur scène, on a pris l’habitude d’intercaler des capsules préenregistrées. Ces intermèdes permettent aux comédiens de changer de costumes et de reprendre leur souffle, notamment après une évocation assez physique de la comédie musicale Annie.

Parmi les vignettes, on aura droit à un petit film sur la psychose que les voyageurs ont vécu dans les aéroports ce printemps.

C’est aussi par le mode vidéo qu’on pastiche Céline Dion cette année. Elle nous apparaît à l’écran pour s’excuser de ne pas avoir été assez présente pour justifier qu’on la parodie. Ça réussit à être très comique dans un registre différent de celui des années passées.

Les capsules préenregistrées ont souvent un humour plus cinglant que les numéros live sur scène. En se moquant de sa manière de tirer le maximum de jus des vieux disques d’Harmonium, on épingle avec beaucoup d’à-propos l’omniprésent Serge Fiori.

Sur l’écran géant, on aura aussi droit à une apparition surprise du Bleu Poudre Raymond Beaudoin dans la soirée électorale de Patrice Roy.

La télévision demeure toujours la plus grande inspiration des scripteurs. Photo: © David Ospina

La télévision demeure toujours la plus grande inspiration des scripteurs. C’est toujours plus drôle si on connaît les émissions en cause comme Révolution, Indice McSween, ou Stat. Dans ce dernier cas, même si je ne suis pas la nouvelle quotidienne de Radio-Canada, j’ai été crampé par la parodie qu’on en a faite. Ça m’a donné envie de la regarder juste pour voir si c’est vrai que ça manque tant de réalisme.

Un des meilleurs numéros du spectacle est celui mettant en vedette un Paul Arcand, évidemment irascible, à l’animation de sa tribune téléphonique. On rit beaucoup de la variété des appels qu’il reçoit. Avec beaucoup de rythme et des personnifications très réussies, on voit défiler sous nos yeux André Sauvé, Michel Bergeron, Marc Messier, Mike Ward, Guy A. Lepage, Hubert Lenoir, Dan Bigras, Micheline Lanctôt, et Christian Bégin, qui fait crouler la salle de rire.

Un épisode de la série Les chefs! dans lequel des apprentis cuistots doivent cuisiner avec un panier d’épicerie dégarni par l’inflation. Photo: © David Ospina

La troupe atteint aussi la cible en recréant un épisode de la série Les chefs! avec des apprentis cuistots qui doivent cuisiner avec un panier d’épicerie dégarni par l’inflation.

Cette année encore, il faut saluer le travail impeccable des concepteurs: Suzanne Harel aux costumes, Madeleine Saint-Jacques aux accessoires, et Rachel Tremblay aux perruques et coiffures. Grâce à elles, le numéro final, où les cinq comédiens personnifient les membres du groupe Salebarbes, est digne du Bye Bye.

Le numéro final où les cinq comédiens personnifient les membres du groupe Salebarbes est digne du Bye Bye. Photo: © David Ospina

Est-ce l’attrait de la nouveauté ou le plaisir de le voir sur scène, toujours est-il que Pierre Brassard est, pour moi, l’étoile du match cette année. Qu’il porte la soutane blanche du pape François, les grandes oreilles du roi Charles, le sourire content de François Legault, le cahier de notes du chef Jean-Luc Boulay, ou la guitare de Jean-François Breau, chaque fois qu’il apparaît, il se passe quelque chose.

Pierre Brassard est, pour moi, l’étoile du match cette année. Photo: © David Ospina

L’an dernier, l’arrivée du variant Omnicron a coupé court aux supplémentaires prévues du spectacle. On espère que, cette année, la COVID laissera tranquille ce providentiel spectacle de fin d’année. Pour le moment, 2022 revue et corrigée est à l’affiche jusqu’au 7 janvier, avec plusieurs supplémentaires annoncées en fin d’après-midi.

LU: Jean Leloup – Des grands instants de lucidité d’Olivier Boisvert-Magnen

Même s’il est totalement disparu de nos radars depuis plus de trois ans, Jean Leloup est bien présent dans l’actualité cet automne. La semaine dernière, ICI Musique lui a consacré une émission spéciale de deux heures pour souligner ses 40 ans de carrière. Excellente émission qu’on peut écouter en rattrapage sur le site OHdio.

En octobre, la maison d’édition Les Malins publiait Jean Leloup Des grands instants de lucidité, un ouvrage passionnant sur le parcours discographique de cet artiste remarquable, mais pas facile à suivre.

Voilà une lecture fascinante qui a fait mon bonheur cette semaine.

Ce livre, dont la mise en page est aussi funky que son sujet, n’est pas une biographie classique.

À défaut d’avoir la contribution de son sujet, l’auteur Olivier Boisvert-Magnen a interviewé plusieurs musiciens qui ont cheminé avec Leloup, ainsi qu’une ribambelle d’artistes influencés par ce génie créateur unique dans le paysage musical québécois (James Di Salvio, Hubert Lenoir, Dumas, Émile Bilodeau, Salomé Leclerc, etc.).

