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Montréal: capitale mondiale de l’agriculture urbaine

On dit souvent que ce sont les régions et leurs vastes champs qui nourrissent les gens des villes. Mais saviez-vous que Montréal a le potentiel pour nourrir de très nombreux citoyens, que la métropole, grâce à ses multiples initiatives, est la capitale mondiale de l’agriculture urbaine et que sa réputation en ce sens dépasse les frontières?

Montréal compte l’un des plus importants programmes d’agriculture urbaine au monde avec plus de 8500 parcelles réparties dans 97 jardins, 75 jardins collectifs et de nombreuses initiatives privées, dont 55 fermes urbaines et 200 hectares de potagers qui nourrissent des dizaines de milliers de citoyens.

D’ailleurs, en 2020, l’agriculture urbaine a généré des revenus de 380 millions $, selon une étude de 2022 du Carrefour de recherche, d’expertise et de transfert en agriculture urbaine.

«Montréal est une ville nourricière qui s’ignore», estime carrément Éric Duchemin, directeur scientifique du Laboratoire sur l’agriculture urbaine et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). On entend, par ce terme de ville nourricière, un milieu de vie assurant à l’ensemble de ses résidents un accès à des aliments frais et sains. Selon le professeur, peu de gens le savent, mais la ville est même l’une des plus importantes au monde dans le domaine de la production alimentaire.

Lors d’une journée organisée par l’Office montréalais de la gastronomie l’automne dernier, le professeur mettait d’ailleurs en lumière la vitalité de la métropole à ce chapitre: «c’est ici que s’est installée la première champignonnière au monde et, maintenant, Montréal en compte six. Et la production urbaine montréalaise est très diversifiée: ferme de légumes africains, producteurs de pousses, élevage d’ombles chevaliers, chai duquel sortent des vins de qualité… Tout est possible à Montréal!».

Le professeur, en collaboration avec l’UQAM, a d’ailleurs créé une école d’été dont le but est d’enseigner l’art de l’agriculture urbaine. Selon lui, en dehors de la ville, la réputation de Montréal en matière d’agriculture urbaine n’est plus à faire et les gens s’y rendent d’ailleurs quand ils veulent en apprendre plus sur la question.

Montréal compte l’un des plus importants programmes d’agriculture urbaine au monde. Photo: Dan Gold, Unsplash

Ahuntsic, quartier fertile

Le quartier Ahuntsic, dans le nord de Montréal, est un bon exemple de cette réussite montréalaise et s’illustre comme chef de file en agriculture urbaine au pays. Le média imprimé du quartier, Le journal des voisins, consacrait d’ailleurs ce printemps un dossier complet à ce sujet.

Déjà, les serres Lufa, sur le toit d’un immeuble du quartier, y ont fait leur place en 2010 et ne cessent de faire parler depuis, offrant depuis quelques années des paniers de leurs récoltes.

Plus jeune, la Centrale agricole est un ovni dans le quartier industriel situé près du Marché central: elle a ouvert ses portes en 2019, avec 40 000 pieds carrés occupés par une vingtaine d’entreprises pour la plupart mues par la volonté de faire vivre des initiatives inspirées de l’économie circulaire et du surcyclage des aliments. On compte aussi 10 000 pieds carrés d’espaces cultivés sur le toit du bâtiment, une superficie qu’on prévoit augmenter rapidement. Grâce aux espaces, à la formation et à l’accompagnement offerts à ses membres, la coop est la plus importante en matière d’agriculture urbaine au Québec. S’y trouvent entre autres Big Bloc, des producteurs de champignons, Cidre Sauvageon, une entreprise qui offre du cidre, et Coop Boomerang, qui propose une farine alimentaire à base de drêche. Éco-Protéine, quant à elle, fait l’élevage d’insectes, OLAOLA fait des sucettes glacées appétissantes à base de fruits et légumes sauvés du gaspillage, Opercule produit de l’omble chevalier sur place et Lieux Communs produit du vin et des cidres dans son chai urbain. Et ce ne sont que quelques exemples: il y a là de quoi faire de nombreuses découvertes alimentaires dans un seul bâtiment!

