Véritable trésor géologique abritant des fossiles rares, l’île d'Anticosti est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2023. Voyagez dans son histoire avec ces quelques photos.
Il y a 50 ans, le gouvernement du Québec achetait l'île d'Anticosti à la Consolidated Bathurst, une compagnie forestière appartenant à Paul Desmarais.
Fréquentée par les Autochtones depuis des millénaires, l’île que Jacques Cartier a décrit comme «la terre que Dieu a donnée à Caïn» fut d’abord concédée à l’explorateur Louis Jolliet et à sa descendance.
À la fin du 19e siècle, Henri Menier, un chocolatier français, achète l’île pour en faire son territoire de chasse et de pêche. Il y introduit plusieurs animaux dont le chevreuil, le bison, l’orignal, le caribou, le lièvre et des grenouilles.
Au début des années 1970, Robert Bourassa coupe l’herbe sous le pied du gouvernement Trudeau en rachetant l’île pour 23 milliards de dollars.
1- Vue sur Port-Menier, île d'Anticosti, entre 1904 et 1926
BAnQ
2- Île d'Anticosti, entre 1904 et 1926
BAnQ
3- Embouchure de la rivière Jupiter, île d'Anticosti, entre 1904 et 1926
BAnQ
4- Couvent, Port-Menier, entre 1904 et 1926
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5- Hôtel, 1915
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6- Patinoire et joueurs de hockey de Port-Menier, Anticosti, vers 1928
BAnQ
7- Rivière La Loutre, pavillon de pêche, île d'Anticosti, entre 1904 et 1926
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8- Train, Port-Menier, Anticosti, entre 1900 et 1910
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9- Wapitis à Port-Menier, Anticosti
BAnQ
10- Femme avec enfants à l'extérieur de l'hôpital de Port-Meunier, 1920-1930
Le 24 janvier dernier marquait le dépôt de la candidature de l’île d’Anticosti pour être inscrite sur la prestigieuse liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Une armée de passionnés travaille d’arrache-pied depuis plus de trois ans pour monter un dossier sérieux en vue de cette demande. Portée par les élus de la municipalité de l’île d’Anticosti, avec appuis citoyens, gouvernementaux, scientifiques et autochtones (chefs de la Nation innue), une telle reconnaissance internationale donnerait un nouveau souffle à la préservation de ce joyau naturel, tout en y facilitant un développement touristique contrôlé.
Une armée de passionnés travaille pour monter un dossier de candidature sérieux en vue de faire inscrire l'île d'Anticosti sur la prestigieuse liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Photo: Anne Pélouas
Objectif: été 2023
La proposition d’inscription transmise au Centre du patrimoine mondial à Paris sera examinée ce printemps par le comité du patrimoine. Les procédures prévoient ensuite une évaluation par l’Union internationale pour la conservation de la nature, mandatée par l’UNESCO pour les demandes portant sur des sites naturels. Cette phase cruciale inclut une visite des évaluateurs sur le terrain, laquelle se fera sans doute l’été prochain.
Il faut compter 18 mois après le dépôt de la demande pour qu’une décision finale du comité intergouvernemental du patrimoine mondial de l’UNESCO soit rendue, ce qui nous mènerait à l’été 2023 pour les célébrations.
Un travail initial de longue haleine avait posé les jalons d’une candidature «possible».
L’étape préalable à tout dossier porté devant l’organisation internationale passe en effet par les États, qui doivent mettre leur sceau sur des lieux patrimoniaux naturels et culturels particulièrement remarquables. C’est ce qu’a fait le gouvernement canadien en décembre 2017. À la suite d’un appel à projets, il a inscrit huit nouveaux sites dans sa mise à jour de la liste indicative des sites du patrimoine mondial au Canada, «gérés» par Parcs Canada, dont l’île d’Anticosti, seul projet retenu pour le Québec.
La liste actuelle du patrimoine mondial à l’UNESCO compte 1154 sites culturels, naturels ou en péril, couvrant 167 pays. Vingt se trouvent au Canada et seulement deux d’entre eux au Québec: l’arrondissement du Vieux-Québec et le parc national de Miguasha.
L’étape suivante pour Anticosti était une intervention du gouvernement du Québec qui, en décembre 2020, a créé la «réserve de biodiversité projetée d’Anticosti». L’existence d’une telle aire protégée était une autre condition préalable à une demande d’inscription au patrimoine mondial.
