La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Voyage et réseaux sociaux : bon pour le moral?

Je vous écris de la terrasse du restaurant de Cime Aventures, à Bonaventure, en Gaspésie. En bas, des kayakistes rangent leurs embarcations. Au loin, j’entends des enfants crier. Je sirote tranquillement un vin de fraises fait dans la région, à la Ferme Bourdages, recommandé par le barman. Le soleil descend tout doucement, me rappelant pourquoi j’aime tant me balader dans la Belle Province en juillet.

Mon bureau!
Mon bureau!

Je suis partie en road trip avec une amie et nos filles le 24 juin dernier. Nous avons parcouru la Côte-Nord jusqu’à Havre-Saint-Pierre, et pris le traversier de Godbout à Matane. Côté hébergement, nous avons opté pour la formule prêt-à-camper sur deux îles et au bord du fleuve, en plus de nous arrêter dans des motels, des hôtels et une auberge de jeunesse. J’adore varier les expériences, le degré de confort et les atmosphères. L’aventure ne se trouve pas toujours là où on l’attend.

Choisir entre les étoiles du ciel et celles qui se trouvent à côté d’une enseigne hôtelière? Impossible. Je veux tout, y compris m’approprier des bouts d’infini. Je voyage pour croquer l’horizon et m’en nourrir lentement, des jours durant, même si je file souvent beaucoup trop vite. Les lieux traversés m’habitent des jours, des mois, une vie. Comme pour l’amour, la durée n’a pas toujours d’importance. L’intensité des eaux houleuses vaut parfois bien des longs fleuves tranquilles.

Certaines escales sont crève-cœur, cependant: comment quitter ces ailleurs dont on ne soupçonnait même pas l’existence quelques jours plus tôt? On se promet qu’on reviendra. Mensonge qui met un baume sur la plaie qui s’ouvre…

Des vacances? Quelles vacances?

Même si le vent joue doucement dans mes cheveux trop épais et que le soleil me force à plisser les yeux, je ne suis pas en vacances. Je découvre la Côte-Nord, la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent (et, en août, les Îles-de-la-Madeleine) dans le cadre d’un projet réalisé en collaboration avec Québec maritime, chargé de la promotion touristique de ces quatre régions à l’étranger, et Tourisme Québec.  Mon boulot? Partager mes trouvailles en direct sur les réseaux sociaux, par écrit, en photo et en vidéo.

Contrat de rêve? Sans l’ombre doute. N’empêche, j’ai dormi moins de six heures par nuit depuis une douzaine de jours (et je ne parle même pas des jours précédents : vous arrivez à partir en ayant tout terminé à temps, vous?). Je ne capte pas toujours de signal cellulaire et le Wi-Fi fonctionne de façon aléatoire à bien des endroits. Sans parler des cinq jours passés sans électicité (ni douche!).

Chaque fois que je prends part à ce genre de projet un peu dingue, qui exige de faire un maximum d’activités dans un minimum de temps et de partager mes aventures en direct, je me dis que ce sera la dernière (ma première expérience du genre remonte à 2008, pour Le tour du Canada en 31 jours, puis il y a eu Espadrilles et champagne en 2010, Un baluchon pour deux en 2011… Soit je suis masochiste, soit je n’apprends pas!).

Puis, je me retrouve sur une terrasse, à écrire au son d’une rivière, et je me dis que je fais le plus beau métier du monde. J’essaie de capturer ces instants bénis comme d’autres attrapent les papillons : en sachant que je les relâcherai très vite, afin qu’ils continuent à vivre leur propre histoire. Je les regarderai poursuivre leur route, fixant bien leurs couleurs dans ma mémoire. Des tranches de route que je savoure deux fois plutôt qu’une : au moment de les vivre, puis de les partager.

Je suis d’accord avec Anaïs Nin : «Nous écrivons pour goûter la vie deux fois, dans le moment et retrospectivement.» C’est toujours ainsi que j’ai abordé le voyage et l’écriture, mais aussi la photographie. Les réseaux sociaux ont décuplé ce plaisir. Les lecteurs voyagent avec nous, en direct.

Est-ce toujours une bonne chose? Des articles m’ont fait douter ces dernières mois. Selon certains psychologues, les photos de moments heureux comme les vacances peuvent provoquer la dépression chez les personnes plus sensibles. Il est vrai que nous préférons tous nous montrer sous notre meilleur jour. «Selon Mai-Ly Steers, chercheuse à l'Université de Houston et auteure de l'étude, cela pourrait pousser certaines personnes à penser que la vie de leurs amis Facebook est plus trépidante que la leur», rapporte (entre autres) TVA.

La journaliste Florence Servan-Schreiber croit pour sa part qu’il faut cesser de se comparer : «Arrêtons le dictat des vacances merveilleuses. Plus nous voyons d’images fabuleuses sur Facebook, plus nous nous comparons. Or des vacances peuvent n’avoir rien de visuellement spectaculaire, et pourtant, avoir été, sur le plan humain, familial ou amoureux tout à fait douces. Parfois c’est un voyage compliqué qui nous aura permis d’apprendre sur nous-même et les autres. Il n’y a pas de normes en terme de qualité d’expérience. Ouvrons nous surtout à la différence et la rupture du quotidien. Et après, et bien nous verrons bien. C’est la meilleure façon de s’assurer les meilleures surprises.»

Personnellement, entre deux escapades, rien ne me fait plus plaisir que de voyager par procuration à travers les récits et les photos des autres. Instagram, Facebook, Twitter, blogues… Le virtuel a multiplié les possibilités. Rêve ou réalité? Moi, je choisis les deux.

 


Pour en savoir plus

La science des vacances : ce qu’il faut savoir pour maximiser son bonheur

Florence Servan-Schreiber

7 juillet 2015

Atlantico

L’abus de réseau social peut provoquer de la dépression

Matthieu Delacharlery

8 avril 2015

Metro News