C’est sans parler aussi des jardins communautaires et autres initiatives qui verdissent le quartier et permettent de pallier les déserts alimentaires.

Dans le quartier Ahuntsic, la Centrale agricole compte 10 000 pieds carrés d’espaces cultivés sur le toit du bâtiment. Photo: Facebook Centrale Agricole

Vers plus de vert

Au-delà d’Ahuntsic, chaque quartier a ses initiatives en lien avec l’agriculture et, à Montréal, on cultive partout: sur les toits, sur les balcons, dans les ruelles, dans certains bâtiments industriels et dans les jardins communautaires et collectifs. D’ailleurs, du côté des citoyens, on estime que 60% des habitants jardinent. Ajoutons à cela la soixantaine d’entreprises agricoles installées sur le territoire et nous pouvons parler d’une ville verte qui est nourricière, certes, mais qui se donne aussi des outils pour faire face aux changements climatiques.

On estime que 60% des habitants de Montréal jardinent. Photo: Jonathan Kemper, Unsplash

Malgré tout, Montréal n’entend pas s’asseoir sur sa réputation: en 2021, la Ville se dotait d’un plan sur cinq ans afin de multiplier les initiatives déjà nombreuses dans le secteur de l’agriculture urbaine. On voulait entre autres prévoir des superficies dédiées à l’agriculture urbaine dans les outils de planification des nouveaux développements, intégrer des arbres fruitiers dans les projets de verdissement en favorisant les projets d’aménagements comestibles, encourager les projets de jardinage dans les cours d’écoles montréalaises…

D’ailleurs, pour que les Québécois autant que les gens de l’extérieur aient cette vision de chef de file de Montréal quand il est question d’agriculture urbaine, Éric Duchemin disait cet automne que la Ville devrait bâtir une offre agrotouristique autour de ses fermes, afin de mieux faire connaître son expertise et de créer une fierté chez les Montréalais qui peuvent se nourrir à même leur ville.

Quand notre assiette paye le prix

On parle beaucoup de l’augmentation du prix des aliments. Mais à quel point est-ce que nous nourrir est présentement plus dispendieux? Est-ce que cette inflation concerne tous les aliments? Mais surtout, quelles sont les raisons qui font que notre assiette coûte plus cher?

L’augmentation du prix des aliments n’est pas une illusion. Selon Statistique Canada, sur un an, entre le printemps 2021 et le printemps 2022, le coût de la vie en général aurait augmenté de 6,8%.

Les aliments, bien sûr, font partie du lot: au mois d’avril dernier, cela faisait cinq mois de suite que leur prix croissait selon une courbe jamais vue depuis 1981.

Toujours d’après Statistique Canada, la facture d’épicerie, qui compte pour environ 16% du budget moyen, était 9,7% plus élevée en avril 2022 que 12 mois plus tôt.

Selon les analystes, c’est pratiquement tous les aliments qui sont affectés par cette augmentation. Parmi les denrées qui ont été les plus touchées par cette croissance, on parle du bœuf, du poulet et du poisson frais ou surgelé, de la margarine, des condiments, des épices, des vinaigres...

Puis, entre décembre 2021 et mai 2022, on calcule que le prix des carottes a augmenté de 22%, que celui du brocoli a bondi de 19% et que le coût des pâtes et de la farine a augmenté de 13%.

Entre décembre 2021 et mai 2022, on calcule que le prix des carottes a augmenté de 22% et que celui du brocoli a bondi de 19%. Photo: Reinaldo Kevin, Unsplash

Payer plus cher… pourquoi?

