La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

2018 Revue et corrigée au Rideau Vert: il est là le bonheur!

Dans 15 jours, on sera rivé à notre petit écran pour regarder le 50e Bye bye de l’histoire de Radio-Canada. D’ici là, on peut prendre de l’avance et se remémorer l’année 2018 en humour au Théâtre du Rideau Vert. La 14e édition de Revue et corrigée n’est pas piquée des vers!



En 2018, la directrice artistique du Rideau Vert, Denise Filiatrault, a décidé que toutes les pièces à l’affiche de son théâtre seraient mises en scène par des femmes. Cette décision nous amène une nouvelle venue à la barre de la revue de fin d’année. La comédienne et auteure Natalie Lecompte n’a pas la notoriété de René Simard, à qui elle succède, mais elle se révèle aussi habile que lui à mener ce spectacle humoristique. Avec la nouvelle équipe de scripteurs, composée de deux filles (Cassandre Charbonneau-Jobin et Justine Philie), et deux gars (Luc Michaud et Dominic Quarré), elle est parvenue à insuffler une nouvelle énergie et à explorer de nouvelles talles. Bye bye Charles Tisseyre, Marina Orsini, Ron Fournier, Sœur Angèle, Claude Poirier; place à Klo Pelgag, Tire le coyotte, Gaby Gravel.

Photo: François Laplante Delagrave
Photo: François Laplante Delagrave

Le spectacle commence avec le sujet facile de l’année: le pot. Sur l’air de la comédie musicale Fame, qui devient Fume, un Justin Trudeau hilare nous dit que parmi les avantages de la légalisation de la marijuana, il y aura celui de comprendre enfin sa ministre Mélanie Joly lorsqu’elle parle.

Photo: François Laplante Delagrave
Photo: François Laplante Delagrave

Tous les thèmes de l’actualité n’ont pas été aussi légers en 2018. La crise autour des spectacles Slav et Kanata de Robert Lepage a été douloureuse pour le milieu culturel. N’empêche, le sujet est abordé. D’une façon inoffensive, soit, mais tout de même amusante.

Autre question qui a beaucoup fait jaser, celle des orientations et des genres sexuels. C’est par des imitations du chanteur Hubert Lenoir et de la candidate péquiste Michèle Blanc que ça passe. Les deux personnages, très bien campés, plaident en faveur d’une plus grande ouverture pour la différence, évidemment sur l’air de Fille de personne.

Photo: François Laplante Delagrave
Photo: François Laplante Delagrave

La télévision est toujours une grande source d’inspiration pour les auteurs du spectacle de fin d’année du Rideau Vert. Cette année, on a eu droit à des vignettes inspirées de Cheval-Serpent et de XOXO (pas très inspirées), et à des parodies d’émissions d’entrevues. Denis Lévesque reçoit Melania Trump (fade), Sonia Benezra s’entretient avec Éric Lapointe (ce personnage est usé, comme celui de Céline d’ailleurs) et Christian Bégin peine à garder le secret qui unit les invités de son plateau à Y a du monde à messe (très comique).

Photo: François Laplante Delagrave
Photo: François Laplante Delagrave

Dans l’ensemble, l’humour du spectacle est assez bon enfant. Grand succès du cinéma québécois cette année, le film La Bolduc est prétexte à faire intervenir la célèbre chanteuse sur le thème des CHSLD. «On me lave la face pis les fesses à la débarbouillette», dit-elle en turlutant, pendant que le musicien qui l’accompagne rythme la chanson avec des onomatopées et des bruits de bouche complètement délirants.

C’est devenu une tradition de se payer la tête du maire du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez. Cette année, l’élu présente sa nouvelle trouvaille en matière de circulation à sa collègue de la ville centre, Valérie Plante: un sens unique construit sur le modèle de la girouette qui change au gré du vent! Le gag est bon, mais on s’entend que ça devrait être la dernière fois qu’on fait des blagues sur les problèmes de circulation sur le Plateau, ça commence à être redondant. Le numéro sur la présence des coyotes à Montréal avec le Petit Prince qui tente d’en amadouer un était nettement plus réussi.

