La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Vivre en France en temps de pandémie

Le confinement ne se vit pas de la même manière à la ville et à la campagne. La distanciation sociale n’a pas non plus la même signification dans une grande capitale et un village, où la boîte aux lettres se trouve à un kilomètre de la maison! Des Québécoises installées à Paris et en Provence nous racontent leur quotidien en pause.



Depuis le 17 mars, les habitants de la France vivent essentiellement entre les quatre murs de leur logis. Pour le quitter, ils doivent être munis d’une attestation expliquant la raison de leur sortie et disposent d’une heure pour faire courses ou promenade. Le 7 avril, l’interdiction de faire du jogging entre 10h et 19h s'est rajoutée aux restrictions.

Relationniste dans le milieu du livre depuis 30 ans, la Québécoise Jo Ann Champagne a transporté ses pénates à Paris en 2017, à l’âge de 60 ans. Après avoir vécu dans ses valises pendant quelques années, elle a profité d’une opportunité professionnelle pour s’installer avec son amoureux dans le 13e arrondissement de Paris, à deux pas de la station de métro Les Gobelins. Elle revenait tout juste d’un séjour au Québec, où elle a accompagné des journalistes européens pendant la Traversée de la Gaspésie (TDLG), au moment où tout a basculé. «Je suis allée prendre un grand bol d’air frais au Québec juste avant!»

Le sourire dans la voix, elle parvient à voir le beau à travers le brouillard actuel. «Le ciel est bleu depuis quelques jours. Ça adoucit beaucoup le confinement. Je vis dans un appartement lumineux, avec beaucoup de fenêtres.»

La vue de la fenêtre du salon de Jo Ann Champagne. Photo: Jo Ann Champagne

Tous ses déplacements professionnels ont été annulés, dont la tournée qu’elle devait effectuer dans l’Hexagone avec l’auteur Matthieu Simard, lauréat du prix littéraire France-Québec. Ses voyages n’ont cependant pas tous été entravés par le coronavirus. On l’oublie presque, mais les manifestations et les grèves étaient nombreuses en France, avant le 10 mars… «Le samedi précédent, je devais accompagner Hubert Reeves et sa femme au Festival Neuroplanete à Nice, mais une grève d’Air France nous en a empêchés.»

Elle s’apprêtait à passer chez le notaire avec son amoureux pour conclure l’achat d’un nouvel appartement au moment de l’annonce du confinement. «Ce sont des contraintes extérieures, dit-elle. Il ne faut pas en faire une affaire personnelle. C’est plus grand que nous. Nous avons tous une responsabilité.»

Comme tous les Parisiens, elle a dû adapter ses habitudes. «Ici, il n’y a pas de supermarchés comme au Québec. Chaque marchand a sa spécialité. J’avais l’habitude d’aller faire les courses tous les vendredis au marché Mouffetard. Je dois planifier les choses autrement. Dans les Franprix [NDLR: commerce alimentaire où l’on trouve un peu de tout], il y a trop de monde et les files sont longues. Ça crée une tension supplémentaire de devoir tout faire en une heure. Des amendes de 135 euros peuvent être données si on dépasse ce délai.»

Dans le 13e arrondissement, comme ailleurs dans Paris, les rues sont désertes. Photo: Jo Ann Champagne

Comme à Barcelone, à 20h, tous les Parisiens sortent sur leur balcon pour applaudir le personnel médical. «On ouvre nos fenêtres. Les rues ne sont pas larges à Paris alors on voit chez le voisin. J’aperçois des gens que je n’avais jamais vus. On s’envoie des signes de la main. Au bout de trois semaines, on est rendus à s’inquiéter de ceux qu’on ne voit plus apparaître. On se demande si quelqu’un peut aller vérifier si les personnes qui manquent à l’appel sont OK. C’est une solidarité que je n’ai jamais vue à Paris. Je vois une progression depuis trois semaines. On vit en accéléré. Le chemin de la bienveillance est accéléré.»

Elle s’inquiète aussi du sort des sans-abris, très nombreux dans son quartier. «Il y a beaucoup d’inégalités à Paris. Ce n’est pas facile pour les SDF [sans domicile fixe]. Habituellement, les passants sont nombreux dans mon arrondissement. J’ai entendu deux sans-abris se demander où ils devraient aller… mais il n’y a plus personne nulle part!»

Malgré tout, certaines attentions la font sourire. Au fil de ses promenades, elle est par exemple tombée sur un ourson en peluche géant installé sur un banc de parc. «Le propriétaire de la tabagie en face de chez moi a eu l’idée des nounours des Gobelins. Un jour où la température était moche, il a placé des oursons un peu partout, dans différents commerces, ce qui a fait sourire les gens. Depuis, la famille s’est agrandie.»