L’inflation est claire et marquée, mais les raisons qui la provoquent restent nébuleuses pour plusieurs. S’il est normal que les prix des aliments fluctuent selon les saisons et avec le temps, d’autres facteurs sont plutôt liés à l’actualité.

Statistique Canada explique les hausses actuelles par les perturbations continues qui affectent la chaîne d’approvisionnement, entre autres provoquées par la pandémie qui a pris d’assaut la planète en 2020 et qui a chamboulé l’économie mondiale.

On pointe aussi du doigt les conditions météorologiques et climatiques, dont l’augmentation du nombre d’inondations et de sécheresses, qui sont à l’origine de la hausse des prix des fruits frais et des produits de boulangerie. En effet, ces aliments sont directement dépendants du succès des récoltes.

Finalement, la guerre en Ukraine ajouterait elle aussi à la problématique en déséquilibrant les échanges mondiaux.

Malheureusement, les experts estiment que le prix de notre alimentation va continuer d’augmenter. Certains croient même que l’inflation vécue jusqu’à maintenant ne serait qu’un «pâle aperçu de ce qui est à venir». Toujours selon eux, le Québec et le Canada n’auraient que très peu, ou aucun contrôle sur cette augmentation des prix des biens de consommation en général puisque les facteurs qui la provoquent sont d’origine internationale.

Les experts estiment que le prix de notre alimentation va continuer d’augmenter. Photo: Gemma, Unsplash

L’alimentation locale en péril

De plus, si normalement les Québécois peuvent profiter d’un répit par rapport au coût des aliments locaux pendant l’été, ce ne sera pas le cas cette année. Les acteurs du milieu sont unanimes: les coûts de production agricole ont explosé.

Cela est dû à l’augmentation du prix du carburant qui alimente la machinerie agricole, encore plus marquée à cause de la guerre en Ukraine. Dans ce contexte, un producteur laitier et céréalier, par exemple, peut voir son coût pour le diesel augmenter de 10 000$ pour une saison. Il faut ajouter à cela les surcharges, aussi causées par le coût du diesel, demandées aux producteurs par les sous-traitants et les fournisseurs. Et c’est sans parler des charges supplémentaires pour les producteurs qui doivent se déplacer pour aller vendre leurs produits dans les grands centres.

De plus, les producteurs du Québec achètent pour la grande majorité leurs engrais azotés de Russie. Désormais, à cause des sanctions canadiennes, une surtaxe de 35% a été imposée sur ces engrais.

Il ne faut pas oublier non plus le coût de la main-d’œuvre, qui se fait rare, et qui a explosé, et ce, dans plusieurs secteurs.

Tous ces frais supplémentaires que doivent assumer les producteurs d’ici sont refilés aux consommateurs.

D’un autre côté, comme la pandémie, et depuis plus récemment la guerre en Ukraine, l’ont démontré, il peut être intéressant d’être moins dépendant d’acteurs internationaux pour arriver à se nourrir.

«Sans l’abandonner, il faut revoir la mondialisation de l’alimentation», affirme Sébastien Rioux, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie politique de l’alimentation et du bien-être. À titre d’exemple, on expose le fait qu’il n’est pas normal que malgré leur position géographique et les différentes saisons, les Canadiens et les Québécois consomment essentiellement les mêmes aliments tout au long de l’année, se fiant ainsi sur les chaînes d’approvisionnement internationales.

Chose certaine, la situation environnementale, la crise sanitaire et le climat politique actuels ont leurs conséquences directes dans nos assiettes, et donc, dans notre quotidien. Les dernières années, assurément, font bouger les pièces sur l’échiquier mondial. Reste à voir quelles nouvelles stratégies seront déployées.

Hommage à nos familles agricoles du Québec

Il y a quelques semaines paraissait aux Éditions de l'Homme La famille agricole, un ouvrage signé par Véronique Leduc, la journaliste responsable des chroniques gourmandes depuis les tous débuts d’Avenues.ca et actuellement en congé de maternité.