Restait à monter le gros du dossier, avec un contenu inattaquable. Le maire d’Anticosti, John Pineault, auquel a succédé Hélène Boulanger aux dernières élections, s’est entouré avec son équipe municipale de spécialistes et de partenaires comme Nature Québec, les Premières Nations de Ekuanitshit et de Nutashkuan, des citoyens, des politiciens locaux et régionaux, des organismes tels la SEPAQ, sans oublier plusieurs représentants de ministères québécois. Objectif: s’assurer de préparer un «projet mobilisateur et rassembleur».
Chargée d’une riche histoire naturelle, l'île d'Anticosti est une candidature à toute épreuve, selon plusieurs. Photo: Anne Pélouas
Deux experts clés
Un comité de pilotage de la candidature a été créé par la municipalité avec, pour directeur scientifique, un «habitué» d’Anticosti: André Desrochers. Géologue et paléontologue, ce professeur à l’Université d’Ottawa est une sommité dans le monde des fossiles, et ceux de l’île sont au cœur de la candidature.
André Desrochers, géologue et paléontologue. Photo: Anne Pélouas
Autre personne clé embauchée en 2019: Katie Gagnon, qui a pris en charge la coordination – développement et concertation – du projet de candidature, un autre aspect majeur pour la candidature.
Katie Gagnon a un curieux parcours qui l’a menée à Anticosti. Cette Québécoise est politologue, mais aussi russologue, formatrice et cinéaste. Auparavant, elle travaillait comme coordonnatrice au bureau régional de l’UNESCO à Moscou. C’est dire combien elle connait la grosse machine de cette organisation internationale et les ressorts de sa liste du patrimoine mondial. Son expertise était plus que précieuse pour bien mener la barque des étapes à franchir, notamment sur le plan de la concertation avec la population locale d’Anticosti.
La «valeur universelle exceptionnelle» d’Anticosti
«Notre dossier est solide comme du roc», m’assurait André Desrochers en juin dernier, lors d’une visite à Anticosti.
La reine du golfe du Saint-Laurent est en effet chargée d’une histoire naturelle qui en fait une candidature à toute épreuve, selon plusieurs. Formée de roches calcaires en strates, l’île est un immense cimetière de fossiles (au moins 1 400 espèces répertoriées). Reconnue mondialement comme l’un des sites fossilifères de la période de l’Ordovicien au Silurien (437 à 447 millions d’années) les plus complets sur la planète, Anticosti met d’exceptionnels attributs stratigraphiques et paléontologiques au cœur de sa candidature à l’UNESCO.
Formée de roches calcaires en strates, l’île d'Anticosti est un immense cimetière de fossiles (au moins 1 400 espèces répertoriées). Photo: Anne Pélouas
Le principal critère de sélection de sites naturels pour figurer au patrimoine mondial impose à cet égard d’«être des exemples éminemment représentatifs des grands stades de l’histoire de la Terre, y compris le témoignage de la vie, de processus géologiques en cours dans le développement des formes terrestres ou d’éléments géomorphiques ou physiographiques ayant une grande signification» (critère 8).
Les promoteurs de l’inscription d’Anticosti se sont donc attelés à la tâche de démontrer la «valeur universelle exceptionnelle» de l’île d’Anticosti en mettant de l’avant le fait que l’île n’a pas d’équivalent au monde sur cette période géologique. Elle coïncide, disent-ils, avec un jalon important et même «un point critique de l’histoire de la Terre, à savoir le premier évènement d’extinction massive du vivant» à l’échelle mondiale.
L’atteste encore plus le fait qu’Anticosti est devenue au fil des ans «le meilleur laboratoire naturel du monde pour l’étude des fossiles et des couches sédimentaires de la période allant de l’Ordovicien au Silurien», précise Parcs Canada.
En ce moment même, une douzaine de programmes de recherche de calibre international, impliquant d’éminents chercheurs, portent justement sur cette valeur universelle exceptionnelle de la paléontologie d’Anticosti.
De la science au tourisme, en passant par l’histoire
De façon plus mineure, d’autres éléments liés à l’histoire et à la valeur touristique d’Anticosti entrent en ligne de compte pour appuyer la demande à l’UNESCO.