Photo: François Laplante Delagrave
Photo: François Laplante Delagrave

On a été précautionneux dans le traitement de la débâcle électorale du Parti Québécois, une formation politique chère au cœur de la patronne du théâtre. Mélancoliques, Pauline Marois et René Lévesque épiloguent sur le destin du PQ sur l’air de J’me voyais déjà et de Hier encore, deux chansons de Charles Aznavour. Belle façon de rendre hommage à ce grand disparu de 2018.

Ce genre de spectacle est une bonne occasion de nous mettre face à nos contradictions. Le tableau où deux bobos revenant d’une manifestation contre les changements climatiques se préparent un souper Goodfood, avec tous les déchets que cette formule engendre, ne manquait pas sa cible.

Quelques sketches sont présentés sur support vidéo. Ce sont les plus mordants. Dans une parodie des annonces de Vision Mondiale, on voit l’animateur de la capsule nous supplier d’être généreux pour les écoles québécoises qui tombent en ruine. Photos hilarantes à l’appui, il sollicite des dons pour les enfants qui n’ont pas de crayon pour écrire ou de savon pour se laver les mains.

Dans une autre vidéo, qui a des allures de film d’horreur, on recrée la campagne de peur que certains commentateurs politiques ont menée à l’encontre de Québec solidaire, qui devient Québec sanguinaire, avec l’ombre de Manon Massé qui rode canne à la main. Franchement, ces deux sketches valent ce qu’on voit au Bye bye.

Le numéro qui a suscité le plus de réactions du public mettait en présence le nouveau premier ministre François Legault et la militante vêtue de rouge qu’on a vue à la télévision le soir des élections. Rappelez-vous, elle avait qualifié d’orgasmique la victoire de son parti! Le comédien Marc St-Martin a mis le paquet pour la rendre hystérique, au point de déstabiliser son partenaire Benoit Paquette qui peinait à garder son sérieux. On adore ce genre de moment où les acteurs s’amusent à se surprendre.

Photo: François Laplante Delagrave
Photo: François Laplante Delagrave

Un des atouts de ce spectacle, c’est justement la chimie qui opère entre les membres de la troupe. L’an dernier, je rouspétais parce qu’on avait retranché un comédien. Eh bien, ils sont encore seulement cinq, mais je n’y ai vu que du feu dans cette 14e édition. On dirait qu’avec l’expérience et leur complicité, ils se démultiplient!

Marc St-Martin et Benoit Paquette sont du rendez-vous depuis 12 ans, Suzanne Champagne depuis 10 ans et Martin Héroux depuis 9 ans. On est content de les retrouver. Ils sont polyvalents, caméléons, excellents imitateurs, en plus de danser et de chanter, et cela soir après soir. Pendant qu’on se la coule douce dans les temps des Fêtes, eux s’échinent à nous faire rire. Chapeau! Joëlle Lanctôt, la découverte de la comédie musicale Mary Poppins, s’intègre parfaitement à ce groupe de vétérans.

Photo: François Laplante Delagrave
Photo: François Laplante Delagrave

Quand je parle de la troupe, ça inclut l’équipe des concepteurs: Suzanne Harel aux costumes, Alain Jenkins aux accessoires, Jean Bégin aux perruques et maquillages, Christian Thomas à la musique et Émily Bégin aux chorégraphies. Leur contribution est capitale.

Tout ça pour dire que cette année, la revue humoristique du Rideau Vert a fait mon bonheur. Il y a même eu l’irrésistible ver d’oreille Il est où le bonheur de Christophe Maé pour m’en convaincre à la fin du spectacle. Comme plein de spectateurs, je suis sorti du théâtre en chantant «Il est là le bonheur, il est là».

Au Rideau Vert jusqu’au 5 janvier, avec de nombreuses supplémentaires en matinée entre Noël et le jour de l’An.