Dans le cadre des 60 ans de la Fondation de la famille agricole, Véronique Leduc a parcouru le Québec à la rencontre de 21 familles qui se sont distinguées en matière de transmission, d’innovation et d’implication dans leur communauté. Ces portraits vibrants, tant dans l’écriture que dans les photos qui les accompagnent, constituaient pour nous une manière de clore l’année 2021 avec un message, celui de célébrer celles et ceux qui nous nourrissent au quotidien et dont nous reconnaissons rarement l’importance du travail. Nous nous sommes entretenus avec Véronique Leduc pour en savoir plus sur une aventure qui a changé la vision qu’elle avait du monde agricole québécois.

Véronique, as-tu fait des découvertes pendant la préparation de ton livre?

Oui, des tonnes! Même si j’évolue à titre de journaliste dans le milieu alimentaire et gastronomique depuis des années, j’ignorais totalement comment les œufs, le lait ou la volaille que nous retrouvons dans nos épiceries étaient vraiment produits. D’avoir la chance de me rendre sur des exploitations agricoles, de visiter de l’intérieur des silos et des étables, j’ai trouvé cela vraiment intéressant. Et j’ai en prime découvert dans ces fermes des familles qui travaillent parfois sur place depuis six, voire sept générations. C’est incroyable, quand même, de se dire que certaines d’entre elles sont les descendantes directes de certains colons de Nouvelle-France et qu’elles sont toujours vouées à l’agriculture!

Justement, alors que l’on parle beaucoup de modernisation dans ce secteur, est-ce que le lien qui unit les agriculteurs à leur terre est aussi fort qu’avant?

Absolument. Les familles que j’ai rencontrées sont très attachées et fières de leur terre. Elles vivent même souvent dans les mêmes maisons que les générations qui les ont précédées. Certaines d’entre elles ont dû au fil de leur vie déménager, car elles ont été expropriées, ont fait face à des incendies ou ont vendu leurs parts, et elles vivent toujours un deuil ensuite. Comme me l’a dit un de mes intervenants: «Ta terre, c’est comme ta femme. Tu n’en réapprivoises pas une nouvelle facilement.» C’est riche et beau, ce lien avec cette terre et ses origines.

La famille agricole, Véronique Leduc. Les Éditions de l'Homme, 2021. 322 pages.

Est-ce que les anciennes et nouvelles générations d’agriculteurs abordent leur métier de la même manière?

Elles sont selon moi autant impliquées les unes que les autres, mais de manière différente. Même si elles m’ont toutes parlé du problème de relève que des voisins ou des amis peuvent rencontrer, le legs des terres est naturel dans les familles que j’ai rencontrées. Les parents font le choix assumé de perdre de l’argent en vendant à leurs enfants plutôt qu’à des étrangers, et ils ont aussi la volonté de passer la main dans les meilleures conditions possibles, soit en modernisant leurs installations, soit en continuant à travailler avec leurs enfants jusqu’à ce qu’ils puissent être autonomes.

Du côté des jeunes, je me suis rendu compte qu’ils ne se sentent absolument pas forcés de reprendre l’affaire familiale. Ils se lancent dans ce métier difficile avec passion et se sont souvent formés adéquatement en comptabilité, en commerce et même en anglais pour réussir. Ils sont motivés et désirent plus que tout que la ferme familiale fonctionne.

Quelle place occupent les femmes dans ce domaine?

Une place beaucoup plus grande qu’on ne le pense, et ce, depuis longtemps, puisque les fermes, ce sont avant tout des familles. Et ces femmes sont vraiment inspirantes! Qu’elles soient engagées avec leurs frères et sœurs, ou bien qu’elles reprennent seules la suite de leurs parents, souvent en compagnie de leur conjoint, les femmes sont intéressées par le domaine agricole, sont de plus en plus sur le terrain grâce à la mécanisation, ou bien se spécialisent dans certaines tâches que d’autres, plus manuels, aimeraient moins faire, comme la gestion. Leur rôle est donc essentiel en agriculture.