Son histoire «humaine» a au moins 3500 ans, du temps où des Autochtones venaient y chasser l’ours. Découverte par Jacques Cartier, achetée en 1895 par le Français Henri Menier, roi du chocolat qui en fit son lieu de prédilection pour la chasse et la pêche, Anticosti passa au début du 20e siècle sous propriété d’exploitants forestiers successifs, puis fut rachetée par le gouvernement québécois en 1974. Il y créa notamment une réserve faunique, ouverte à la chasse, à la pêche et à la coupe de bois. Depuis vingt ans, Anticosti a aussi «son» parc national qui en protège 572 km2.
Anticosti est un paradis pour tous les amants de nature sauvage. Photo: Anne Pélouas
Aujourd’hui, Anticosti est demeurée un paradis pour chasseurs de chevreuils (qui prolifèrent) et pêcheurs de saumons, mais aussi pour tous les amants de nature sauvage, campeurs, randonneurs et kayakistes.
Ses atouts touristiques sur plus de 8 000 km2: des canyons et chutes impressionnants (comme la chute Vauréal), une richesse géologique incroyable, des forêts boréales à perte de vue, des grottes à explorer, une centaine de rivières, des fosses à saumon, un littoral ponctué de larges baies, de hautes falaises et de plages désertes; un parc national et une réserve faunique gérés par la SEPAQ.
La chute Vauréal est un des nombreux atouts touristiques de l'île d'Anticosti. Photo: Anne Pélouas
Parmi les projets «touristiques» de la municipalité, il y a par exemple celui de doter l’île d’un sentier de longue randonnée qui la ceinturerait sur 475 km. Plusieurs tronçons sont d’ores et déjà accessibles aux marcheurs. À terme, on prévoit d’obtenir le label GR de sentier de Grande Randonnée, délivré par la Fédération française de la randonnée pédestre. Ce serait le second au Québec, après le Sentier international des Appalaches. Nul doute qu’avec l’autre «label» prestigieux de patrimoine mondial, Anticosti sera d’ici peu l’un des nouveaux points de mire du Québec à l’échelle internationale.
La municipalité de l’île d’Anticosti devrait tenir une conférence de presse dans les toutes prochaines semaines, en compagnie de différents partenaires et membres du comité qui a piloté le projet d’inscription.
La sauvage île d’Anticosti n’est pas que le paradis des chevreuils et des saumons, des chasseurs et des pêcheurs: c’est aussi celui des randonneurs. Voici huit activités de plein air hors-normes.
Au large de la côte sud… de la Côte-Nord, l’île d’Anticosti couvre 16 fois la superficie de celle de Montréal. Sa beauté sauvage et sa richesse écologique sur 222 km de long et 56 km de large en font un terrain de jeu incroyable pour les randonneurs, qui n’ont que l’embarras du choix pour en profiter, à pied ou à vélo.
Vélo électrique à l’ouest de l’île
En séjour à la toute nouvelle Auberge Port-Menier, gérée par la SÉPAQ, on peut enfourcher un vélo électrique pour explorer la partie ouest de l’île, berceau de l’histoire anticostienne. Une route de gravelle traverse la forêt de Port-Menier à Baie-Sainte-Claire, côté nord de l’île. On transite en route par le lac à la Marne aux curieuses rives blanchies par des dépôts de calcaire. La baie Sainte-Claire abritait à la fin du 19e siècle le principal village d’Anticosti, avec ses pêcheurs originaires de Terre-Neuve et d’Acadie, dont il ne reste plus guère de vestiges.
Le forfait de la Sépaq à l'Auberge Port-Menier comprend le prêt de vélo électrique pour tout le séjour. Photo: Facebook Sépaq Anticosti
Le site, qui a retrouvé son aspect naturel, n’en est pas moins magnifique. On peut marcher sur la grève, puis reprendre le vélo en longeant le littoral par la gauche. Le cap des Anglais, à l’extrémité de la baie, impressionne par sa hauteur de plus de 20 mètres. Plusieurs espèces d’oiseaux marins (guillemots à miroir, mouettes tridactyles, cormorans…) affectionnent les alentours du cap. Suit le cimetière du village, puis la traversée d’une curieuse «forêt déprimée» composée surtout de sapins baumiers et d’épinettes blanches aux allures étranges. Les vents forts chargés de sel ont empêché ces bonsaïs courbés et enchevêtrés de grandir «normalement».