Les nounours des Gobelins font sourire les piétons. Photo: Jo Ann Champagne

Ne possédant pas d’imprimante à la maison, elle devait copier à la main l’attestation à compléter pour chacune de ses sorties. Un jour, la concierge de l’immeuble a imprimé plusieurs exemplaires de l’attestation, qu’elle a glissés sous le paillasson des résidents. «J’ai l’impression que les gens qui traitaient les concierges et les gardiens avec mépris apprennent à les voir différemment», observe-t-elle.

Pour Jo Ann, la solidarité apparaît plus essentielle que jamais. «Si ce qu’on vit peut déclencher la compassion, ce sera déjà ça. Il faut cesser de juger. On ne connaît pas l’histoire de l’autre. Aidons-nous. Des barrières doivent tomber. Peut-être sortirons-nous de cette crise avec plus d’humanité?»

Mère d’une jeune femme de 25 ans qui vit au Québec, elle communique très souvent avec elle grâce à la technologie. Elle espère pouvoir remettre les week-ends mère-fille qu’elles avaient prévu ce printemps le plus tôt possible, mais prend les choses comme elles viennent.

Loin d’entrevoir la retraite, la soixantenaire continue d’exercer son métier avec passion. «Ce que je voudrais, c’est contaminer l’ensemble des pays francophones à la littérature québécoise!»

Place d'Italie, dans le 13e arrondissement. Photo: Jo Ann Champagne

Une famille en Provence

Annie Bacon, 45 ans, et son conjoint, Sébastien, 52 ans, rêvaient d’une année sabbatique à l’étranger depuis quelques années. Constatant que le rez-de-chaussée de la maison du Plateau Mont-Royal où leurs trois enfants ont fait leurs premiers pas devenait trop étroit, ils se sont dit que l’occasion était parfaite. «Nos enfants de 8 et 11 ans dormaient dans la même chambre, raconte-t-elle depuis la cour de la résidence du sud de la France louée jusqu’en juillet. On s’est dit que tant qu’à vendre et racheter, on allait faire un détour d’un an…»

Leur plan: passer une année scolaire en France. Pourquoi la Provence? «Nous avons trouvé une maison sur le site Seloger.com. On avait tellement de critères qu’on a préféré ratisser large. Sébastien souhaitait pouvoir faire du vélo toute l’année. Nous voulions que chacun puisse avoir sa chambre et nous cherchions un endroit avec un collège. On a trouvé le meilleur des deux mondes dans le village de Fuveau, à une quinzaine de minutes d’Aix-en-Provence et à une demi-heure de Marseille. À Paris, on aurait eu un 1 ½ pour le prix de notre grande maison de campagne!»

L’espace fait toute la différence pour eux en ce moment. «Je ne vois pas de rassemblements qui me font paniquer de ma fenêtre. Nous avons un grand terrain. Nous sommes très conscients de la chance que nous avons.»

«Nous avons un grand terrain. Nous sommes très conscients de la chance que nous avons.» Photo: Annie Bacon

Bien qu’une certaine adaptation ait été nécessaire, l’école à la maison se déroule bien et les trois enfants entretiennent des relations très harmonieuses. «Nous sommes en sabbatique. Nous n’avons pas à faire du télétravail huit heures par jour, alors nous sommes là pour nos enfants.»

Annie sort faire les courses une fois par semaine. «Il n’y a pas du tout une ambiance de fin du monde. Les gens se sourient et se parlent. Le marché du village est parvenu à obtenir une dérogation en prouvant qu’il était possible de répondre à des critères sanitaires très stricts. Il y a des barrières devant les kiosques et on pointe ce qu’on veut acheter à un mètre de distance. Ce sont les marchands qui remplissent nos sacs d’emplettes.» Elle complète par des achats en ligne quand c’est nécessaire.

Le marché du village est parvenu à obtenir une dérogation en prouvant qu’il était possible de répondre à des critères sanitaires très stricts. Photo: Annie Bacon

Vit-elle malgré tout des angoisses? «Mon inquiétude de fin du monde est de ne pas pouvoir nourrir ma gang, dit-elle en riant. J’ai l’impression de savourer chaque repas comme si c’était un miracle.»

«J’ai perdu mes deux parents avant qu’ils aient franchi le cap des 70 ans, poursuit-elle. J’ai envie de profiter de la vie là, maintenant. On a conscience de ce qu’on est en train de vivre, même si on sait qu’on devra prendre notre retraite deux ou trois ans plus tard. On savoure chaque moment.»

Non, le confinement ne se vit pas de la même manière à la ville et à la campagne, mais une chose est sûre: peu importe où l’on se trouve sur la planète, être forcé de s’ancrer dans le présent nous ramène tous à l’essentiel.