En rendant visite à ces 21 exploitations agricoles, ta vision de l’agriculture a changé, semble-t-il. Pourquoi?

Comme beaucoup, je m’intéressais auparavant davantage aux petites fermes bio qu’à des producteurs plus importants. On a d’ailleurs souvent tendance à penser de manière négative à cette façon plus commerciale de produire de la nourriture. Mais en me rendant sur place, je me suis rendu compte que ce sont en réalité ces fermes-là qui nous nourrissent au quotidien, et qu’en arrière, elles sont très humaines. Ce sont des familles qui ont à cœur le bien-être de leur terre et de leurs animaux, dont les installations sont propres, et qui ont même parfois des prénoms. Personnellement, j’ai recommencé après cette expérience à acheter du lait de vache, ce que j’avais cessé de faire depuis plusieurs années. Alors, comme on parle de plus en plus d’autonomie alimentaire, je pense qu’il faut plus encourager ces familles québécoises que les critiquer.

En terminant, que retiens-tu de cette expérience à titre personnel?

Je dirais tout d’abord que ce fut une expérience énergisante. Même lorsque j’étais moins en forme, dès que je sortais d’une rencontre avec une de ces 21 familles, j’étais comme portée. Ces personnes sont tellement passionnées et inspirantes, c’est fou! Elles nous invitaient tout le temps à rester, à manger à leur table. Elles nous donnaient généreusement un temps, qui est pourtant compté. Et elles ont parfois des parcours incroyables et touchants, à l’image de la famille Hudon–Saint-Amant, dont la mère Simone s’est retrouvée du jour au lendemain veuve avec 11 enfants et qui s’est seule retroussée les manches pour qu’ils mangent tous à leur faim. Alors si j’ai un message à passer à travers ce livre, je dirais que ce serait celui de rendre hommage et de respecter tout autant ces gens qui nous côtoient chaque jour à travers notre alimentation, que des médecins que nous ne voyons qu’une fois l’an.

Découvrir les marchés du monde avec Hélène Laurendeau

Dans cet épisode de la série Entretiens gourmands de la Balado Avenues.ca, Hélène Laurendeau, éternelle voyageuse, nutritionniste et passionnée de saveurs, nous entraîne à la découverte des marchés publics qu'elle ne manque jamais de visiter lors de ses voyages.

Une formidable façon d'entrer en contact avec les locaux, d'en apprendre davantage sur la culture du pays et, bien sûr, de découvrir des saveurs, des aliments et des spécialités typiques.

Vous pouvez suivre et écouter notre Balado Avenues.ca dont cet épisode sur:

iTuneshttps://apple.co/3GM3LT9

Google podcasts: https://bit.ly/3CHCFKL

Spotifyhttps://spoti.fi/3nSpEYr

Écoutez l'épisode:

Hélène Laurendeau est sans doute la nutritionniste la plus médiatisée du Québec. Chroniqueuse à la radio et à la télévision depuis plus de 30 ans, elle parle avec expertise de nourriture et de plaisirs gourmands. Elle a notamment été l'invitée de nombreux Rendez-vous Avenues.ca avec sa conférence Voyages gourmands. Elle est aussi auteure, conférencière et ambassadrice du Mouvement J'aime les fruits et légumes. Épicurienne et grande voyageuse, Hélène aime découvrir et faire découvrir des cultures d'ailleurs et des traditions d'ici par le biais de la nourriture qui est, comme elle se plait à le dire, une langue universelle.