Vous aurez ensuite un bel exemple de ce cimetière d’épaves qu’est Anticosti, avec celle du Calou, chalutier gaspésien qui s’est échoué sur le «reef» de la pointe ouest en 1982. Le phare de la Pointe-Ouest, métallique, n’a plus le charme de son ancêtre de 1858, qui fut l’un des plus puissants du golfe, mais il domine toujours cette pointe magique de l’île bordée au sud par l’anse aux Fraises.
Photo: Facebook Sépaq Anticosti
On repart ensuite sur un sentier partagé vélo/pédestre qui suit le littoral jusqu’à cette anse, avant de revenir vers Port-Menier par le chemin forestier du départ. Ne manquez pas, juste avant, d’aller voir les vestiges de la Villa Menier, un manoir que le grand chocolatier français fit construire après avoir acquis l’île en entier en 1895. À côté, près du camping, trône un magnifique vieux phare qu’il faut un peu chercher dans la végétation du bord de mer.
À la chasse aux fossiles
Couverte d’un kilomètre d’épaisseur de calcaire reposant sur le Bouclier canadien, l’île a des strates sédimentaires qui se sont superposées en l’espace de quatre glaciations et dix millions d’années. Elles regorgent de fossiles de coraux en nid d’abeille, preuve de l’existence passée d’une mer tropicale. Dans les canyons de Chicotte et Brick, au sud de l’île, on marche littéralement sur des fossiles tant il y a de roches incrustées de minuscules organismes marins morts il y a des millions d’années.
L'île regorge de fossiles de coraux en nid d’abeille, preuve de l’existence passée d’une mer tropicale. Photo: Anne Pélouas
Pas besoin d’aller aussi loin dans l’île, cependant, pour profiter de ce «voyage dans le temps». À l’Anse-aux-Fraises, à quelques kilomètres à l’ouest de Port-Menier, un extraordinaire site fossilifère est accessible en marchant sur la grève jusqu’au cap de la Vache-Qui-Pisse. Vous comprendrez le pourquoi de ce nom en vous glissant sous la falaise en surplomb à 15 mètres de haut, d’où des filets d’eau dégoutent sur les marcheurs. La paroi du cap, en empilement de strates, est bourrée de fossiles, tout comme les pierres qui s’en sont échappées et qui composent le sol du littoral.
À l’Anse-aux-Fraises, à quelques kilomètres à l’ouest de Port-Menier, un extraordinaire site fossilifère est accessible en marchant sur la grève jusqu’au cap de la Vache-Qui-Pisse. Photo: Anne Pélouas
Canyon Vauréal par le haut ou par le bas
La chute Vauréal – haute de 76 mètres – est l’une des attractions principales du parc national d’Anticosti, au centre de l’île, côté nord. Le canyon de la rivière Vauréal se dresse à 9 km de son embouchure et mène sur un parcours rocailleux jusqu’au bas de la chute. Comptez 6 km aller-retour et environ trois heures de marche. Il faut parfois franchir le lit de la rivière sans craindre de mettre un peu les pieds dans l’eau. Les plus valeureux apprécient la baignade en eaux froides et cristallines à deux pas de la chute vertigineuse.
À défaut de faire cette belle randonnée, on peut atteindre facilement en voiture, puis à pied, le belvédère de la chute Vauréal. Un sentier de 3 km (Les pins blancs) relie en effet le stationnement du canyon au belvédère. Un autre sentier permet ensuite de longer le canyon par le haut et d’admirer encore la chute sous une autre perspective plongeante.
Photo: Anne Pélouas
Canyon de l’Observation
Si vous n’êtes pas rassasié de canyons, rendez-vous à celui de l’Observation, à quelques kilomètres de voiture à l’ouest de Vauréal, près du kilomètre 136 de la Transanticostienne. La magnifique chute en paliers est bien visible d’un sentier, côté gauche du canyon, profond de 30 à 50 mètres. Il le longe sur un kilomètre environ jusqu’à une jonction entre les deux bras de la rivière. On peut poursuivre le long du bras ouest sur le sentier du Brûlé de 1955 pour un parcours total de 10 km aller-retour.
Le canyon de l’Observation est situé à quelques kilomètres de voiture à l’ouest de Vauréal. Photo: Anne Pélouas
De grotte en grotte
Pour ceux qui ne craignent pas le noir, Anticosti est un bon terrain de jeu dans les tréfonds de la terre. Dans le secteur de l’Auberge McDonald, on déambule dans les galeries de la grotte à la Patate avec casques et lampes frontales. Un sentier de 1,5 km longe la vallée de la rivière Patate et conduit à l’entrée de la grotte.