Journaliste lui-même, Boisvert-Magnen a aussi écumé les déclarations que le chanteur a faites dans les différents médias tout au long de sa carrière. Quarante ans de propos souvent décoiffants, de sa victoire au Festival de la chanson de Granby en 1983 à sa dernière apparition publique au Gala de la SOCAN en 2019. À cette occasion, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique lui remettait trois prix Classiques pour 25 000 diffusions à la radio des chansons Isabelle, 1990 et Cookie.

Ce livre, dont la mise en page est aussi funky que son sujet, n’est donc pas une biographie classique. À part la mention de son enfance au Togo et en Algérie, qui a considérablement marqué la personnalité de ce natif de Sainte-Foy, le livre s’attarde peu aux détails biographiques, comme la famille, les études, les amours.

L’auteur nous fait plutôt vivre les étapes qui ont mené à la création de chacun des disques de Jean Leloup. Menteur, L’amour est sans pitié, Le dôme, Les fourmis, La vallée des réputations, Mexico, Mille excuses Milady, The Last Assassins, À Paradis City, et L’étrange pays, ils y passent tous.

On s’entend, tous ces enregistrements ont donné des pépites. Y’a personne au Québec qui a échappé au charme ravageur des chansons de Leloup. Impossible de résister à des titres comme I Lost My Baby, 1990, La vie est laide, Je joue de la guitare, Balade à Toronto, Johnny Go, Paradis City.

On n’a pas idée, jusqu’à ce qu’on lise ce livre, à quel point ces canons de la chanson québécoise ont demandé du temps, de l’énergie, de l’argent pour advenir. À quel point le travail chansonnier de Jean Leloup est un dur labeur qui a usé la santé physique et mentale de ceux qui y ont été associés.

Les musiciens interrogés aux fins de cette brique de 300 pages ont été sans filtre. Ils ne parlent pas la langue de bois. Ils décrivent avec franchise les heures passées en studio à échafauder les chansons d’un artiste toujours en quête de nouveautés, d’idées meilleures, plus originales que celles jammées la veille.

Quel artiste fédérateur, capable d’attirer un public de 7 à 77 ans… depuis 40 ans!

Au fil des chapitres, on voit s’établir un pattern. Jean Leloup recrute un nouveau talent (musicien, choriste, réalisateur, producteur), chemine avec lui, et sans crier gare, abandonne la personne pour passer à une autre étape avec un nouveau collaborateur. Le livre est farci d’artistes largués en cours de route d’un projet. On réalise aussi que les projets s’enlisent souvent, car le principal intéressé peine à choisir les multiples pistes qui s’offrent à lui, ou a tout simplement tendance à vouloir constamment refaire ce qui a été fait.

Les histoires autour de la création des spectacles qui suivent la sortie des albums sont aussi remplies de péripéties rocambolesques. Comme ce fameux concert prévu à Lac-Beauport à l’occasion du 400e anniversaire de Québec qui finit par être présenté au Colisée à cause de la pluie. Déçu et stressé par la tournure des événements, Leloup insultera le public de la Vieille Capitale, le qualifiant de mou. Un épisode qui, après coup, l’amènera à faire cette célèbre déclaration: «J’ai mal agi, j’ai mal agi, j’ai mal agi.»

Juste à lire, on est épuisé. Jean Leloup, Jean Leclerc, John The Wolf, et tous les autres surnoms dont il s’affuble, est difficile à suivre. Et pour cause! Sans trop insister, le livre aborde les excès d’alcool et de drogue du chanteur, une consommation qui le mène à plusieurs reprises en cure de désintoxication. Il est aussi fait mention de ses problèmes de santé mentale (Leloup avoue être bipolaire dans le livret de son disque Mille excuses Milady).

À travers les témoignages recueillis auprès de ceux qui ont constitué la cour du roi Ponpon (un autre surnom!), on ne sent pas de rancœur, juste de la déception. Comme si personne ne pouvait en vouloir à ce personnage plus grand que nature, franc, perfectionniste, toujours en quête d’un son original et affranchi. Tous ceux qui ont croisé le chemin de ce créateur de génie disent avoir appris de lui, et avoir bénéficié de sa générosité.

Ils ont raison. Comment en vouloir à quelqu’un qui ne travaille pas pour lui, mais pour faire la meilleure chanson, celle qui ne ressemble à aucune autre?

Faites le test, réécoutez les disques de Jean Leloup. Chacun est différent. Aucun ne ressemble à l’époque où il a été fait. Ces chansons-là ne vieillissent pas. Elles sont aussi imprégnées d’impressionnants instants de lucidité qui contrastent avec la personnalité égarouillée de son auteur en entrevue. Et quel artiste fédérateur, capable d’attirer un public de 7 à 77 ans… depuis 40 ans!

Voilà autant de raison de lire ce livre éclairant sur une des plus grandes légendes musicales du Québec.