Quelques photos des marchés dont nous parle Hélène dans cet épisode:

Marché Kyoto. Photo: Hélène Laurendeau
Légumes variés d'un marché en Chine. Photo: Hélène Laurendeau
Marché de Collioures en France. Photo: Hélène Laurendeau
Marché de quartier à Istanbul en Turquie. Photo: Hélène Laurendeau
Au Wet market de poisson à Hong Kong. Photo: Hélène Laurendeau
Rencontre avec une commerçante au marché à Hong-Kong. Photo: Hélène Laurendeau
Gros tubercule poilu au nom inconnu dans un marché à Hong Kong. Photo: Hélène Laurendeau
Produits marins vivants au Wet market à Hong Kong. Photo: Hélène Laurendeau

Restez à l'affut pour les prochains entretiens gourmands avec Hélène Laurendeau. Pour découvrir le premier épisode cliquez ici.

Pesticides au Québec: un nouveau plan est annoncé

Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, a annoncé la semaine dernière son nouveau plan québécois d’agriculture durable, qui vise entre autres à réduire les risques liés à l’usage des pesticides, à améliorer la biodiversité et à diminuer le recours  aux engrais chimiques. Le plan, qui devrait couvrir une période de dix ans, était attendu avec impatience et est accueilli positivement dans le milieu.

Tout a commencé à la fin de l’année 2017, lorsque l’agronome du ministère de l’Agriculture Louis Robert a porté à l’attention de ses supérieurs l’existence de conflits d’intérêts au sein du Centre de recherche sur les grains (CÉROM), l’ingérence de certains membres du conseil d’administration en faveur des pesticides, ainsi qu’une crise dans la gestion de l’organisme financé par le public afin de trouver des solutions pour réduire l’usage des pesticides en agriculture. Le tout remettait en question l’indépendance de la recherche publique sur l’utilisation des pesticides.

Insatisfait de l’écoute de ses supérieurs, Louis Robert s’était tourné vers Radio-Canada et avait partagé des documents troublants. Entre autres, Radio-Canada avait dévoilé que des agronomes conseillant les agriculteurs obtenaient de l’argent des entreprises qui les employaient, pouvant ainsi les inciter à recommander l’usage excessif de pesticides.

Si le ministère de l’Agriculture du Québec a d’abord remercié l’agronome pour sa transparence, il l’a, quelques mois plus tard, congédié. Le cas a créé un tollé dans les médias et a mené à la mise sur pied, en septembre 2019, d’une commission spéciale visant à étudier l’effet des pesticides sur la santé et l’environnement et à mettre en lumière la relation entre l’industrie, les agronomes et les agriculteurs.

En septembre 2019, une commission spéciale visant à étudier l’effet des pesticides sur la santé et l’environnement et à mettre en lumière la relation entre l’industrie, les agronomes et les agriculteurs a été mise sur pied. Photo: Glenn Carstens Peters, Unsplash

32 recommandations

Après la tenue de la commission, où ont été entendus plusieurs agronomes, les recommandations étaient fort attendues dans le milieu. En février 2020, on dévoilait donc un rapport contenant 32 recommandations parmi les 700 proposées et sur lesquelles 13 députés de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN) s’étaient entendus.

Entre autres choses, le rapport recommandait au gouvernement de réviser le Code déontologique des agronomes afin de notamment clarifier la notion d’indépendance. On souhaitait aussi que le ministère de la Santé et des Services sociaux fasse une étude sur l’impact des pesticides sur la santé au Québec et on demandait au ministère de l’Environnement de mettre à jour la liste des pesticides à usage restreint et d’améliorer les connaissances liées au déclin des pollinisateurs dans la province afin de mieux lutter contre cette diminution.

Parmi les demandes faites au ministère de l’Environnement: améliorer les connaissances liées au déclin des pollinisateurs dans la province afin de mieux lutter contre cette diminution. Photo: Anson Aswat, Unsplash

Nouvelles pratiques

De ces 32 recommandations est ressorti la semaine dernière un nouveau plan québécois d’agriculture durable annoncé par le ministre de l’Agriculture et qui a reçu un accueil favorable du monde agricole et environnemental.