Photo: Facebook Sépaq Anticosti
Plus impressionnante et intéressante est la visite guidée de la «grotte des Trois Plaines», découverte en 1996 par Danièle Morin. On peut réserver une visite guidée de la grotte avec cette résidente de longue date d’Anticosti qui y travaille comme technicienne en aménagement de la faune. C’est lors d’un inventaire forestier en hélicoptère qu’elle a repéré pour la première fois «un grand trou» dans la forêt. Elle y est revenue en motoneige et raquettes, pour découvrir au cœur de la Pourvoirie du Lac-Geneviève, à quelques kilomètres de Port-Menier, une grotte étroite qui court sur 419 mètres de long avec deux ouvertures et trois puits de lumière.
Danièle n’a pas son pareil pour identifier les plantes et fleurs rares qui poussent en bordure du sentier menant à la grotte et vous faire profiter de son savoir botanique et forestier. Cette marche d’approche d’une vingtaine de minutes en pleine forêt, dans un univers de mousses et lichens, vous met dans l’ambiance «humide» de la grotte au creux d’une falaise aux strates typiques d’Anticosti. On y déambule, une fois équipés comme des hommes et femmes-grenouilles, en combinaison de néoprène. Un vieil imperméable, des souliers ne craignant pas l’eau, un casque et une lampe frontale complètent l’équipement du spéléologue amateur.
L’entrée monumentale cache un couloir très étroit aux allures de clocher d’église dans lequel on pourra presque toujours se tenir debout, les pieds mais aussi parfois les trois quarts du corps dans l’eau de la rivière qui coule au fond. Il faut parfois se tenir aux parois pour avancer, voire marcher de biais à certains passages plus étroits. De belles concrétions couvrent le plafond et les parois. La lumière naturelle se rétrécit à mesure qu’on progresse, puis réapparait brusquement à la faveur de trois «regards» crevant le plafond. Ces puits de lumière éclairent alors temporairement la grotte, dévoilant des milliers de gouttes sur la pierre, comme de minuscules diamants. On aboutit à la deuxième entrée-sortie de la grotte. «Bienvenue au Costa Rica!», lance Danièle. Après la noirceur, la luxuriance de la végétation est décuplée. Nous marchons encore un peu dans un petit canyon aux pentes couvertes de plantes rares. «On peut les voir parce que les chevreuils ne peuvent pas venir là pour les manger», précise Danièle. On entame ensuite le chemin du retour par le même parcours de la grotte, revoyant avec plaisir les stalactites, les draperies de pierres usées par le passage de l’eau, les puits de lumière, l’eau qui nous monte à la poitrine, puis la lumière qui pointe au bout du tunnel. C’est le temps du déshabillage, du changement de vêtements et de la petite marche en forêt qui conclut très agréablement cette randonnée complètement hors-norme.
Baie de la Tour
Anticosti compte son lot de baies majestueuses, mais celle-ci trône au sommet du palmarès. Bordée par une très longue plage de galets, la baie de la Tour est encadrée par de hautes falaises qui surplombent le détroit de Jacques-Cartier. Située sur le littoral nord de l’île, à la frontière est du parc national, elle est accessible par une route secondaire de 15 km près du kilomètre 162 de la Transanticostienne. On peut bien sûr marcher sur la grève pendant des heures, mais on peut aussi prendre de la hauteur pour admirer la baie. Juste avant d’arriver sur la plage, un sentier grimpe en effet sur la droite, en forêt. En moins de 30 minutes, on atteint un premier point de vue sur la baie. En poursuivant sur le sentier de la crête, d’autres panoramas magiques sur la baie se dévoilent entre deux arbres.
Bordée par une très longue plage de galets, la baie de la Tour est encadrée par de hautes falaises qui surplombent le détroit de Jacques-Cartier. Photo: Anne Pélouas
Marcher une rivière
Anticosti est le lieu rêvé pour apprécier la «marche en rivière». On n’a que l’embarras du choix, l’île étant sillonnée de rivières du nord au sud. Et pas de problèmes pour s’orienter vu que toutes aboutissent au littoral nord ou sud d’Anticosti. Le parcours consiste à atteindre l’embouchure d’une rivière en voiture ou à vélo, puis de la remonter à pied par l’une de ses rives pour le temps dont on dispose, avant de faire demi-tour. La particularité de ce type de marche est qu’on devra forcément à un moment ou à un autre marcher carrément dans la rivière, voire la traverser pour passer sur l’autre rive, d’où l’importance d’utiliser des souliers d’eau ou des chaussures de sport qu’on n’a pas peur de mouiller et d’être particulièrement vigilant, avec ou sans bâtons de marche, pour ne pas glisser sur un galet et risquer de mouiller aussi son sac, son appareil photo.
Anticosti est le lieu rêvé pour apprécier la «marche en rivière». Photo: Anne Pélouas
Les abords des rivières sont la plupart du temps très agréables pour marcher, étant constitués de roches calcaires très plates, en strates qui se superposent comme en escaliers. Nous avons pour notre part choisi la rivière aux Cailloux, accessible facilement de Port-Menier, dans le sud-ouest de l’île, à 5 km du camp de Sainte-Marie, dans la Pourvoirie du Lac-Geneviève. Quel bonheur de la remonter au son du torrent et d’avoir la chance de voir au passage un beau nid de pygargues à tête blanche!
Un GR anticostien en construction
Parmi les projets engendrés par le dossier de candidature de la municipalité de L’Île-d’Anticosti au Patrimoine mondial de l’UNESCO, qui devrait être présenté au comité du Patrimoine mondial en février 2022, figure celui d’un sentier de longue randonnée qui fera peu ou prou le tour de l’île.
En cours d’aménagement, il pourrait atteindre à terme 475 km de long, avec marche en bord de mer, sur les plages de cailloux ou en forêt. Les premiers tronçons seront ouverts côté nord en 2022. Objectif: obtenir la seconde homologation de GR (pour sentier de grande randonnée), après le Sentier international des Appalaches en Gaspésie. On n’a donc pas fini d’entendre parler d’Anticosti!
Sur la Basse-Côte-Nord, après Kegaska, la route 138 s’arrête net là où il y a la mer. Après ce village de pêcheurs, il n’y a plus moyen de voyager par voiture. C’est pourquoi le cargo Bella Desgagnés fait le trajet par l’eau jusqu’à Blanc-Sablon une fois par semaine: pour transporter les habitants d’un village à l’autre, mais aussi pour ravitailler les villages, autrement coupés du monde, en vêtements, matériel de construction, voitures, nourriture... Il y a de ces expériences qui marquent à jamais. Un voyage sur le Bella Desgagnés fait partie de celles-là.
Un cargo mixte
Le Bella Desgagnés est un cargo mixte, c’est-à-dire qu’il peut transporter autant des marchandises que des passagers locaux ou des voyageurs qui profitent de la croisière. Opéré par la compagnie Relais Nordik, il n’y en a que trois ou quatre comme lui au pays.
Photo: Véronique Leduc
Mission approvisionnement
La mission première du Bella Desgagnés: approvisionner en biens de toutes sortes les villages de la Basse-Côte-Nord qui ne sont pas reliés par la route au reste du Québec. Ainsi, à chacun des arrêts du cargo, c’est un ballet impressionnant de déchargement et de chargement qui commence, peu importe l’heure du jour ou de la nuit à laquelle a lieu l’escale.
Déchargement sur l'île d'Anticosti. Photo: Véronique Leduc
Croisiéristes à bord
Cela fait quelques années que les voyageurs peuvent embarquer à bord du cargo qui ravitaille les villages de la Basse-Côte-Nord. Mais c’est depuis 2013 qu’ils peuvent profiter du Bella Desgagnés, un bateau plus luxueux, construit en Italie et créé pour faire ce voyage dans les conditions et le climat de la Côte-Nord.
C'est dans le confort du Bella Desgagnés que les voyageurs peuvent découvrir la Basse-Côte-Nord. Ici, Harrington Harbour. Photo: Véronique Leduc
De nombreux arrêts
Chaque semaine, le Bella Desgagnés part de Rimouski, dans le Bas-Saint-Laurent, pour s’arrêter à 11 ports, jusqu’à Blanc-Sablon, à la frontière du Labrador. À partir de Kegaska, les villages ne sont pas reliés par la route. En hiver, ils peuvent toutefois compter sur la route blanche, à parcourir en motoneige.