Avec ce plan, le gouvernement vise cinq objectifs distincts, soit:

  • Réduire l’usage des pesticides et les risques qu’ils présentent pour la santé et l’environnement;
  • Améliorer la santé et la conservation des sols;
  • Améliorer la gestion des matières fertilisantes;
  • Optimiser la gestion de l’eau;
  • Accroître la biodiversité.

Afin de mener à bien ces buts fixés, le gouvernement annonce qu’au cours des cinq prochaines années, une somme de 70 millions de dollars sera consacrée à rémunérer les producteurs qui adoptent des pratiques agroenvironnementales qui vont au-delà des exigences en place.

Cette approche, qui consiste à récompenser les bonnes pratiques, est au centre du plan d’agriculture durable 2020-2030, pour lequel un budget total de 125 millions est prévu pour les cinq premières années. On cherche donc à soutenir plutôt qu’à punir. Les agriculteurs pourront par exemple recevoir de l’aide pour faire des aménagements sur leur terrain, comme des bandes riveraines élargies qui permettront de protéger les cours d’eau et de favoriser la biodiversité.

Afin de distribuer l’argent parmi les 27 000 fermes du Québec, un projet-pilote sera mis en place pour l’an prochain.

Aussi, le ministère compte investir 30 millions de dollars dans le développement des connaissances par le biais de la création d’un pôle de recherche en agriculture durable.

Québec dépensera également 25 millions pour mettre sur pied un programme de formation continue en agroenvironnement qui sera assurée par l’Institut de technologie agroalimentaire, qui offrira de l’information et de l’accompagnement aux agriculteurs. Ainsi, 75 agronomes devront être déployés sur le terrain afin d’épauler les agriculteurs dans leurs démarches.

Grâce aux mesures annoncées, on cherche à réduire autant l’usage des pesticides que leurs risques pour la santé et l’environnement. Avec ces incitatifs, on s’est fixé différents objectifs chiffrés, dont celui de faire chuter de 15% le volume des pesticides vendus dans la province et de diminuer de 40% l’indice de risque pour la santé et l’environnement.

Québec dépensera 25 millions pour mettre sur pied un programme de formation continue en agroenvironnement, qui offrira de l’information et de l’accompagnement aux agriculteurs. Photo: Spencer Pugh, Unsplash

Un plan bien accueilli

Le 22 octobre, dès l’annonce du plan, l’Union des producteurs agricoles (UPA) ainsi qu’Équiterre ont applaudi les mesures proposées. «Les agriculteurs du Québec partagent les préoccupations de leurs concitoyens et demandent depuis longtemps un plan d’action à moyen, long terme, pour continuer à améliorer leurs pratiques», a affirmé à La Presse Marcel Groleau, le président de l’UPA, qui représente les 42 000 producteurs agricoles de la province.

De son côté, la directrice générale d’Équiterre, Colleen Thorpe, a déclaré que ce plan faisait preuve d’une «volonté très claire de rallier le monde agricole autour d’un projet ambitieux qui nous apparaît comme une réponse pour commencer à relever les défis majeurs de notre époque».

Les premiers concernés, les Producteurs de grains du Québec, sont aussi satisfaits de ce plan annoncé, qu’ils disent «en concordance avec les actions réalisées depuis plusieurs années [...], afin de bâtir une agriculture plus durable et efficace».

Il y a toutefois un bémol, selon certains. En effet, l’une des réformes demandées par plusieurs groupes n’a pas été retenue, soit celle de séparer clairement le double rôle des agronomes qui vendent et prescrivent des pesticides, comme c’est le cas en médecine, par exemple.

Et qu’en est-il du déclencheur de cette saga? L’agronome et lanceur d’alerte Louis Robert, qui compte une trentaine d’années de service au ministère de l’Agriculture, a réintégré ses fonctions en août 2019, six mois après son congédiement. Et à la lumière de ce nouveau plan d’agriculture durable, il peut dire que ses critiques ont été entendues.