Les arrêts hebdomadaires du Bella Desgagnés (crédit- Voyages AML)
Pause hivernale
C’est d’ailleurs en raison de la route blanche que le Bella Desgagnés, en fonction 24 heures sur 24 pendant 44 semaines par année, a choisi de prendre une pause de ses activités pour effectuer l’entretien du navire en février et en mars. Les habitants de la région, grâce à leur motoneige, sont alors plus autonomes. Les livraisons peuvent alors aussi être faites par avion même si les coûts sont bien plus élevés que pour celles faites par bateau.
En été, les villages comptent sur le Bella Desgagnés pour s'approvisionner. Photo: Véronique Leduc
Un service essentiel pour les locaux
Chaque année, c’est entre 13 000 et 15 000 passagers locaux qui voyagent par bateau pour aller visiter leur famille dans un village voisin ou pour faire des achats. C’est pour eux que le Bella Desgagnés, qui fait en quelque sorte office d’autobus pour cette clientèle, a été créé. Par ailleurs, environ 1600 forfaitistes, dont 80% de Québécois, font chaque année la croisière qui leur permet de voir des paysages majestueux.
Les paysages de la Basse-Côte-Nord sont magnifiques. Le village de pêcheurs de Harrington Harbour en est un bon exemple. Photo: Véronique Leduc
Nourriture et autres denrées
Parce qu’ils sont coupés du réseau routier, les villages de la Basse-Côte-Nord dépendent des livraisons du Bella Desgagnés pour la réception de tous leurs biens, dont les denrées alimentaires. Selon Marine Jasmin-Morin, responsable de l’administration chez Relais Nordik, environ 40% de ce qui est transporté sur le Bella Desgagnés est lié à l’alimentation. Lors de la dernière livraison avant la pause hivernale du cargo, les quantités de nourriture commandées sont d’ailleurs astronomiques, assure-t-elle. Pains, fruits, viandes et autres denrées seront alors congelées pour passer l’hiver.
À chaque port, des denrées sont déchargés pour approvisionner les épiceries des villages. Photo: Véronique Leduc
Produits locaux en vedette
À bord, entre les escales, la centaine de croisiéristes lisent, font des siestes, regardent les paysages, jouent à des jeux de société, surveillent les baleines, fraternisent et goûtent les saveurs du coin au restaurant du Bella Desgagnés.
En effet, depuis quelques années, l’entreprise s’est donné comme mandat de favoriser l’alimentation locale afin d’encourager l’économie de la région et de faire découvrir le terroir. «Pour les petits fruits, nous faisons affaires avec des cueilleurs privés et pour les poissons et fruits de mer, nous nous approvisionnons aux ports des villages», explique Marine Jasmin-Morin.
Au menu du Bella Desgagnés donc, qui sert 66 000 plats principaux par année: chicoutai, crabe, flétan, homard... Et l’an prochain, on compte intégrer les algues à certains plats.
Les produits de la région sont en vedette sur le menu du Bella Desgagnés. Photo: Véronique Leduc
Adapter la cuisine
Lynda et Erwann, les deux chefs à bord, doivent cuisiner autant pour les passagers que pour la quarantaine de membres d’équipage, et ce, peu importe les conditions de navigation. Pour ce faire, on adapte la cuisine en attachant solidement les chaudrons ou en éliminant certains aliments du menu lorsque les passagers ont le cœur sensible, par exemple.
À bord, c’est l’eau du Saint-Laurent qu’on boit, traitée par osmose inversée afin de la dessaler et de la reminéraliser. La technique permet d’éviter de transporter une très grande quantité d’eau à partir du port de Rimouski.
Les chefs à bord, Lynda et Erwann. Photo: Véronique Leduc
Apprendre à se réinventer
Plusieurs des communautés de la Basse-Côte-Nord sont historiquement des villages de pêcheurs. Mais parce que la pêche est moins abondante depuis quelques années, les villages, s’ils veulent survivre, n’ont pas le choix de se réinventer. Cueillette, transformation et agriculture sont donc nouvellement dans la mire des communautés qui désirent augmenter leur autonomie alimentaire.
Plusieurs communautés ont mis en branle des projets d'agriculture, comme ici à La Tabatière. Photo: Véronique Leduc
À lire dans les prochaines semaines sur Avenues.ca: des rencontres liées à l’alimentation lors des escales du Bella Desgagnés.